Le syndrome du Messie

Le Nigeria semble prêt à répéter les erreurs du passé, à en juger par les choix pour l’élection présidentielle de février 2023. Trois nouveaux candidats se présentent en sauveur, mais ne présentent pas un profil si différent de leurs prédécesseurs.
Le président du Nigeria, Muhammadu Buhari, aurait-il perdu son aura de « Messie » ? Les discussions animées qui avaient précédé l’élection présidentielle de 2015 se sont révélées être un exercice futile. À l’époque, les deux candidats, Goodluck Jonathan et Muhammadu Buhari, avaient placé les Nigérians entre le marteau et l’enclume. Pourtant, des personnalités respectées ont farouchement défendu chaque candidat comme le Messie qui sauverait le Nigeria.
Le meilleur argument que pouvaient avancer les partisans de Jonathan était qu’il n’était pas Buhari, un ancien officier de l’armée arrivé au pouvoir par des moyens non démocratiques. Les « buharistes » faisaient valoir que, compte tenu de son expérience militaire et de son approche pragmatique, leur champion vaincrait l’insurrection croissante de Boko Haram et mettrait un terme à l’effondrement économique imminent. Sa tendance autoritaire bien connue serait, selon eux, un petit prix à payer. Les échecs de sa première période au pouvoir, au cours de laquelle il a été congédié lors d’un coup de palais par ses collègues officiers militaires, ont été tout simplement ignorés. Son parti, l’APC, a promis à la place de ramener le naira à la parité avec le dollar.
Bilan : en janvier 2015, le taux de change d’un dollar était de 187 nairas, en cette mi-octobre 2022, il est de 435 nairas. L’insurrection de Boko Haram s’est aggravée, avec des conflits supplémentaires causés par des terroristes et des kidnappeurs.
Voilà sans doute pourquoi le statut de Messie de Muhammadu Buhari s’est effiloché. Cependant, le dernier porte-drapeau de l’APC, Bola Tinubu, est présenté de manière crédible comme le prochain président, et bon nombre des personnes qui ont présenté Buhari comme le Messie font de même pour lui, malgré les questions persistantes sur l’origine de sa richesse, les lacunes de son CV et l’« intérêt » inquiétant des autorités américaines. Il est facile de plaider en sa faveur car son adversaire du PDP, Abubakar Atiku, ancien vice-président d’Olusegun Obasanjo, est confronté à certaines des mêmes questions concernant sa propre fortune. ll passe aussi la plupart de son temps aux Émirats arabes unis.
Des hommes d’affaires efficaces
L’absence de réel enthousiasme pour l’un ou l’autre des candidats a créé une ouverture pour la première fois pour un candidat tiers sérieux, l’ancien gouverneur et homme d’affaires Peter Obi, représentant le Parti travailliste. Sa candidature a été accueillie avec enthousiasme par les jeunes, pour qui il est celui qui va redresser l’économie, créer des emplois et leur offrir un avenir. Pourtant, Peter Obi fait également partie de l’élite recyclée, avec des réalisations solides, mais modestes, dans son ancien poste de gouverneur.
Bola Tinubu, qui a financé la présidence de Buhari, estime que c’est son tour, tout comme Abubakar Atiku, qui s’en veut toujours d’avoir été négligé par le parti lorsque Obasanjo s’est retiré en faveur d’Umaru Yar’Adua. Il existe quelques différences intéressantes entre ces trois candidats et les précédents leaders qui ont dominé la politique nigériane. Muhammadu Buhari est probablement aujourd’hui le dernier représentant d’un groupe d’officiers militaires qui se sont emparés de l’État nigérian dans les années 1960. Les trois candidats actuels, malgré les questions sur l’origine de leur richesse initiale, sont considérés comme des hommes d’affaires efficaces qui ont bâti de formidables fortunes.
Pour la première fois, le Nigeria sera dirigé par quelqu’un qui comprend les disciplines et les impératifs du monde des affaires – et qui possède une expertise avérée dans la gestion efficace des ressources d’une organisation dans la poursuite d’objectifs et de rentabilité.

Toutefois, un messie homme d’affaires, est-ce un critère suffisant ? Un nouveau livre, Gambling on Development, de Stefan Dercon, traite des raisons pour lesquelles certains pays se sont développés avec succès, alors que d’autres, comme le Nigeria, continuent à patauger. Il avance une thèse simple : pour que le décollage se produise, comme en Chine par exemple, il doit y avoir une entente entre les élites qui s’engagent à assurer la croissance et le développement à long terme, chaque nouveau gouvernement devant respecter l’entente convenue, peu importe qui est en charge. Un tel pacte d’élite ne s’est pas trouvé, au Nigeria, dominé comme il l’est par le syndrome du Messie. Pour le Nigeria de 2023 : plus ça change, plus c’est la même chose.
@NA