Les États-Unis font revenir l’Éthiopie du froid

L’administration Biden est désireuse de revoir ses relations avec l’Éthiopie, qui rejoint le club des « BRICS ». Pourtant, les ONG affirment que la récente évaluation des droits de l’homme ne tient pas assez compte de la violence persistante dans la région du Tigré.
Le département du Trésor américain a informé les membres du Congrès qu’« une évaluation récente du département d’État a déterminé que l’Éthiopie n’est plus engagée dans un schéma de violations flagrantes des droits de l’homme ». Cette évaluation ouvre la voie à la levée des sanctions économiques imposées par les États-Unis à l’Éthiopie depuis plus de deux ans.
En mai 2021, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, avait annoncé des restrictions de visa pour les fonctionnaires éthiopiens et érythréens « responsables ou complices d’entraves à la résolution de la crise du Tigré ». En août de la même année, le département du Trésor américain a commencé à sanctionner les hauts responsables militaires que les États-Unis considéraient comme responsables de violations des droits de l’homme et de corruption.
L’Éthiopie est également considérée comme un partenaire stratégique important en raison de sa proximité avec la Somalie et donc de son rôle crucial dans la lutte contre le terrorisme mondial.
En janvier 2022, le bureau du représentant américain au commerce a exclu l’Éthiopie du programme commercial AGOA (Africa Growth and Opportunity Act).
Cette décision a infligé une lourde punition économique à l’Éthiopie : le programme commercial américain avait contribué à créer des opportunités d’emploi pour 100 000 Éthiopiens et rapportait au pays d’Afrique de l’Est environ 100 millions de dollars par an. Les sanctions ont contribué à aggraver la situation économique de l’Éthiopie, qui est aujourd’hui au bord de l’endettement.
L’abandon des allégations de violations des droits de l’homme à l’encontre de l’Éthiopie a suscité la controverse dans certains milieux, notamment à la lumière d’un rapport de Human Rights Watch publié en juin, qui décrivait comment les autorités éthiopiennes du Tigré occidental avaient « poursuivi une campagne de nettoyage ethnique contre les Tigréens », même après l’accord de paix qui a officiellement mis un terme à la guerre civile en novembre 2022.
Joseph Gebreslassie, militant des droits de l’homme originaire du Tigré, explique à African Business que « des rapports vérifiés font état de massacres de civils à grande échelle, d’exécutions extrajudiciaires, de violences sexuelles et sexistes, de famine armée, de pillages, de destruction d’installations de soins de santé et de déplacements forcés de millions de Tigréens ».
Le poids de la dette
Le tableau qui émerge de ces sept mois de guerre – bien qu’incomplet en raison d’un blocus des télécommunications qui affecte de larges pans de la région – donne un aperçu du niveau de dévastation dans le Tigré. Selon les derniers chiffres, plus de 70 000 civils ont été tués, tandis que 70 000 ont été contraints de chercher refuge au Soudan et que 2,2 millions de personnes supplémentaires ont été déplacées à l’intérieur du pays.
« Sur les 7 millions d’habitants de la région, plus de 90 % ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence, dont 2,3 millions d’enfants », calcule Joseph Gebreslassie.
Qui condamne, dans ce contexte, la décision de Washington d’abandonner les allégations de violations des droits de l’homme et souhaite que les grandes puissances se concentrent sur « l’obtention de la justice pour le peuple du Tigré ».
L’impact économique le plus immédiat de la décision de Washington pourrait être l’augmentation des flux d’aide humanitaire vers l’Éthiopie. Tout en imposant des sanctions à l’Éthiopie, les États-Unis lui ont accordé plus de 1,5 milliard $ d’aide humanitaire en 2022. Ces sommes pourraient encore augmenter.
Plus important encore, cette décision pourrait également aider l’Éthiopie à conclure un accord de restructuration de sa dette avec le FMI. Le gouvernement d’Abiy Ahmed a redemandé un allègement de la dette au titre du cadre commun du G20 il y a plus de deux ans.
L’Éthiopie a eu du mal à faire face aux remboursements de sa dette dans un contexte d’affaiblissement du birr, de renforcement du dollar et de hausse des taux d’intérêt qui a entraîné une augmentation des coûts de remboursement. Le pays d’Afrique de l’Est a donc demandé un prêt d’au moins 2 milliards $ au FMI pour l’aider à couvrir ses dettes, bien que le FMI ait calculé que l’Éthiopie est confrontée à un déficit de financement d’au moins 6 milliards $ jusqu’en 2026.
Les États-Unis sont en partie responsables des retards pris par l’Éthiopie dans son accord avec le FMI car, en vertu de leur législation nationale, les fonctionnaires américains des institutions financières internationales sont légalement tenus de s’opposer aux propositions visant à offrir des prêts ou une assistance financière aux pays qui violent les droits de l’homme.
Toutefois, compte tenu de l’évolution apparente de la position américaine, les représentants américains au FMI pourraient apporter leur soutien à un accord de restructuration de la dette éthiopienne. Cela permettrait à Addis-Abeba d’éviter un défaut de paiement, de préserver ou d’améliorer sa cote de crédit et d’accéder ainsi à des capitaux à des taux plus compétitifs sur les marchés internationaux.
Une hégémonie occidentale bousculée
L’adhésion de l’Éthiopie au bloc des BRICS – du nom de ses États membres, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud -, actée le 24 août 2023, est un développement important qui pourrait avoir des implications économiques et géopolitiques plus larges, alors que l’Éthiopie est de plus en plus impliquée dans la bataille diplomatique pour l’influence en Afrique.
Le bloc est largement considéré comme un challenger potentiel de l’hégémonie économique occidentale. Les BRICS ont cherché à créer de nouvelles institutions financières, telles que des banques de développement, qui pourraient saper le système de Bretton Woods et, en fin de compte, réduire l’influence des organisations dominées par l’Occident, telles que la Banque mondiale et le FMI.
Il a même été suggéré récemment que le bloc pourrait adopter une monnaie des BRICS qui pourrait contester le statut du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale. L’adhésion de l’Éthiopie aux BRICS constitue un coup d’éclat pour le bloc, compte tenu de l’importance économique de ce pays d’Afrique de l’Est. L’Éthiopie est le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique et a connu, pendant la majeure partie de ce siècle, l’une des croissances économiques les plus rapides au monde. Le gouvernement est actuellement en train de privatiser de nombreuses entreprises publiques et de libéraliser des pans entiers de l’industrie, y compris le secteur bancaire et les télécommunications, ce qui pourrait accélérer encore la croissance économique. L’Éthiopie est également considérée comme un partenaire stratégique important en raison de sa proximité avec la Somalie et donc de son rôle crucial dans la lutte contre le terrorisme mondial.
L’administration Biden, qui a accueilli l’année dernière un sommet de dirigeants africains dans le but de redorer l’image des États-Unis sur le continent, a cherché à souligner l’importance d’aligner les intérêts occidentaux et africains, en particulier à l’heure où la Chine joue un rôle de plus en plus important en Afrique.
@NA