Quelles perspectives pour les processus électoraux ?

Un ouvrage collectif décrypte avec minutie les avancées de l’Afrique en matière d’organisation des élections, à l’aune des nouvelles technologies. S’il prend appui sur la Guinée, plusieurs chapitres ont une portée plus large.
En Afrique subsaharienne, l’élection est devenue, depuis les années 2000, le premier facteur de conflit. La violence politique et électorale y survient, le plus souvent, à la suite de réactions incontrôlées de groupes qui ont été délibérément désavantagés au cours du processus électoral. Ce constat émane de Mathieu Mérino, en introduction de l’ouvrage collectif qu’il a dirigé en compagnie d’un autre politologue, Saïko Oumar Baldé, Quelles perspectives pour les processus électoraux en République de Guinée ?
Les enseignements et suggestions émises dans ce livre dépassent le cadre de la Guinée, pays en phase délicate de transition démocratique. Il traite des processus et des instances électorales, de la difficulté à les imposer durablement dans le paysage politique, des moyens d’en améliorer l’efficacité, notamment à l’aide des nouveaux outils numériques. L’indépendance et le rôle de la commission électorale (baptisée CENI, dans la plupart des pays) doivent être affirmés, quitte à privilégier le rôle de surveillance au détriment de celui d’organisateur de scrutin.
« Posséder une carte d’électeur biométrique, voter grâce à un terminal informatique, observer une élection grâce à son téléphone portable, c’est entrer dans une modernité qui jusque-là semblait vouloir exclure l’Afrique. »
Les Guinéens eux-mêmes semblent divisés quant à la confiance à accorder à l’administration dans la gestion du fichier électoral, nous apprend le dernier chapitre se basant sur des sondages auprès de citoyens. Les populations, en revanche, semblent disposées à faire confiance aux processus biométriques permettant le vote électronique, expérimenté en RD Congo depuis 2005. À condition d’avoir le soutien des partenaires techniques et financiers.
La première partie analyse l’apport des nouvelles technologies dans le processus démocratique. Les NITC ont été introduites « avec succès » dans de grands pays émergents comme l’Inde ou le Brésil, pourquoi n’en serait-il pas de même dans les pays africains ? Tandis que l’élite africaine s’interroge sur ces questions, les groupes privés spécialisés exercent leur travail de lobbying.
Restaurer la confiance des électeurs
Aujourd’hui, une trentaine de pays africains ont recours aux NITC, à des degrés divers, et « il est probable que le mouvement amorcé se généralise dans les années à venir, en commençant par des pays comme le Kenya, le Rwanda, le Maroc, le Nigeria », notent les auteurs.
De son côté, malgré une pénétration de l’Internet plutôt faible, la Guinée n’a pas échappé au mouvement. Les nouvelles technologies pourraient faire partie du prochain « cycle électoral » du pays. Un recensement de la population précède l’établissement du fichier électoral, puis l’organisation du processus de vote et d’établissement des résultats. « Toutefois, rien ne garantit que cette introduction de technologies nouvelles n’entraîne automatiquement une amélioration de la qualité et de la sincérité des futures élections, ni un renforcement de la confiance des électeurs guinéens dans leurs institutions », préviennent les auteurs, Gérard Gérold et Mathieu Mérino.
L’Afrique subsaharienne vit d’ailleurs une étape cruciale : « Les NITC n’ont pas encore fini de faire entrer les sociétés africaines dans la nouvelle ère du numérique qu’elles contribuent déjà à changer leurs relations avec le politique. » Les auteurs insistent : les solutions technologiques vont de pair avec la recherche d’efficacité et de crédibilité des élections.
Reste que le chemin est semé d’embûches : « La phase d’enregistrement des électeurs est souvent la plus longue, la plus coûteuse et la plus sensible à mettre œuvre », particulièrement dans les pays dépourvus d’état civil fiable. Cette phase mobilise moyens humains et financiers conséquents, – entre 40 et 50 millions de dollars, en RD Congo, en 2018-2019 –, et son échec sera synonyme de sources de tensions le jour du scrutin.
Dès lors, l’enregistrement biométrique semble pouvoir résoudre une grande partie des difficultés rencontrées. Il permet d’assurer l’identification unique des électeurs et de constituer un registre fiable. Il reste néanmoins coûteux en kits d’enregistrement et en formation des agents chargés de les utiliser, de l’ordre de 5 à 20 dollars par inscrit. Il doit aussi être actualisé avant chaque scrutin. Toutefois, « un retour à l’enregistrement manuel est inenvisageable » pour de nombreux pays, tandis que « les administrations chargées de l’état civil ne progressent que lentement, notamment en Afrique centrale et sahélienne ».
La Blockchain à l’aide ?
Les NITC exercent un rôle plus délicat le jour du scrutin, – un événement de plus en plus codifié selon des standards internationaux –, et plus encore lors de la phase d’après-vote. En 2017 au Kenya et en 2019 au Malawi, les tensions politiques furent exacerbées par une mauvaise organisation de cette phase. Laquelle tient en deux points : le raccourcissement du délai entre la fin du vote et l’annonce du résultat, ainsi que le haut degré de confiance du public dans le processus.
Ces deux points peuvent être renforcés par les transmissions par satellite des résultats, qui évitent les aléas de la route, les dangers d’erreurs de calcul et de transcription. Ce système, bien que coûteux, a été mis en œuvre dans des pays aussi divers que la RD Congo que le Burkina Faso ou le Togo. Lors des prochaines échéances, le Kenya pourrait inaugurer l’utilisation de la Blockchain, afin de réduire un peu plus les risques de fraude.
Ce chapitre sur les nouvelles technologies revient en détail sur leur utilisation et livre quelques « chemins vertueux » à emprunter. L’ouvrage constitue dès lors un outil préparatoire à la bonne gouvernance, s’adressant à tous les citoyens autant qu’aux politistes, aux juristes et aux politiciens. « Posséder une carte d’électeur biométrique, voter grâce à un terminal informatique, observer une élection grâce à son téléphone portable, c’est entrer dans une modernité qui jusque-là semblait vouloir exclure l’Afrique », concluent les auteurs qui appellent chacun à en saisir les enjeux.
Quelles perspectives pour les processus électoraux en République de Guinée ?
Sous la direction de Saïkou Oumar Baldé et Mathieu Mérino
Éditions du Panthéon ; editions-pantheon.fr.
Prix 22,50 euros (édition papier) ; 12,99 euros (édition numérique).
À noter, chez le même éditeur, la publication du Dictionnaire des partis politiques en République de Guinée, par Saïkou Oumar Baldé (édition numérique : 9,99 euros).

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