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Politique

Niger : une force d’intervention ouest-africaine est-elle possible ?

Niger : une force d’intervention ouest-africaine est-elle possible ?
  • Publiéaoût 11, 2023

La CEDEAO a ordonné le déploiement d’une force militaire en attente en réponse au coup d’État militaire du 26 juillet au Niger. Au-delà de la décision ferme, attendue, certains spécialistes doutent de la possibilité d’une intervention armée.

 

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a ordonné le déploiement d’une force en attente, alors qu’elle envisage une intervention militaire en réponse au coup d’État au Niger. Dans un communiqué, l’organisation a demandé à son comité des chefs d’état-major « d’activer rapidement la force en attente de la CEDEAO avec tous ses éléments ».

Cette directive fait suite à un sommet extraordinaire qui s’est tenu jeudi à Abuja, au Nigeria, pour examiner la situation politique au Niger, où un coup d’État mené le 26 juillet par le général Abdourahamane Tchiani, ancien commandant de la garde présidentielle nigérienne, a déposé et détenu le président élu, Mohamed Bazoum.

Une nouvelle réunion des chefs d’état-major se tiendra durant la semaine du 14 août, et non pas ce 12 août comme prévu initialement.

Le président de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat publie ce 11 août dans un communiqué son ferme soutien aux décisions de la CEDEAO au sujet du changement anti-constitutionnel au Niger.

Toutefois, aucun détail concernant le nombre de soldats, les pays contributeurs ou le financement n’a été divulgué jusqu’à présent, et il n’est pas certain que le déploiement représente un pas décisif vers une intervention militaire. 

La décision de la CEDEAO intervient après l’expiration, le 6 août, de l’ultimatum d’une semaine fixé par l’organisation pour le retour de Bazoum au pouvoir. Malgré cela, les putschistes sont restés inflexibles et la date limite a été dépassée sans qu’aucune action n’ait été entreprise. Tchiani a lu une déclaration à la télévision nationale mercredi soir, annonçant la formation d’un nouveau gouvernement de 21 membres pour son administration transitoire, appelé « Conseil national pour la sauvegarde de la patrie ».

Lors de l’annonce du déploiement de la force en attente, la CEDEAO a noté que « tous les efforts diplomatiques entrepris par la CEDEAO pour résoudre la crise ont été repoussés par les dirigeants militaires de la République du Niger ».

 

La CEDEAO interviendra-t-elle ?

Ebenezer Obadare, chargé d’études au Council on Foreign Relations de Washington, explique à NewAfrican que la CEDEAO n’avait d’autre choix que d’adopter une position ferme.

« Après l’expiration de l’ultimatum d’une semaine lancé à la junte nigérienne pour qu’elle rétablisse la démocratie, et compte tenu du rejet par cette même junte des négociations diplomatiques répétées, le bloc régional n’avait d’autre choix que d’adopter une position ferme ».

« La réponse à ce coup d’État particulier a été différente parce qu’il est le dernier d’une série, le sixième dans la région au cours des deux dernières années. La CEDEAO estime à juste titre qu’une ligne doit être tracée quelque part, de peur que le reste de la région ne tombe sous l’influence de l’armée », juge Ebenezer Obadare.

Évoquant « la grande inconnue » que représente une éventuelle intervention militaire, elle « dépendra de la qualité des renseignements dont disposent les chefs militaires de la CEDEAO et de la situation sur le terrain au Niger », explique le chercheur. 

« Cela dit, je n’ai aucun doute sur le fait que c’est la bonne décision, non seulement pour le Niger, mais aussi pour le développement à long terme de la région. Si la CEDEAO réussit à déloger la junte et à rétablir le président Bazoum, un message sera envoyé aux putschistes potentiels en Afrique de l’Ouest, voire sur l’ensemble du continent. »

 

L’opposition à l’intervention militaire se renforce au Nigeria

Depuis le début de la crise, le président en exercice de la CEDEAO et président du Nigeria, Bola Tinubu, a été déterminé à envoyer des messages clairs à la junte militaire au Niger.

