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Politique

Réimaginer la Tunisie

Réimaginer la Tunisie
  • Publiéaoût 1, 2022

Dix ans après le printemps arabe, la Tunisie est considérée comme un échec sur de nombreux plans. Zakaria Belkhoja, ancien conseiller du gouvernement, reste optimiste. La clé pour aller de l’avant, juge-t-il, est de trouver un moyen d’impliquer les jeunes et les élites dans le processus politique.

 

Rencontre avec Omar Ben Yedder

Zak Belkhoja est un vieil ami. Comme de nombreux Tunisiens, il a suivi un parcours professionnel typique pour quelqu’un de sa génération. Il a étudié à l’Ecole Polytechnique, l’une des écoles les plus prestigieuses de France, avant de se lancer dans la banque d’investissement à Paris.

Pour autant, il n’a jamais été très à l’aise dans le monde de l’entreprise. Aussi, lorsque la révolution tunisienne s’est produite en 2011, elle a suscité en lui l’envie de rentrer chez lui et de faire œuvre utile.

« La sortie de toute crise passe par l’éducation et le travail. Ce sont les valeurs que nous devons inculquer à nos enfants. Collectivement, nous devons construire un meilleur avenir pour notre pays. »

Pour beaucoup, onze ans plus tard, la situation en Tunisie prouve que la révolution a échoué. La dette atteint des niveaux que de nombreux économistes considèrent comme insoutenables. Le secteur informel a pris des proportions inquiétantes, tandis que le secteur public reste hypertrophié. Sans oublier l’instabilité politique, jusqu’à aujourd’hui : la Tunisie a connu dix gouvernements en onze ans, pour autant d’années sans manque de leadership et vision au sommet de l’État.

ZAC Belkhoja dépeint un scénario moins négatif. Il s’est toujours montré optimiste quant aux progrès substantiels réalisés à la suite du printemps arabe, notamment dans les industries créatives, dans l’espace des start-up et en matière de liberté d’expression.

Néanmoins, peut-on considérer que l’élite a échoué à répondre aux aspirations de la révolution ?

Il estime que les jeunes et les élites qui dirigent les grandes institutions publiques et privées du pays et les Tunisiens les plus privilégiés se sont trop désengagés du processus politique. En conséquence, la révolution, qui était principalement un mouvement de la jeunesse et de la base, a été détournée par une classe politique du siècle dernier.

« Nous n’avons pas vu de nouveaux acteurs politiques, de nouvelles idées. Les jeunes attendaient un changement dans leur vie et du progrès. Aujourd’hui, beaucoup ne rêvent que de s’expatrier. »

Zakaria Belkhoja a vécu deux passages dans la fonction publique. Le premier en 2012, lorsqu’il est rentré au pays et a travaillé sur le nouveau Code d’investissement pour le ministre de l’Investissement. Plus récemment, c’était pour conseiller le Premier ministre autour des questions d’innovation, de transformation et de jeunesse. « Je n’ai jamais fait de politique », se défend-il pourtant ! « Je n’ai jamais adhéré à un parti ; mais j’ai toujours été attiré par la vie politique. Je ne voulais pas rester sur la touche en ne faisant que des commentaires et je voulais apporter ma contribution avec des idées innovantes ». Pour le conseiller, il s’agit de « passer d’une politique du XXe siècle à une politique adaptée à l’ère numérique et à une jeunesse connectée au reste du monde ».

Le slogan du printemps arabe qu’il retient : « No More Fear. », qui appelle à l’audace, mais aussi à une plus grande confiance. « Je voulais que le secteur public profite de ce qui a fait le succès des start-up : “Penser grand; commencer petit et changer d’échelle rapidement. » »  

Ayant vu le fonctionnement du gouvernement, il juge qu’on n’accorde pas le crédit que méritent nos institutions publiques. « Certes, certaines des critiques formulées à leur encontre sont justifiées, mais si vous donnez aux fonctionnaires les moyens d’agir et si vous les intégrez dans vos projets, vous obtenez sans aucun doute des résultats. »

À l’inverse, « si vous ne les impliquez pas dans les processus, le changement ne se produira pas ; s’ils sont engagés, le changement se fera très facilement », explique Zakaria Belkhoja selon qui « trop souvent, l’administration, et ceux qui travaillent en son sein, ont été discrédités, ou au mieux, ignorés ».

