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Politique

Pourquoi le Kenya se tourne vers l’Occident

Pourquoi le Kenya se tourne vers l’Occident
  • Publiémars 22, 2023

Le président kenyan William Ruto embrasse les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres pays occidentaux, ce qui amène les observateurs à se demander si les jours d’étroite collaboration avec la Chine ne touchent pas à leur fin.

 

 

Les signes sont-ils trompeurs ? Après des années de brouille entre le Kenya et les États-Unis, sous l’administration Trump, le président William Ruto semble donner des signes d’ouverture aux Occidentaux. Il n’a pas rechigné à se rendre au récent sommet des leaders américano-africains organisé par le président Biden, une occasion pour les États-Unis de rétablir des relations stratégiques sérieusement endommagées.

Outre des réunions du secteur privé avec Google et la Fondation Rockefeller, et de vastes discussions sur la croissance économique, la sécurité et les relations politiques, le président kényan a pu déclarer : « Le Kenya et les États-Unis d’Amérique sont unis par leur engagement commun en faveur de la démocratie, de la prospérité économique et de la paix régionale. Nous continuerons à travailler ensemble pour élargir notre partenariat stratégique dans l’intérêt mutuel des citoyens de nos pays. »

« Il s’agit moins de faire un pivot dur vers l’Occident que d’essayer d’équilibrer les différentes opportunités. William Ruto doit gérer la Chine davantage comme un créancier que comme un partenaire sur les grandes infrastructures. »

William Ruto, qui a battu le vétéran Raila Odinga, candidat de l’opposition, lors d’une élection serrée en août – et qui continue aujourd’hui de ferrailler avec lui –, est en terrain connu. Depuis qu’il a pris ses fonctions, il a renforcé les relations économiques et diplomatiques du Kenya avec les États-Unis et d’autres pays occidentaux, dont le Royaume-Uni, ce qui a amené les observateurs à se demander si la politique « Look East » de son prédécesseur, qui a vu les infrastructures construites par la Chine apparaître dans tout le pays d’Afrique de l’Est, touchait à sa fin.

Face aux allégations de responsables américains concernant les prêts prédateurs accordés par la Chine aux pays africains, que de nombreux experts Chine-Afrique jugent injustes, et aux inquiétudes suscitées par la dette publique croissante du Kenya, William Ruto a fait campagne en partie sur une plateforme sceptique à l’égard de Pékin.

Les plans visant à rendre publics les contrats gouvernementaux secrets signés avec Pékin pour des projets d’infrastructure, à mettre fin au boom des emprunts d’infrastructure et à expulser les travailleurs chinois qui font des travaux que les Kenyans pourraient faire – tout cela était du pain béni pour la base ouvrière de Ruto, à qui l’on avait promis un changement de paradigme économique qui stopperait les « arnaqueurs » du Kenya.

Tout cela s’est produit dans la foulée de la construction d’infrastructures par son prédécesseur, Uhuru Kenyatta, qui comprenait une voie ferrée à écartement standard (SGR) reliant Nairobi et Mombasa et une voie rapide de 27 km à Nairobi – la première de ce type en Afrique. Ces deux projets ont été construits et financés par la Chine. Aujourd’hui, Pékin représente les deux tiers de la dette extérieure de 38 milliards de dollars du Kenya. En octobre, Nairobi a manqué à ses obligations de remboursement, encourant une amende qu’elle a payée.

Xi Jinping a adressé des félicitations après la victoire de Ruto. « J’attache une grande importance au développement des relations entre la Chine et le Kenya, et je suis prêt à travailler avec le président Ruto pour favoriser le développement du partenariat stratégique global de coopération entre la Chine et le Kenya, dans l’intérêt des deux pays et des deux peuples », a déclaré le président chinois. Lors de sa rencontre avec l’ambassadeur de Chine après sa victoire aux élections, William Ruto a déclaré que son programme électoral proposait un plan d’engagement plus profond entre le Kenya et son principal créancier.

