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Politique

Pourquoi les relations de l’Ouganda avec l’Occident se détériorent

Pourquoi les relations de l’Ouganda avec l’Occident se détériorent
  • Publiéseptembre 11, 2023

Alors que les dispositions discriminatoires de la loi ougandaise contre l’homosexualité commencent à peser sur la communauté gay du pays, la Banque mondiale gèle son financement. Les relations avec les États-Unis semblent menacées.

 

Peu de temps après avoir inscrit dans le droit ougandais l’une des lois anti-homosexualité les plus sévères au monde, le président Yoweri Museveni a prononcé un discours sur le rôle de l’Afrique dans la promotion des « valeurs familiales et de la souveraineté ».

L’« Afrique devrait montrer la voie pour sauver le monde de cette dégénérescence et de cette décadence, qui sont très dangereuses pour l’humanité », a déclaré le Président. « Si les personnes de sexe opposé cessent de s’apprécier les unes les autres, comment la race humaine pourra-t-elle se propager ? » Il s’est engagé à « ne jamais permettre la promotion et la publicité de l’homosexualité en Ouganda ».

« Les relations politiques ou bilatérales ne sont pas les seules à être affectées. Cette loi porte atteinte à la réputation du pays et à celle de tous les Ougandais qui vivent dans leur pays ou à l’étranger », juge le défenseur des droits humains Franck Mugisha.

Alors que les relations homosexuelles sont illégales en Ouganda depuis l’époque de la colonisation britannique, la nouvelle loi criminalise un éventail beaucoup plus large d’activités, y compris la « promotion de l’homosexualité », dont le libellé est vague. La peine d’emprisonnement pour « tentative de comportement homosexuel » a été portée à dix ans, tandis que les personnes reconnues coupables d’ « homosexualité aggravée » encourent désormais la peine de mort.

Roland Ebole, chercheur à Amnesty International, explique à African Business combien l’impact de la loi se fait déjà sentir : « Nous avons eu connaissance de cas de personnes expulsées de leur logement parce que leur propriétaire soupçonnait qu’elles s’identifiaient comme LGBT. Cela a engendré beaucoup de peur. Nous constatons des discriminations dans la manière dont les soins de santé sont fournis. En ce moment même, Amnesty prépare une sorte de réponse pour les personnes qui ont été arrêtées parce qu’elles auraient eu des relations homosexuelles. »

 

Menaces sur les relations entre les États-Unis et l’Ouganda

La loi ougandaise contre l’homosexualité a été largement critiquée par les alliés occidentaux du pays. Les États-Unis, qui entretiennent traditionnellement un vaste partenariat avec l’Ouganda dans tous les domaines, de la coopération militaire à la fourniture de soins de santé, se sont montrés particulièrement virulents. En mai, le président américain Joe Biden a qualifié la loi de « violation tragique des droits universels de l’homme ».

Le secrétaire d’État Antony Blinken a déclaré qu’il envisageait d’imposer des restrictions en matière de visas aux fonctionnaires ougandais responsables de violations des droits de l’homme, mais les États-Unis se sont jusqu’à présent abstenus d’imposer des sanctions au pays d’Afrique de l’Est.

Roland Ebole précise qu’Amnesty fait pression sur l’Union européenne pour qu’elle déclenche ses sanctions globales en matière de droits de l’homme, mais qu’elle ne l’a pas fait non plus. La réponse la plus sévère est venue de la Banque mondiale, qui a annoncé en août qu’elle gèlerait tout nouveau financement public en faveur de l’Ouganda.

États-Unis et l’Ouganda ont collaboré sur des questions militaires depuis l’ère Reagan, l’Ouganda devenant un allié essentiel des États-Unis en Afrique centrale et orientale. L’Ouganda a été particulièrement précieux pour les États-Unis dans son rôle de lutte contre le terrorisme en Somalie, dans le cadre des missions de l’Union africaine dans le pays.

Le gouvernement américain a également été particulièrement actif dans le renforcement des systèmes de santé et la restauration de l’économie. Combien de temps cela pourra-t-il durer, étant donné que l’Ouganda est aujourd’hui en désaccord avec les valeurs que les États-Unis prétendent défendre ?

L’avocate Maria Burnett, identifie « le potentiel de changement » dans les relations entre les États-Unis et l’Ouganda. « Les États-Unis sont de plus en plus conscients de la détérioration des droits de l’homme et des problèmes démocratiques. Non seulement à la lumière de la loi anti-homosexualité, mais aussi en raison des élections fédérales, en 2021, qui n’étaient manifestement pas libres et équitables et qui ont donné lieu à des harcèlements, des arrestations, des détentions et des violences à l’encontre de l’opposition », explique cette spécialiste des droits humains.

Maria Burnett note également que la nouvelle loi pose un risque direct pour les Américains en Ouganda et les fonctionnaires du gouvernement américain. « Si vous essayez de travailler dans un pays qui dispose d’une loi stipulant que tout individu ayant connaissance d’une personne susceptible d’avoir une relation homosexuelle doit la dénoncer, cela crée une situation dans laquelle le personnel de l’ambassade des États-Unis, le personnel de la Banque mondiale, ne sont pas seulement susceptibles d’être attaqués par ces lois, mais sont des rapporteurs mandatés par la loi », prévient-elle.

 

Quid des soins de santé ?

Selon la juriste, il est particulièrement difficile pour les États-Unis d’aider l’Ouganda dans le domaine des soins de santé, car le système de santé est devenu l’un des principaux vecteurs de discrimination à l’encontre de la communauté LGBT ougandaise. La loi contre l’homosexualité réduit l’accès aux services de santé pour les personnes LGBT, et le Harvard Global Health Institute a également averti que la loi pourrait « saper les campagnes de santé publique, notamment la lutte contre le VIH, en décourageant les comportements de recherche de santé par peur de la sanction et de la marginalisation ».

