Niger : La difficile régulation des migrations
Réédition – Pays d’origine, de transit et de destination de la traite de personnes et de trafic de migrants, le Niger a pris tout un train de mesures pour stopper ces pratiques et freiner le flux migratoire vers l’Europe. Pour quels résultats ?
Niamey, Sani Aboubacar
Considérant que la migration est un phénomène naturel et ayant signé les textes de la Cedeao sur la libre circulation des personnes, le Niger a préféré s’attaquer aux infractions qui lui sont liées. L’État s’inscrit ainsi dans le cadre du protocole de Palerme signé en 2000, sous l’égide des Nations unies, sur la lutte contre la traite des personnes et le trafic des migrants.
Pays de transit des migrants ouest-africains, le Niger est l’un des cinq pays choisis par l’Union européenne pour arrêter la traversée périlleuse de la Méditerranée.
«La différence entre ces deux infractions, c’est que dans le cadre du trafic de migrants, la victime est consentante. Autrement dit, le candidat à la migration sait qu’il n’a pas de documents de voyage mais consent à violer le territoire d’un État. Dans le cadre de la traite de personnes, la victime n’est jamais au courant du destin qu’on lui réserve », explique Gogé Maïmouna Gazibo, directrice générale de l’Agence nigérienne de lutte contre la traite de personne et le trafic illicite de migrants (ANLTP-TIM), structure opérationnelle d’exécution et de mise en oeuvre de la politique publique.
Souvent, ces infractions sont indissociables : des personnes qui prennent volontairement la route vers la Libye se retrouvent dans les mains de trafiquants qui exigent des rançons avant de les libérer. « Elles sont placées dans des chantiers de construction et travaillent sans aucune rémunération pendant un moment. Leurs salaires sont touchés par les trafiquants qui décident quand les libérer », explique Anas Djibrilla, juriste de l’Agence.
Durcissement de ton, mais davantage de candidats
Pays de transit des migrants ouest-africains, le Niger est l’un des cinq pays choisis par l’Union européenne (avec le Sénégal, le Nigeria, l’Éthiopie, le Mali) pour arrêter la traversée périlleuse de la Méditerranée. Les mesures prises par le gouvernement nigérien dans le cadre de la loi 2015 ont permis de réduire le flux des migrants en 2016. Dans le cadre de ses activités, l’ANLTP-TIM a, en 2016-2017, arrêté et jugé 130 personnes, confisqué 117 véhicules, cinq motos et retrouvé dans le désert nigérien 7 264 personnes abandonnées par leurs passeurs.
L’UE a délié le cordon de la bourse pour le Niger, a débloqué 57 millions d’euros ; l’Italie ouvre son ambassade à Niamey et accorde, au nom de l’UE, un appui budgétaire de 32 milliards F.CFA (48,8 millions d’euros) au Niger. « Tout ce que le gouvernement propose comme mesures, c’est pour obtenir l’aide de l’UE », regrette l’acteur de la société civile Tcherno Hamadou Boulama.
Cependant, les mesures prises par le gouvernement sont loin de dissuader les candidats à l’émigration. Les personnes qui organisent le trafic empruntent de plus en plus les voies dangereuses où elles espèrent ne pas rencontrer les patrouilles militaires qui sillonnent le désert. « Le Niger peut accepter que vous rentriez sur son territoire, mais il peut refuser que vous sortiez de son territoire pour une autre frontière qui n’est pas celle de la Cedeao », justifie Gogé Maïmouna Gazibo.
Cependant, trafiquants et candidats à la migration s’adaptent désormais à ces mesures et travaillent à les contourner. Davantage de migrants sont retrouvés morts ou abandonnés par leurs passeurs. Le 5 juillet, 67 migrants dont des enfants ont été retrouvés par une patrouille militaire, le 3 juillet, 30 migrants dont 14 femmes, 3 enfants et 14 hommes avaient déjà été secourus, tandis que le 26 juin, 52 avaient été retrouvés morts.
« Le désert est devenu un cimetière à ciel ouvert des ressortissants ouest-africains », dénoncent les autorités municipales d’Agadez au nord du Niger. « Quand on durcit le ton sur des questions qui ont un caractère ancré dans l’histoire d’une région, il est normal d’aboutir à des résultats pareils », regrette le sociologue Manou Nabara Hamidou.
Face aux exploitations dont ils font l’objet, les migrants ont trouvé d’autres subterfuges pour échapper aux trafiquants. Ainsi, au lieu de payer 250 000 F.CFA par personne (380 euros) pour être acheminés à la frontière libyenne, ils cotisent pour se payer un véhicule 4×4 et trouvent un chauffeur parmi eux. Face à la patrouille des forces de l’ordre, le chauffeur se range parmi les migrants et tous déclarent qu’ils ont été abandonnés par leurs passeurs…
Respect des textes communautaires
« À partir de 2014-2015, avec la pression et l’argent de l’UE, le Niger s’est engagé dans diverses actions qui, souvent, ne sont pas en conformité avec ses engagements auprès de l’espace Cedeao portant sur la libre circulation », poursuit Gogé Maïmouna Gazibo. « La crise de la Méditerranée est survenue en même temps que l’adoption de la loi 2015 et cette loi a été adoptée à la demande des magistrats et des policiers après la découverte des corps de 92 migrants nigériens dans le désert du Ténéré en partance pour l’Algérie. »
L’objet de cette loi est de prévenir et combattre le trafic de migrants, de protéger leurs droits et de promouvoir et faciliter la coopération nationale et internationale en vue de prévenir et de combattre le trafic des migrants sous toutes ses formes.