Retrouver l’envie d’Afrique
Diplomate « en disponibilité », Laurent Bigot regrette que la France ne fasse pas davantage entendre sa voix en Afrique. Pourtant, les Africains apprécient les discours de vérité sur les droits de l’homme et une diplomatie qui s’inscrit dans la durée.
Le temps est à la diplomatie économique. Un « concept fort » explicité dès juillet 2012 dans le discours prononcé par le ministre des Affaires étrangères, Lau-rent Fabius, devant la conférence des ambassadeurs. Le réseau diplomatique du Quai d’Orsay était désormais invité à se mobiliser de façon « prioritaire et permanente » pour le soutien à l’export des entreprises françaises ainsi qu’en faveur des investissements internationaux à destination de la France. Au détriment d’autres valeurs ?
C’est ce qu’estime Laurent Bigot, soudainement limogé, en mars 2013, du poste de sous-directeur en charge de l’Afrique de l’Ouest qu’il occupait depuis quatre ans. « Je détonnais un peu, parce que je n’entrais pas dans le moule », admet-il aujourd’hui. En juillet 2012, lors d’un colloque organisé par l’Institut français des relations internationales (IFRI), il s’était permis de critiquer, en termes fort peu diplomatiques, la politique de la France en Afrique, dressant un tableau accablant de la situation au Mali et au Burkina Faso, provoquant en retour une protestation officielle de ces deux pays. Six mois plus tard, le déclenchement de l’opération Serval entraînait un brusque mouvement de départs et de remplacements de plusieurs directeurs et fonctionnaires du ministère, dont Laurent Bigot. Une « purge » révélatrice des lignes de clivages et des visions antagonistes au sein du « Quai », réactivées par l’engagement militaire de la France au Mali.
Aujourd’hui « en disponibilité », Laurent Bigot exerce à son compte comme consultant, mettant son expertise de l’Afrique de l’Ouest aussi bien au service de clients français qu’africains. Une expertise concrète, profonde, intime, pourrait-on dire. Alors qu’il n’est qu’un enfant, ses parents s’expatrient au Nigeria. Il y passe plus de dix années. « C’est comme ça que j’ai découvert l’Afrique. Depuis, je ne l’ai quasiment plus quittée. » De retour en France, il entre à Sciences Po, à Bordeaux, étudie l’haoussa ainsi que l’islam et la civilisation peuhl, et passe le concours du Quai d’Orsay.
J’ai toujours pensé qu’il ne fallait pas normaliser la relation avec l’Afrique, parce qu’elle n’est pas une relation ordinaire. C’est précisément ce qui fait la force de ce lien.
Aujourd’hui, il conseille des entreprises et des groupes français sur leur stratégie d’implantation en Afrique. Du conseil en politique et du lobbying, aussi, pour des oppositions politiques africaines. « Le travail est assez varié mais il ressemble à celui de diplomate, et les gens font appel à moi, parce qu’ils savent qu’avec moi, on fera l’économie de la langue de bois. »
Une liberté de parole qu’il revendiquait déjà au ministère, et pas seule-ment en interne. C’est son credo : « On confond trop souvent une communication prudente avec la langue de bois. » Il récuse, par principe, l’idée d’inévitables compromissions que justifierait la real politik. Un principe qu’il tire, là encore, de son héritage familial. « Mes parents ont toujours eu un discours assez clair sur les valeurs. » Ses grands-parents maternels fuyaient l’Espagne franquiste. « La France, pour eux, c’était d’abord des valeurs, et leur rattachement à la France a toujours été pour moi un rattachement fort ». Aujourd’hui encore « tous nos interlocuteurs africains attendent de la France une position courageuse sur les principes et les valeurs fondamentales des droits de l’homme. La France est très attendue, sa marge de manoeuvre est immense. On peut vraiment se permettre d’avoir un langage de vérité en la matière. À chaque fois qu’on a un langage prudent, on nous le reproche ».
Aujourd’hui, hélas, les mots ne suffisent pas : « Régulièrement, on a un discours courageux, mais les actes ne suivent pas. » Car le mal dont souffre la diplomatie française est plus profond : « On a une perte de connaissance de l’Afrique, une perte d’expertise. » Pourtant les attentes sont immenses. Laurent Bigot rencontre tous les jours des chefs d’entreprise, des représentants de la société civile ou de la classe politique africaine. « Ils nous disent tous la même chose. Leur modèle, leur référence, reste la France. Quand ils ont des besoins, des attentes, quand ils ont besoin d’aide, ils se tournent spontanément vers la France. » L’origine du mal tient selon lui à cette dictature de l’immédiateté qui empêche les actions fondées sur une vision à long terme. Les médias surfent sur la peur et n’évoquent l’Afrique que pour parler des trains qui n’arrivent pas à l’heure. « On répond dans les crises, on intervient militairement, on aide la Guinée sur Ebola, mais du coup, on n’a pas une politique qui s’inscrit au moins sur du moyen terme. »