Le 2 août, une semaine après le coup d’État, le Président a demandé à la Transmission Company of Nigeria (TCN) de suspendre l’approvisionnement en électricité du voisin septentrional du pays, qui partage une frontière de 1 600 km. Le 10 août, il a conclu le sommet d’urgence de la CEDEAO en affirmant que « toutes les options restent sur la table », y compris le recours potentiel à la force.

Toutefois, le président récemment élu se heurte à une forte opposition dans son pays quant à l’utilisation de la force pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger.

Les sénateurs et les chefs religieux du nord du Nigeria, en particulier, s’opposent à l’engagement d’un conflit avec un pays voisin avec lequel ils partagent des liens ethniques, religieux et historiques étroits.

Le 4 août, le Northern Senators Forum (NSF) a publié une déclaration appelant à la prudence face à une intervention militaire tant que toutes les voies diplomatiques n’ont pas été épuisées.

Le NSF a fait remarquer que le Niger a des frontières communes avec sept États du Nord et que les citoyens de ces États pourraient subir des conséquences négatives si le Nigeria prenait part à une action militaire.

De plus, le Jama’atu Nasril Islam (JNI), qui regroupe les organisations musulmanes nigérianes, a mis en garde contre la poursuite d’une action militaire comme moyen de rétablir la démocratie.

Lors d’une émission de télévision locale, Teniola Tayo, économiste en chef du groupe de réflexion du gouvernement nigérian Office for Strategic Preparedness and Resilience (OSPR), a également mis en garde contre les répercussions potentielles.

« En décrivant ce que certains considèrent comme une intervention chirurgicale, nous risquons de négliger le potentiel de conflit prolongé si nous ne faisons pas preuve de prudence. Nous devons prendre en compte le bien-être des 300 000 réfugiés nigérians au Niger, qui pourraient être mis en danger en cas de guerre totale », a-t-elle déclaré.

« En outre, la stabilité générale du Niger est un sujet de préoccupation, car le pays sert traditionnellement de tampon entre le Nigeria et la Libye. Des problèmes tels que l’insurrection touareg pourraient s’aggraver en cas de conflit. ».

Teniola Tayo a également souligné le coût substantiel qu’une intervention pourrait imposer à l’armée nigériane, déjà débordée.

« Notre armée nigériane est déjà à bout de souffle. Même si d’autres pays peuvent apporter leur contribution, le gros de l’intervention militaire incomberait probablement au Nigeria en raison de sa plus grande capacité. Cependant, nos militaires sont actuellement déployés dans 32 des 36 États, ce qui les met à rude épreuve. »

Enfin, « il subsiste un potentiel de soulèvement, étant donné les liens culturels entre certaines régions du nord du Nigéria et certaines parties du Niger. Le risque qu’un président du sud du Nigeria déclare la guerre à un groupe culturel ayant des liens à la fois avec le Niger et le Nigeria pourrait exacerber les tensions ».

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En bref

Soutien de l’Union africaine à la CEDEAO

Le président de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat publie ce 11 août dans un communiqué son ferme soutien aux décisions de la CEDEAO au sujet du changement anti-constitutionnel au Niger.

Il exprime ses vives préoccupations relativement à la détérioration des conditions de détention du président Mohamed Bazoum.

En effet, juge-t-il, des sources concordantes attestent d’une dégradation inquiétante de telles conditions. Aussi, le président de la commission interpelle-t-il les autorités militaires sur l’urgence de stopper l’escalade avec l’organisation régionale, la défiance à son égard et la poursuite de la séquestration du Président dans des conditions qui se dégradent de facon inquiétantes.

« Un tel traitement d’un président démocratiquement élu à travers un processus electoral régulier est inadmissible », écrit-il. Et d’appeler « à la libération immédiate du président Bazoum, de tous les membres de sa famille et de son gouvernement qui sont illégalement séquestrés avec lui au mépris du droit nigérien et de tous les principes fondateurs de l’UA et de la CEDEAO.

Des soldats sénégalais lors de la réunion de la CEDEAO le 10 août 2023.
Des soldats sénégalais lors de la réunion de la CEDEAO le 10 août 2023.

@NA

Écrit par
Léo Komminoth

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