Après avoir pris ses fonctions, son gouvernement a publié le contrat SGR, mais sous une forme fortement expurgée. Il a également envoyé un coup de semonce à Pékin en permettant aux importateurs de choisir leur moyen de transport préféré depuis le port de Mombasa, mettant fin à la politique de son prédécesseur qui imposait l’utilisation du SGR construit par les Chinois. Nombre d’entre eux ont choisi de transporter les marchandises par camion, privant ainsi le chemin de fer de ses activités.

 

Les ouvertures donnent des résultats

Les ouvertures claires de William Ruto à Washington ont été en contraste frappant. Bien qu’il n’ait rencontré l’ambassadeur de Chine qu’une seule fois, selon les déclarations publiques, le président et son adjoint Rigathi Gachagua ont rencontré des responsables américains de haut niveau près de vingt fois depuis septembre. À Nairobi, il a déclaré à la secrétaire d’État américaine à l’agriculture, Jewel Bronaugh, que le Kenya était prêt à conclure de nouveaux accords commerciaux avec les États-Unis dans le cadre de la loi sur la croissance et les opportunités en Afrique.

Il a promis à des chefs d’entreprise américains que son administration mettrait en place un environnement favorable aux entreprises afin de stimuler les investissements directs étrangers, la création de richesses et la croissance de l’emploi. Il a également rencontré Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, pour discuter du commerce et des investissements, et a convenu avec l’ambassadrice américaine au Kenya, Meg Whitman, de renforcer les liens dans les domaines du commerce, de l’agriculture, de la santé et de la sécurité régionale.

Ces ouvertures semblent donner des résultats. Moderna commencera bientôt à fabriquer des vaccins au Kenya, rejoignant ainsi de grandes entreprises américaines telles que General Electric, Meta, Google et Microsoft qui s’implantent dans ce pays d’Afrique de l’Est. Après des discussions avec Mike Hammer, l’envoyé spécial des États-Unis pour la Corne de l’Afrique, le Kenya a renforcé son rôle de maintien de la paix en Éthiopie et en RD Congo, déchirées par la guerre, et a même déployé des troupes au Congo.

En septembre, l’ambassade des États-Unis à Nairobi a tweeté avec fierté que les États-Unis étaient désormais le premier marché d’exportation du Kenya, en grande partie grâce à la croissance du secteur textile, dans lequel l’administration de William Ruto souhaite créer cinq millions de nouveaux emplois. En ce qui concerne les importations, les États-Unis occupent la septième place.

« Une grande partie de cette situation est liée aux revenus commerciaux – les États-Unis sont la plus grande destination d’exportation pour les produits kenyans et les relations commerciales sont beaucoup plus équilibrées qu’avec la Chine. La Chine est de loin la première source d’importations du Kenya, mais le déséquilibre est énorme par rapport aux exportations », explique Fergus Kell, de Chatham House.

« Le programme économique de Ruto s’articule autour de l’accroissement de la productivité dans des secteurs tels que la fabrication et l’agriculture, et les États-Unis sont considérés comme une destination clé pour les exportations de ces secteurs. L’ambition est également de réduire la dépendance aux importations par le biais de la production locale, ce qui aurait des répercussions sur la part importante de biens importés par la Chine. »

Lors de la conférence sur le climat de la COP27 en Égypte, William Ruto a discuté de l’atténuation du changement climatique avec Kristalina Georgieva, la directrice du FMI. Début novembre, le prêteur a accepté de verser 433 millions de dollars au Kenya dans le cadre d’un prêt de 2,34 milliards $ approuvé en mai 2022. Le Kenya avait accepté les conditions du FMI, notamment la suppression des subventions sur le carburant et la farine de maïs – qui pouvaient donner lieu à des abus –, la réduction des dépenses publiques et la gestion de la dette.

Entre-temps, le premier voyage officiel du nouveau ministre britannique des affaires étrangères, James Cleverly, a eu lieu au Kenya au début du mois de décembre. La Grande-Bretagne a promis des centaines de millions de dollars pour de nouveaux projets d’investissement au Kenya. Le Royaume-Uni a des liens historiques forts avec le Kenya en tant qu’ancienne puissance coloniale, mais il a vu son influence diminuer ces dernières années avec le virage du pays africain vers la Chine.