Aussi, la loi rend « très difficile pour les États-Unis d’apporter le type de réponse sanitaire significative qu’ils souhaitent apporter, et qu’ils apportent depuis si longtemps, en Ouganda. Il est impossible, en vertu de cette loi, de fournir des soins de santé de manière non discriminatoire », explique Maria Burnett. Le principe de non-discrimination fait partie du droit américain, de la politique étrangère des États-Unis et de la Constitution américaine.

Yoweri Museveni

Du point de vue des États-Unis, le fait de ne pas réduire leur aide à l’Ouganda risque également d’encourager d’autres pays de la région à adopter des lois similaires. Frank Mugisha, directeur exécutif de Sexual Minorities Uganda (SMUG), considère que « les États-Unis devraient adopter une position très ferme parce que nous sommes sur une trajectoire préoccupante ». Et de prévenir : « Une loi similaire est sur le point d’être adoptée au Ghana. L’Ouganda a récemment organisé une « conférence sur les valeurs familiales » et invité des parlementaires de toute l’Afrique à y participer, et voilà qu’un parlementaire kenyan a rédigé un projet de loi anti-gay. Le Malawi est préoccupant, tout comme le Burundi, le Somaliland, la Tanzanie et l’Éthiopie. Bien sûr, nous savons qu’il y a eu des avancées en Namibie, au Botswana et en Angola, mais ces avancées pourraient être inversées. »

 

Vers un rapprochement avec la Chine ?

L’une des difficultés que rencontrent les États-Unis pour élaborer une réponse à la loi anti-homosexualité, outre leurs relations profondes et étendues avec l’Ouganda, est que Museveni a menacé de chercher à se rapprocher de la Chine au moment même où les États-Unis tentent de contrer l’influence de leurs adversaires en Afrique.

Yoweri Museveni a condamné la décision de la Banque mondiale, considérant que cette institutin, ainsi que le FMI, n’« apportent aucune valeur ajoutée au pays » et sont « anti-croissance ». Asuman Basalirwa, le législateur qui a rédigé la loi contre l’homosexualité, a déclaré que l’Angola « doit chercher de nouveaux amis », le Président indiquant également qu’il se tournerait vers Pékin pour l’« aider à transformer l’économie ».

La Chine a offert à l’Ouganda des prêts et des financements par le passé, mais elle est accusée de pratiquer une « diplomatie du piège de la dette » dans le pays et dans d’autres régions d’Afrique. En 2021, l’idée que la Chine pourrait prendre le contrôle du seul aéroport international de l’Ouganda à Kampala si le pays d’Afrique de l’Est n’était pas en mesure d’honorer un prêt de 200 millions de dollars a suscité un tollé, bien que l’ambassade de Chine ait démenti ces affirmations.

Franck Mugisha doute que les tentatives visant à remplacer le financement occidental par des sources alternatives soient couronnées de succès. « Même si nous obtenions des fonds et un soutien de la Chine ou d’autres pays asiatiques, et non de l’Occident, nous ne serions pas en mesure d’égaler la contribution de la Banque mondiale », juge le représentant du SMUG. Selon qui les nécessités économiques font que « le gouvernement ougandais finira par comprendre la nécessité de protéger les droits de l’homme ».

 

Réputation entachée

L’avocate Maria Burnett doute aussi que la rhétorique anti-occidentale de Museveni équivaille à un réalignement significatif de la politique étrangère de l’Ouganda. « Tout au long de son mandat, le président Museveni a conclu des alliances chaque fois que cela l’arrangeait politiquement. Il a entretenu des relations avec la Corée du Nord, la Russie, la Chine et les États-Unis. Son leadership ne repose pas sur d’autres principes que ceux qui lui permettent de conserver le pouvoir. »

Dans ces conditions, il semble que l’Ouganda doive faire des concessions s’il veut éviter de graves dommages économiques à un moment où il est déjà confronté à l’héritage de la Covid-19 et à une situation macroéconomique mondiale difficile. Les effets économiques potentiels de la loi sont déjà apparus clairement.

Le militant ougandais pour les droits des homosexuels, Frank Mugisha.
Le militant ougandais pour les droits des homosexuels, Frank Mugisha.

Le shilling ougandais a plongé à la suite de la décision de la Banque mondiale, et le gouvernement a également été contraint de réviser son budget 2023-2024 et de réduire ses dépenses à la lumière de cette décision. Des appels ont été lancés pour que les touristes étrangers boycottent l’Ouganda, ce qui, si cela se produisait, affecterait considérablement une industrie qui emploie près de 15 % des Ougandais.

Maria Burnett estime que les entreprises internationales actives dans le pays, notamment les compagnies pétrolières et aériennes, pourraient être confrontées à « un véritable champ de mines lorsqu’elles essaient de faire des affaires en Ouganda ». La situation pourrait inciter ces entreprises à réduire leur exposition au marché ougandais, voire à s’en retirer complètement.

Mais l’impact le plus immédiat et le plus significatif de la loi a été ressenti non pas par les entreprises, mais par les particuliers et par des millions d’Ougandais dans le monde entier.

« La réputation internationale de l’Ouganda est entachée. Les relations personnelles sont endommagées. J’ai des amis qui vivent à l’étranger, qui ne sont pas nécessairement homophobes mais qui ont été traités d’homophobes parce qu’ils viennent d’un pays qui criminalise les personnes LGBT », déplore Franck Mugisha.

@NA

 

Écrit par
Harry Clynch

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