Pierre Buyoya et la démocratie

Deux fois chef de l’État, Pierre Buyoya a été l’un des principaux artisans de l’apaisement interethnique et du renouveau démocratique au Burundi. Selon lui, la démocratie est un processus qui prend du temps, mais qui progresse en Afrique.
Quel doit être le rôle de l’opposition, en Afrique aujourd’hui ?
L’opposition est d’abord un instrument du fonctionnement de la démocratie. Laquelle suppose qu’il y ait des gens au pouvoir et d’autres dans l’opposition pour critiquer le gouvernement, proposer des alternatives. En Afrique, on trouve plusieurs sortes d’oppositions : l’opposition parlementaire, l’opposition extraparlementaire. À l’époque où j’étais aux affaires, j’ai même connu l’opposition armée ! Dans les systèmes démocratiques, l’opposition s’exprime au sein du Parlement sur les questions d’intérêt national, vote ou non les lois, propose des amendements. Tout cela fait vivre la démocratie et permet que toutes les couches de la population, les courants d’idées qui traversent la société puissent s’exprimer. Le vrai problème, c’est qu’en Afrique, bien souvent, les oppositions sont très faibles et ne pèsent pas suffisamment sur le cours des événements. L’opposition est très utile parce qu’elle permet aussi d’éviter les dérives autocratiques et les travers du parti unique.
Cette description est celle d’un monde idéal où la constitution est respectée et où chacun a sa place. Mais on voit bien qu’en Afrique, il y a souvent une forte tension entre pouvoir en place et opposition…
L’Afrique est composée de jeunes démocraties. Ce jeu entre l’opposition et le pouvoir n’était pas très connu dans les régimes africains traditionnels. Par exemple, au Burundi, qui est une vieille nation, nous avions une monarchie et être opposant était un crime de lèse-majesté. Quand est venu le temps de la démocratisation, il a été très diffi cile de trouver un mot dans notre langue, pour désigner l’opposition, parce qu’elle n’existait pas. Il faut donc inventer ces choses-là. Il est normal qu’il y ait des dysfonctionnements. Partout dans le monde, la démocratie a été un processus jusqu’à ce qu’elle soit rodée et acceptée par tous.
Vous-même, pourtant, êtes arrivé deux fois au pouvoir par un coup d’État. Cela veut-il dire que le dialogue peut parfois être bloqué, voire impossible ?
Mon parcours politique ne relève pas de cela ! Je suis arrivé la première fois au pouvoir en 1987, alors que le Burundi était encore sous un régime de parti unique. Il fallait éviter une explosion ethnique et l’armée a pris ses responsabilités. En 1996, nous vivions une crise sécuritaire qui menaçait le pays dans tout ce qu’il a de vital, et ma venue au pouvoir a été saluée par l’opposition, les gens du gouvernement et la société civile, parce qu’il fallait s’en sortir d’une façon ou d’une autre. Certains tentent de m’enfermer dans le passé. Mais je suis parmi les plus grands défenseurs et promoteurs de la démocratie dans mon pays et en Afrique. Aujourd’hui, le Burundi est démocratique, parvenir à ce résultat a constitué un tour de force ! Ceux qui étaient opposés à cette démarche constatent que, même pour la minorité, la démocratie est meilleure parce qu’elle leur offre les moyens de s’exprimer et de se défendre.