Sortir de la crise anglophone au Cameroun

Le pouvoir de Yaoundé a officiellement rejeté les offres de médiations du Canada, mais ne ferme pas la porte aux négociations avec les séparatistes des régions anglophones. Les populations payent un lourd tribut dans ce conflit, né en 2016.
Le gouvernement camerounais a sèchement repoussé la médiation canadienne dans le conflit entre l’État central et les séparatistes anglophones. Toutefois, il semble que des médiations se poursuivent, probablement avec l’appui des Canadiens, tandis que la communauté internationale insiste pour que cette initiative aboutisse. Le Canada se dit déterminé à poursuivre les pourparlers de paix, mais la « fuite » émanant de la ministre des Affaires étrangères, le 20 janvier 2023, a fragilisé sa position.
« Le président Biya, en s’engageant dans l’initiative de paix facilitée par le Canada, pourrait changer la perception selon laquelle il n’est pas vraiment intéressé par une solution politique. »
En effet, Mélanie Joly avait annoncé – sans doute prématurément –, que les deux parties avaient entamé des discussions, suscitant l’espoir de mettre fin à un conflit de sept ans. Si les séparatistes d’« Ambazonie », comment ils appellent les régions concernées, ont confirmé leur accord de principe, le gouvernement camerounais sèchement démenti sa participation, déniant le droit « à aucun pays étranger » de jouer les médiateurs. Réaction qui a surpris, car le gouvernement camerounais avait déjà, par le passé, accepté de telles initiatives. La communauté internationale est sollicitée, les séparatistes demandent désormais aux États-Unis et à la Suisse de s’engager davantage.
« Bien que ce rejet de dernière minute, après des mois de travail minutieux, ait porté un coup aux efforts de paix, le gouvernement peut encore, et devrait, rectifier le tir et remettre les pourparlers sur les rails », commente le cercle de réflexion International Crisis Group, ce 10 février 2023. ICG invite Yaoundé « à accepter ces pourparlers ». Son refus « risque de perpétuer, voire d’aggraver le conflit », prévient ICG qui fait allusion à un regain de violence, dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, après le refus camerounais, fin janvier.

Tandis que des milices s’organisent, dans ces provinces anglophones, le ministère camerounais de la Défense lance une campagne de recrutement de 9500 soldats…
« Après sept ans d’affrontements dans les régions anglophones, l’éventualité que les parties pourraient ne pas saisir une occasion de mettre un terme aux hostilités est déconcertante », déplore ICG. Qui révèle que depuis 2017, les combats ont fait plus de 6 000 morts dans les régions anglophones et déplacé près de 800 000 personnes, dont 60% de femmes et d’enfants, soumis à des violences spécifiques. Des estimations récentes indiquent que le conflit avait perturbé l’éducation de plus de 700 000 enfants.
Soulager les souffrances
En octobre 2022, Paul Biya avait déjà rejeté les efforts de la Suisse de médiation, tout en prenant contact avec des dirigeants anglophones de la diaspora. Cette fois-ci, la discrétion des séparatistes et leur engagement clair à trouver une solution ont persuadé certains hauts responsables à Yaoundé de participer aux discussions préalables, facilitées par le gouvernement canadien. Les observateurs en ont déduit que le gouvernement était prêt à passer à l’étape suivante et à s’engager pleinement dans des pourparlers officiels.
« C’est ce qu’il devrait faire », exhorte ICG. « Le président Biya, en s’engageant dans l’initiative de paix facilitée par le Canada, pourrait changer la perception selon laquelle il n’est pas vraiment intéressé par une solution politique. »
Si les élections sénatoriales à venir (mars 2023) ne semblent pas de grande importance, les scrutins législatifs et présidentiels sont prévus pour 2025. Au fil des mois, cette perspective pourrait alimenter les tensions politiques et ethniques, redoutent les observateurs. D’autant que l’âge du Président (90 ans cette année) aiguise les appétits.
De leur côté, les Canadiens, en dépit de la gaffe de leur ministre, semblent avoir balisé le terrain pour instaurer un climat propice aux négociations, en faisant accepter le principe de la cessation des hostilités, la garantie du droit à l’éducation et la libération de prisonniers. « Un accord sur tout ou partie de ces mesures, lors de la prochaine phase de dialogue, pourrait soulager les souffrances de millions de Camerounais », commente ICG.
Ces résultats serviraient alors de base à des pourparlers portant sur des questions qui seront au cœur de tout accord, telles que la reconfiguration politique consensuelle des régions anglophones ; la mise en œuvre d’une réforme du secteur de la sécurité et d’un nouveau programme de désarmement ; la création de mécanismes de justice transitionnelle ; et l’amorce d’une reconstruction économique.
Pour l’heure, rien ne filtre des intentions de Paul Biya concernant cette crise. Tout juste a-t-on appris que le 6 février, le président avait mandaté Alamine Ousmane Mey ministre de l’Économie de signer avec la Banque islamique de développement un accord de prêt de 21,155 milliards de F.CFA (32,25 millions d’euros) destinés au Plan présidentiel de reconstruction et de développement des régions anglophones.
@NA