 

Le portefeuille de prêts de la Chine pour l’Afrique est épuisé

Certains experts estiment que le rapprochement du Kenya avec les États-Unis en dit plus sur l’évolution des priorités de Pékin et les difficultés économiques du Kenya que sur la politique américaine.  « Il est clair depuis un certain temps que le carnet de prêts de la Chine pour l’Afrique est au maximum et que la Chine est extrêmement parcimonieuse en termes d’argent frais net », explique Aly-Khan Satchu, économiste et PDG de Rich Management, basé à Nairobi. Le signal a été émis en 2016 lors de la réunion du Forum sur la coopération sino-africaine, où Xi Jinping a parlé de « La fin de la vanité », faisant référence aux prêts chinois sur le continent. « Le président Ruto a hérité d’un bilan où le service de la dette consomme plus de 50 % des revenus du gouvernement, et d’une économie décrite à juste titre comme présentant un risque élevé de surendettement. »

Selon l’économiste Reginald Kadzutu, PDG d’Amana Capital à Nairobi, la faiblesse de l’économie kenyane n’a laissé à William Ruto d’autre choix que de chercher de nouveaux investissements et partenariats. « Il ne peut plus obtenir d’argent de l’Est, alors il essaie de jouer la carte du retour à l’Ouest. Le Kenya doit stimuler son secteur manufacturier dans l’agroalimentaire et combler les lacunes du commerce intra-africain pour avoir une chance raisonnable d’obtenir une croissance rapide et durable de la production qui sorte les gens de la pauvreté. »

 

À la recherche d’amis fortunés

Même avec des liens économiques plus étroits avec les États-Unis, l’économie du Kenya est en grande difficulté. Le pays aurait un trou de 5 milliards de dollars dans son budget. La productivité du travail a stagné ces dernières années et la dette du pays est de plus en plus insoutenable dans un contexte de déficit budgétaire et de forte dépendance aux importations.

Selon les analystes, la pauvreté, les inégalités, le chômage des jeunes et la faiblesse des investissements du secteur privé restent des problèmes endémiques.

L’inflation atteint un peu moins de 10 %, ce qui a incité la banque centrale du Kenya à relever ses taux d’intérêt, et le shilling kenyan s’est effondré par rapport au dollar en 2022. Et si la Banque mondiale note une incertitude élevée due à l’exposition du Kenya à la hausse des prix mondiaux en tant qu’importateur net de carburant, de blé et d’engrais.

William Ruto et Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies.
William Ruto et Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies.

 

Dans ce contexte économique difficile, et alors que sa base électorale attend beaucoup d’une campagne électorale éprouvante, William Ruto doit trouver des amis fortunés partout où il le peut. Peu de temps après son entrée en fonction, il s’est rendu en Corée du Sud et a reçu 1 milliard de dollars pour le financement de projets, notamment pour une ville technologique à Konza, à 80 km au sud de Nairobi, qui a été présentée comme la Silicon Valley de l’Afrique.

« Dans l’ensemble, il s’agit moins de faire un pivot dur vers l’Occident que d’essayer d’équilibrer les différentes opportunités », juge Fergus Kell de Chatham House. « Ruto doit gérer la Chine davantage comme un créancier que comme un partenaire sur les grandes infrastructures. » Cela s’explique par le fait que la largesse de la Chine en Afrique touche lentement à sa fin en raison des turbulences de l’économie chinoise.

Reginald Kadzutu est sceptique quant aux chances de réussite économique, même avec une réorientation vers les États-Unis. « Je ne vois pas de nouvelles entreprises arriver. Si nous nous donnons six mois environ, nous aurons une idée plus précise des flux d’investissements étrangers. Le marché de la consommation kényan est relativement petit, avec peu de revenus disponibles et un environnement commercial peu compétitif en termes de coûts. »

« Le Kenya beaucoup de travail à faire pour rendre le pays attractif aux investissements étrangers transformateurs. La stratégie du Look West, si elle ne s’accompagne pas de prêts concessionnels à long terme, a peu de chances de  fonctionner. »

@NA

 

Écrit par
Charlie Mitchell

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