Marcel de Souza, (Cedeao) s’explique
Si la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest attire de nouveaux pays, elle doit répondre à diverses urgences : intégration économique et monétaire, terrorisme, crises politiques… Le président de la Commission, Marcel de Souza, s’en explique.
Entretien avec Hichem Ben Yaïche
Votre mandat s’annonce comme celui de tous les défis : les attentes autour de la Cedeao sont considérables.
Sans doute, mais malgré nos lacunes et nos faiblesses, nous avançons. Le premier défi, c’est la libre circulation des personnes, la liberté de résidence et d’établissement à l’intérieur d’un espace intégré où nous cherchons à améliorer les conditions de vie de la population. Vous pouvez aller sans carte d’identité et sans visa de Dakar jusqu’au Nigeria, et vous êtes libre de créer une entreprise, dans cet espace unifié qui implique une communauté de destin. En ce qui concerne les marchandises, nous avons également un schéma de libéralisation des échanges – certes encore trop faibles – entre les pays.
Le système tarifaire commun de la Cedeao en fait une union douanière. Nous avons pour objectif d’aller vers le marché commun. N’oublions pas la libre circulation des services : si vous êtes médecin au Nigeria, vous pouvez exercer aussi bien à Cotonou qu’à Dakar. Nous disposons aujourd’hui d’un marché unifié du travail, même s’il ne dit pas son nom. De plus, nous disposons d’une libre circulation des capitaux. Nous avons instauré un système de paiement régional en attendant d’avoir une monnaie unique. Nous espérons pouvoir atteindre cet objectif qui dynamisera les échanges en 2020. Il faut y travailler sans précipitation.
Il demeure une grande lacune, ce sont les moyens de transport. Nous devons améliorer aussi bien les transports par le rail que les transports aériens pour résoudre les difficultés de voyage en Afrique de l’Ouest qui persistent aujourd’hui. Sans compter les voies maritimes. Nous allons créer une compagnie de cabotage.
Le Cap-Vert qui se trouve à 500 km du pays le plus proche, le Sénégal, ne se sent pas complètement intégré à l’espace commun. Nous allons donc créer une compagnie au capital de 100 millions de dollars – avec des capitaux privés – qui disposera d’une priorité de cabotage et d’accostage, pour permettre de desservir un certain nombre de destinations. Notre objectif est de pouvoir réaliser des programmes et des projets régionaux pour permettre une meilleure intégration. Au bout de 42 ans, nous ne sommes qu’à 15 % des échanges intra-zones par rapport au reste du monde.
Mais pour faire aboutir ce travail colossal de l’intégration, il faut faire des efforts énormes, secouer les inerties… Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Nous attendons que les fonds soient engagés au niveau de la Cedeao. À Monrovia, lors du dernier Sommet de la Cedeao, nous avons exposé la réforme institutionnelle qui consiste à réduire les charges de fonctionnement en les ramenant à environ 35 % du budget, pour pouvoir consacrer 65 % de nos ressources aux programmes et aux projets qui impactent la vie de nos citoyens. Sans oublier la qualité de ces programmes.
Ainsi, la Commission, va passer de quinze à neuf commissaires. Ensuite, nous devons améliorer l’efficience de nos institutions. Nous en avons beaucoup ! Certaines s’occupent de lutter contre le blanchiment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, d’autres travaillent sur la lutte contre Ebola, etc. Et en matière économique, désormais, comment diversifier organiser la commercialisation par les exportations ? C’est ce qui permettra de créer des emplois pour les jeunes.
Concrètement, comment opérationnalisez-vous tout cela ?
Nous avons d’abord donné la priorité à l’impératif sécuritaire. Sans la sécurité, vous ne pouvez pas avoir de développement ni de confiance. Aucun investisseur ne viendra investir dans une zone où un minimum de sécurité n’est pas assuré.
Cela détourne des moyens considérables qui auraient pu être consacrés au développement de l’Afrique…
Mais cette dépense s’impose à nous ! Il est vrai que cette contrainte empêche les États de consacrer plus de recettes fiscales à l’éducation et à la santé. L’éducation est mal orientée dans notre zone. Nos économies ont besoin de personnes formées pour des emplois précis, par des formations techniques et, surtout, entrepreneuriales. Les entreprises, et surtout les PME, les PMI et à plus juste titre encore les TPE sont les vecteurs de création de richesses. Ce sont elles qui peuvent permettre de diversifier la production, de transformer la production agricole, et de commercialiser leurs produits en respectant les normes de qualité. Tous ces éléments s’imposent à nous ! Mais cela demande des ressources adéquates. C’est la raison pour laquelle nous travaillons à l’amélioration de la gestion financière.
À ce titre, nous avons lancé une charte et un système de promotion des PME. Lesquelles, peu aidées par les banques, passent à la trappe au bout de cinq ans, pour 80 % d’entre elles. L’objectif est d’assurer le financement des 20 % restantes pour créer dans les pays émergents une « société moyenne » capable d’entraîner l’économie. Le deuxième problème est celui des Bourses régionales de valeur, entre lesquelles nous essayons de créer une synergie, comme entre Abidjan et Accra. Déjà, certaines opérations peuvent s’effectuer entre ces deux Bourses. Ce n’est qu’un début.
Enfin, nous avons le fonds de financement. Comment faire pour que nous puissions avoir des usines clés en main qui soient capables de transformer les produits agricoles ou les produits du sous-sol et assurer à ses usines le minimum d’intrants qui leur permettent de tourner ? C’est un problème majeur que nous essayons de régler. Les infrastructures – notamment l’électricité –, constituent aussi un problème majeur : sans électricité, comment vendre des produits agricoles transformés, compétitifs et de bonne qualité ? Certains de nos projets s’appuient sur l’énergie solaire dont le prix a diminué. Nous disposons aussi de nombreuses possibilités dans l’énergie éolienne ainsi que dans l’énergie biomasse – les déchets agricoles qui peuvent être transformés pour en tirer de l’énergie. Nous disposons donc de nombreuses potentialités, mais il faut construire tout cela dans un plan cohérent de développement.
Comment la Cedeao peut-elle marquer sa différence et montrer qu’elle est une institution de solutions pour l’Afrique ?
Nous arrivons à présenter aux chefs d’État et de gouvernement des politiques sectorielles, par exemple dans le domaine agricole, pour donner la priorité à l’agro-industrie, en recherchant la souveraineté alimentaire et nutritionnelle. Et nous avons beaucoup de potentialités en la matière. Dans la Cedeao, 80 % des terres sont cultivables mais nous n’en mettons en valeur que 20 % ! Il suffirait de disposer des techniques nécessaires, par exemple, en matière d’irrigation. Nous ne pouvons plus continuer avec les petites entreprises familiales qui ne peuvent fonctionner qu’au prix d’une très grande pénibilité. Il faut un meilleur accès aux intrants, trouver des fonds pour financer l’agriculture et enfin, trouver le moyen de transformer les produits avant de les exporter.
Toute cette politique devra être axée sur l’emploi des jeunes. Nous sommes face à une bombe ! Dans les pays de la Cedeao, les deux tiers de la population ont moins de 25 ans. Nous sommes confrontés à une croissance démographique effrénée de 3,5 %, l’un des taux les plus forts du monde ! Lorsque la croissance démographique ne coïncide pas avec la croissance économique, cela veut dire que chaque année, la pauvreté s’accroît.