 

Des marques à retrouver

C’est ce manque de travail d’équipe qui freine le pays, estime-t-il. L’individualisme a pris le pas sur la réussite et la responsabilité collectives

Il reconnaît que, politiquement, la Tunisie cherche encore ses marques, Le pays a dû manœuvrer dans un environnement difficile, tant au niveau local qu’international. Elle a beaucoup souffert des troubles survenus en Libye après la chute de Kadhafi.

« Un tiers des ventes des PME tunisiennes provenait du marché libyen, et près de 300 000 Tunisiens travaillaient en Libye à l’époque. Ces troubles ont eu un impact énorme sur l’économie. Ensuite, nous avons eu les attaques terroristes de 2015, qui ont touché gravement le secteur du tourisme, et plus récemment la pandémie de la Covid-19. »

ZAC Belkhoja soutient que les soulèvements de 2011 ont pris le pays par surprise. Personne n’était préparé, contrairement aux dirigeants de 1956 qui avaient élaboré des plans de développement économique et social des années avant l’indépendance. Ces dirigeants avaient tissé des liens étroits entre eux, se connaissaient intimement, se faisaient confiance et travaillaient en fonction de leurs compétences respectives. À l’inverse, en 2011, ajoute-t-il, on passait plus de temps à des manœuvres politiques qu’à travailler collectivement pour la nation.

Cependant, il reste profondément optimiste. Il rappelle que la Tunisie a vu sa première licorne cette année. InstaDeep, une start-up spécialisée dans l’IA, a levé 100 millions de dollars lors d’un tour de table auprès de sociétés comme BioNTech (les fabricants du vaccin ARN Covid-19) et Google. Il estime que le secteur de la technologie est également en très bonne position.

Lorsque je lui dis que le pays perd de nombreux développeurs de logiciels et certains de ses meilleurs cerveaux dans beaucoup de secteurs, il relativise : « On peut dire que c’est la preuve que le système éducatif produit des talents compétitifs au niveau mondial. Nous devons aider de plus en plus de personnes à se former et à s’éduquer afin de créer collectivement une économie de la connaissance. » 

Il estime que la Tunisie est une excellente plateforme pour les économies européennes qui cherchent à raccourcir leurs chaînes d’approvisionnement et à travailler avec des pays proches.

 

L’éducation et le travail sont essentiels

 « Un nouveau partenariat entre l’Europe et l’Afrique est à l’ordre du jour et l’Afrique du Nord est un partenaire naturel. Si l’on compare les investissements américains en Amérique centrale et latine à ceux des Européens en Afrique, on se rend compte du grand fossé. J’ai vraiment le sentiment qu’il y a là une remise à zéro de la façon dont l’Europe et l’Afrique travaillent ensemble, et l’Afrique du Nord est idéalement positionnée à cet égard. »

Au gouvernement, ZAC Belkhoja a fait partie de l’équipe qui a accompagné le Premier ministre à Washington pour négocier avec le FMI et rencontrer l’administration américaine. Lorsque je lui demande s’il s’agit là d’un de ses moments les plus mémorables au gouvernement, il me répond cite un événement dont il se souvient mieux : sa rencontre avec une mère célibataire qui avait réussi à élever seule sa famille après la mort de son mari dans un accident. Ses sept enfants avaient tous réussi et sont devenus médecins, dentistes et avocats, en grande partie grâce au solide système d’éducation et de santé mis en place dès l’indépendance.

« Cela m’a montré que la sortie de toute crise passe par l’éducation et le travail. Ce sont les valeurs que nous devons inculquer à nos enfants. Cette dame m’a montré pourquoi cela valait la peine de se battre. Collectivement, nous devons construire un meilleur avenir pour notre pays. »

@NA

 

 

Écrit par
Omar Ben Yedder

2 Commentaires

  • Que vient faire la photo de Hichem Mechichi ds cet article pourtant consacre a M. Zakaria Belkohdja ?! Une confusion bien regrttable !

    • Erreur rectifiée, merci de votre vigilance ! Confusion regrettable, en effet.

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