Niger : sourde aux menaces, la junte accuse Bazoum

La Cedeao a ordonné le déploiement d’une force militaire en attente en réponse au coup d’État militaire de juillet au Niger. Insensible aux pressions, la junte accuse de haute trahison le président déchu, dont le sort inquiète la communauté internationale.
La Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) envisage toujours une intervention militaire au Niger après avoir lancé une force d’intervention le 11 août 2023. Pourtant, les putschistes nigériens font la sourde oreille, annonçant leur intention d’inculper le président déchu Mohamed Bazoum pour « haute trahison et atteinte à la sécurité nationale ».
Le Président élu et sa famille sont retenus en captivité depuis le 26 juillet, malgré les appels de la Cedeao et des grandes puissances internationales à sa libération immédiate et à son retour au pouvoir. Un communiqué de la junte lu à la télévision d’État indique que des preuves ont été réunies pour inculper Bazoum et des « complices étrangers » dont le nom n’est pas révélé.
Évoquant les poursuites éventuelles contre Mohamed Bazoum, le ministre en exil Hassoumi Massoudou considère que la junte n’« a aucune légitimité à juger qui que ce soit ».
Une décision formelle d’inculper le dirigeant déchu pourrait accroître la pression sur la Cedeao pour qu’elle intervienne militairement. Une réunion de l’état-major de la Cedeao devait se tenir le 12 août, mais elle a été repoussée « pour des raisons techniques » et est prévue désormais pour les 17 et 18 août, à Accra (Ghana). L’objectif est aussi de montrer que tous les pays de la Communauté ouest-africaine sont impliqués.
L’organisation a demandé à son comité des chefs d’état-major de la défense d’« activer rapidement la Force en attente de la Cedeao avec tous ses éléments ».
Cette directive fait suite à un sommet extraordinaire qui s’est tenu à Abuja, au Nigeria, pour aborder la situation politique au Niger, où un coup d’État mené le 26 juillet par le général Abdourahamane Tchiani, ancien commandant de la garde présidentielle nigérienne, a déposé et détenu le président élu Mohamed Bazoum.
Toutefois, aucun détail concernant le nombre de soldats, les pays contributeurs ou le financement n’a été divulgué jusqu’à présent, et il n’est pas certain que ce déploiement représente un pas décisif vers une intervention militaire.
La Cedeao va-t-elle intervenir ?
Les chefs religieux jouent les médiateurs, mais les putschistes se retranchent dans leurs positions.
Entre-temps, une délégation de chefs religieux du Nigeria a rencontré des membres de la junte militaire à Niamey au cours du week-end. Conduite par l’érudit islamique nigérian Abdullahi Bala Lau, la délégation a déclaré que son objectif était de rechercher une solution durable pour garantir la paix et l’harmonie au Niger et dans la sous-région. C’est la première fois qu’une délégation engage un dialogue avec la junte militaire au Niger depuis le coup d’État.
Cette visite est jugée « positive » par le nouveau Premier ministre du Niger, Ali Mahaman Lamine Zeine, dont le gouvernement comporte une bonne part de militaires. L’ancien économiste, interrogé par le média allemand Deutsche Welle, qualifie d’« injustes » les sanctions économiques imposées par la Cedeao et les autres partenaires, mais il juge que ce « défi » pourra être surmonté.
Les sénateurs et les chefs religieux du nord du Nigeria, en particulier, s’opposent à l’engagement d’un conflit avec un pays voisin avec lequel ils partagent des liens ethniques, religieux et historiques étroits. La rencontre du groupe avec le chef de la junte, le général Abdourahamane Tiani, a duré plusieurs heures, selon le cheikh Abdullahi Bala Lau, qui dirigeait la délégation.
« Dans la mesure où les seules délégations accueillies par les putschistes sont les chefs religieux, il est évident que tout effort de dialogue doit les impliquer, c’est-à-dire les chefs religieux », explique Ebenezer Obadare, chargé d’études africaines au Council on Foreign Relations, basé à Washington.
« Toutefois, ces efforts doivent tenir compte du fait que les dirigeants ont pris parti pour la junte et semblent déterminés à la maintenir en place. Par ailleurs, il convient de considérer que, au moins dans ce cas, les chefs religieux sont les vecteurs légitimes d’un sentiment de solidarité qui semble largement partagé au sein des communautés musulmanes du Nigeria et du Niger respectivement. »
Un ministre en exil accuse
Lors de l’annonce du déploiement de la force en attente, la Cedeao a noté que « tous les efforts diplomatiques entrepris par la Cedeao pour résoudre la crise ont été repoussés avec défi par les dirigeants militaires de la République du Niger ». Toutefois, on ne sait toujours pas quelles mesures supplémentaires seront prises pour renverser le coup d’État.
L’inquiétude grandit donc au sujet de l’état de santé de Mohamed Bazoum et la situation à l’intérieur du Niger, même si les rues de Niamey semblent calmes. Hassoumi Massoudou, ministre en exil des Affaires étrangères, évoque chez RFI « des pogroms, avec des hordes de jeunes excités par la haine raciale et ethnique » dans les rues de la capitale. Évoquant les poursuites éventuelles contre Mohamed Bazoum, le ministre considère que la junte n’« a aucune légitimité à juger qui que ce soit ». Il considère que malgré « la menace des tirs et des balles », la réaction populaire « est générale » en faveur du retour à l’ordre démocratique.
« Après l’expiration de l’ultimatum d’une semaine lancé à la junte nigérienne pour qu’elle rétablisse la démocratie, et compte tenu du rejet par cette même junte des négociations diplomatiques répétées, le bloc régional n’a eu d’autre choix que d’adopter une position ferme », rappelle Ebenezer Obadare.
LA, avec Léo Komminoth
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