RD Congo : Conférence de paix pour le Grand Kasaï
Simple opération de communication ou, enfin, l’amorce d’une solution pour le Grand Kasaï ? Une conférence s’est penchée sur cette région de la RD Congo, en proie à une crise politique et humanitaire sans précédent. Un test pour le pouvoir central.
Par J.J Arthur Malu-Malu
Annoncée à grand renfort médiatique, une conférence de paix s’est tenue fin septembre à Kananga, dans le centre du pays, à l’initiative du président Joseph Kabila, qui a personnellement fait le déplacement. Le Premier ministre Bruno Tshibala, lui-même originaire de cette région touchée par un sanglant conflit qui a fait, en plusieurs mois, plus de 3 000 morts et plus de 1,6 million de déplacés, a également pris part à ces travaux. Des notabilités locales se sont jointes à eux pour la circonstance.
Le moment était venu pour Joseph Kabila et Bruno Tshibala de prendre le taureau par les cornes pour trouver une solution à cette crise générée par une affaire de succession d’un chef traditionnel, Kamwina Nsapu, qui a mal tourné. Des zones d’ombre subsistent autour de son assassinat, en 2016, qui a mis le feu aux poudres et fait basculer dans l’horreur le Grand Kasaï, lequel comprend cinq provinces : Kasaï, Kasaï central, Kasaï oriental, Lomami et Sankuru.
Ce crime est ainsi le détonateur qui a libéré les pulsions meurtrières qui sommeillaient chez une partie de la population – des jeunes pour l’essentiel – sans perspective et en quête d’un exutoire pour exprimer violemment son ras-le-bol, après plusieurs années de frustrations, dans un contexte de pauvreté généralisée, où les services publics font cruellement défaut.
Ces violences ont été marquées notamment par la destruction d’écoles, d’hôpitaux, de sites protégés et d’une centaine de villages. Militaires et responsables provinciaux s’étaient lancés dans une surenchère verbale qui a accentué les tueries dans cette partie du territoire national, sous le regard distant de Kinshasa.
L’ONU s’en mêle
Des vidéos réalisées dans un hameau reculé et montrant un groupe de soldats congolais tirant froidement sur des partisans de Kamwina Nsapu, parmi lesquels des femmes, des enfants et des hommes sans défense, ont enflammé les réseaux sociaux. Ces images insoutenables ont fait le tour du monde, provoquant l’émoi de l’opinion publique en RD Congo et ailleurs. Kate Gilmore, numéro deux du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, a estimé que la situation dans le Grand Kasaï était l’« une des pires crises des droits humains dans le monde ».
Deux experts de l’ONU (un Américain et une Suédoise) y ont été tués dans des circonstances qui n’ont pas encore été éclaircies. Ils appartenaient à un groupe chargé notamment de superviser les sanctions infligées à la RD Congo par le Conseil de sécurité. Leurs corps sans vie ainsi que celui de leur interprète congolais ont été retrouvés à proximité d’un village reculé, quelques jours après des scènes de fraternisation entre des policiers et des miliciens Kamwina Nsapu dans les rues de Kananga ; Kinshasa accuse des membres de ces milices d’avoir commis ces meurtres.
Ces violences ont provoqué une crise humanitaire de grande ampleur. Dans son rapport du 2 octobre sur la mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RD Congo (Monusco), le secrétaire général de l’ONU note : « Dans la région du Kasaï, quelque 2,8 millions de personnes doivent composer avec une insécurité alimentaire critique, ce qui signifie que la proportion a augmenté de 600 % entre juin 2016 et juin 2017. […]. La perspective de maladies d’origine hydrique durant la prochaine saison des pluies reste une grave menace pour la population déplacée. »
Ce climat d’insécurité a poussé plus de 30 000 Congolais à traverser la frontière angolaise où ils ont été installés dans des camps de fortune. L’arrivée massive de ces réfugiés en Angola, en l’espace de quelques semaines, a influé négativement sur les relations entre les deux pays voisins qui oscillent traditionnellement entre méfiance et animosité.
Luanda, qui s’agace régulièrement de la venue de Congolais en situation irrégulière sur son territoire, procède par vagues successives à leur expulsion, souvent dans des conditions humiliantes qui irritent les organisations congolaises de défense des droits de l’homme, sans pour autant susciter une forte réaction à Kinshasa. Visiblement, la RD Congo ne souhaite pas se fâcher avec son voisin du sud, qui s’est affirmé, au fil des années, comme une puissance militaire et économique qui compte dans la région.
Des préconisations concrètes
La conférence de Kananga, jugée tardive par certains, s’est tenue après plusieurs mois de flottement : les autorités congolaises donnaient l’impression de subir les événements sans y apporter les réponses adéquates, à part une répression féroce, mettant en vedette policiers et militaires débordés et enclins à tuer, comme si l’usage excessif de la force était inéluctable et que toute tentative de négociation aurait été perçue comme un signe de faiblesse.
Ces travaux quoique boycottés par la frange la plus représentative de l’opposition, ont donné lieu à une série de recommandations destinées à la fois à enraciner la culture de la paix et à favoriser la réconciliation nationale dans le Grand Kasaï. La déclaration finale reprend une série de résolutions, notamment la création d’un observatoire de prévention des conflits, le désarmement de la population et la mise en oeuvre d’un plan d’urgence de développement de la région.
« Plus jamais de tueries, plus jamais de haine, mais désormais l’amour et la paix définitive dans notre espace », a prêché Ngoyi Kasandji, le gouverneur de la province du Kasaï oriental. De son côté, un porte-parole des partisans de Kamwina Nsapu a demandé pardon au nom de tous ses camarades.
Ces atrocités ont jeté une lumière crue sur la coexistence difficile du pouvoir coutumier et du pouvoir moderne en RD Congo où des pratiques d’un autre âge et des croyances ancestrales sont solidement ancrées dans les traditions en milieu rural.
Vers un nouveau report des élections
Plusieurs questions liées à ce dossier restent sans réponses. Les autorités congolaises se cabrent quand l’ONU appelle à une enquête indépendante pour établir les responsabilités. Auraient-elles quelque chose à cacher dans un pays où des responsables de l’armée sont régulièrement associés à des groupes armés et des réseaux criminels qui exploitent illégalement des minerais dans des localités reculées de l’est du pays, en proie à l’instabilité et à l’insécurité depuis plusieurs années ? La justice va-t-elle enfin sortir de sa torpeur habituelle pour accélérer les procédures visant à identifier et à sanctionner sévèrement les auteurs de cette tragédie à grande échelle ?
Cette crise a une incidence sur le processus électoral en cours : l’opération d’inscription des votants sur les listes électorales a été retardée dans le Grand Kasaï, exacerbant ainsi la tension née des reports successifs de l’élection présidentielle initialement prévue en novembre 2016.
Si elle a été présentée comme un pas important vers la réconciliation et le retour à la normale dans le Grand Kasaï où des charniers sont encore découverts au fur et à mesure, cette conférence a toutefois été considérée par une partie de la population locale comme une simple opération de communication sans lendemain.