Parole de Edem Kodjo
L’ancien Premier ministre du Togo, qui dirige aujourd’hui la fondation Pax Africana, Edem Kodjo, considère que l’Union africaine devrait s’impliquer davantage dans les processus démocratiques. Il salue l’exemple du Nigeria.
Près de 60 ans après les indépendances africaines, pourquoi le processus démocratique piétine encore ?
La démocratisation n’a véritablement démarré, dans une importante partie du continent africain, que pendant les premières années de la décennie 1990. Les pays africains étaient gouvernés, jusque-là, sous le mode du parti unique. Laborieusement, certains États sont convenus que la démocratisation apporte un plus. On a assisté à beaucoup de réticences des anciens partis uniques. D’ailleurs, les partis politiques issus de ce processus ne sont pas encore devenus eux-mêmes démocratiques. Il n’est donc pas surprenant que les progrès en Afrique n’aient pas été plus spectaculaires. Cependant, il faut bien convenir qu’un pas en avant a été fait dans cette démocratisation, même si on est loin du but.
Il existe pourtant des îlots remarquables d’ancrage démocratique…
Nous sommes 54 pays de cultures importées différentes, avec un rapport au droit qui n’est pas forcément identique d’un État à l’autre, même s’il existe une unité culturelle de l’Afrique noire. L’on peut constater, grosso modo, que dans les pays anglophones, il y a plus de légalisme, de respect du droit constitutionnel que dans certains pays francophones. On ne peut pas attendre que les 54 pays aillent de concert vers les progrès démocratiques souhaités, lesquels relèvent avant tout de leur souveraineté. Avec une Union africaine plus prégnante, probablement, les choses ne se seraient pas passées de cette manière. On avance dans tous les cas, peut-être péniblement, vers des horizons qui seront de plus en plus démocratiques en Afrique. Quitte à ce qu’un débat s’instaure à l’Union africaine sur cette problématique. Il faut saluer au passage les efforts que la Cedeao a entrepris en matière de limitation des mandats présidentiels, et regretter qu’elle ne soit pas encore parvenue à légiférer autour de cette limitation. Un cadre pourrait servir de modèle pour les autres communautés régionales du continent ainsi que pour l’Union africaine elle-même.
Pour y parvenir, après la Charte des droits de l’homme et des peuples, en 1981, ainsi que la Charte sur les élections, la démocratie et la gouvernance en 2007, de quel type d’instrument l’UA doit-elle se doter ?
Entendons-nous bien : beaucoup considèrent que la limitation des mandats présidentiels ne peut se faire qu’autour de deux mandats. Je ne crois pas qu’on doive être aussi défi nitif sur le sujet. Nous devons mener des études sur la réalité de l’organisation du pouvoir à ce niveau-là. On peut concevoir un mandat de sept ans ; on peut aussi concevoir deux mandats de cinq ans ou même trois de quatre ou cinq ans, etc. L’idée doit faire l’objet d’une réfl exion approfondie ! Mais, ce qui est essentiel, c’est le principe de la limitation des mandats. Un homme, si puissant, clairvoyant soit-il, ne peut pas continuellement donner le meilleur de lui-même au service d’une nation jeune qui fait face à des problèmes urgents de croissance inclusive.
Pourtant, les croissances économiques sont élevées. Ne peut-on y voir là une prime à la fossilisation des pouvoirs ?
Cette remarque peut vous être retournée ! On peut aussi remarquer que dans les pays qui pratiquent l’alternance, le développement s’y fait… L’histoire démontre que les pays de la planète qu’on présente aujourd’hui comme des modèles démocratiques, ont connu des systèmes fascistes ou fascisants à leur direction, sans aucune considération de mandats. Certains de ces systèmes de gouvernance ont pu développer les pays qu’ils contrôlaient !
Certains intellectuels africains estiment que la non-limitation de mandats de l’exécutif n’est pas le propre de l’Afrique et ne compromet pas automatiquement la croissance économique…
Ce genre d’arguments ne tient pas ! On pourra, dans la même dynamique, établir d’autres rapprochements. Vous aurez constaté que dans le plus grand pays du monde cité pour sa démocratie, les États-Unis, même un bon Président comme Bill Clinton a quitté la Maison Blanche au bout de huit ans. Les USA ne se sont pas effondrés pour autant… Il en va de même pour les gouvernants indiens. Le vrai problème est d’identifi er le type de système d’alternance convenant à chaque pays, et la manière dont on se détermine pour élire un dirigeant.
La dernière alternance pacifique réalisée au Nigeria est-elle à même de susciter une nouvelle donne de la dévolution démocratique du pouvoir en Afrique, à commencer par l’Ouest ?
Il faut que l’exemple nigérian déteigne sur les autres pays de la Cedeao. Il a tout simplement été magnifi que. Qui eût cru, il y a encore quelques mois, que le Nigeria pouvait organiser des élections si parfaites ? L’Union africaine devrait aller étudier sérieusement le système utilisé par les Nigérians : la technicité de l’informatisation utilisée était au-dessus de toute critique. Il faut en faire une sorte de dogme que les pays africains devraient utiliser et expliquer !