Le Royaume-Uni ferme la porte aux migrants illégaux

Un nouveau projet de loi draconien contre les réfugiés, en passe d’être adopté par le Parlement britannique, criminalisera toute personne arrivant illégalement dans le pays.
Lorsqu’elle sera adoptée, la loi britannique affectera des milliers d’Africains qui entreprennent la dangereuse traversée de la Manche depuis la France. Les migrants considérés comme illégaux seront considérés comme des criminels et le Royaume-Uni les expulsera sans possibilité de recours judiciaire.
Les migrants « peuvent être détenus pendant 28 jours sans possibilité de libération sous caution ou de contrôle judiciaire, et ensuite tant qu’il existe une perspective raisonnable d’expulsion », selon le projet de loi présenté au Parlement par la ministre de l’Intérieur Suella Braverman.
Avec ce projet de loi britannique anti-immigration en discussion, la pression s’accroît sur ceux qui cherchent un refuge sûr pour échapper aux conflits meurtriers de leur pays d’origine.
Laquelle considère que les personnes arrivant illégalement au Royaume-Uni ne pourront pas s’installer dans le pays et seront confrontées à « une interdiction permanente de revenir ».
L’objectif de ce projet de loi, a-t-elle expliqué, est de mettre un terme à l’augmentation considérable du nombre de migrants utilisant de petites embarcations pour traverser la Manche à partir de Calais, en France.
L’année dernière, un nombre record de 45 755 migrants sont arrivés au Royaume-Uni après avoir traversé la Manche et cette année, selon les statistiques du gouvernement, plus de 3 000 ont déjà effectué cette traversée.

Le ministère de l’Intérieur estime que ces traversées sont le fait de bandes organisées de trafiquants d’êtres humains qui demandent de petites fortunes aux passagers, entassent autant de migrants que possible dans des embarcations fragiles, notamment des canots pneumatiques, et les abandonnent souvent à leur sort. L’objectif est de « briser le modèle économique des trafiquants criminels ».
Un rapport de l’Institute of Race Relations estime qu’entre 1999 et 2000, quelque 300 personnes, dont des enfants et des bébés, sont mortes en tentant de traverser la Manche. En novembre 2021, 31 autres personnes sont mortes lorsque leur canot pneumatique a chaviré dans une mer agitée et en décembre 2022, quatre personnes sont mortes dans des conditions glaciales. Les autorités pensent que le chiffre réel est plus élevé car tous les décès n’ont pas été signalés.
Un système d’asile débordé
La composition des migrants qui tentent de traverser la Manche a évolué, mais les derniers chiffres suggèrent que la majorité des réfugiés proviennent de cinq pays : l’Afghanistan, la Syrie, l’Érythrée, le Soudan et l’Iran. Toutefois, en 2022, près de 30 % des demandeurs d’asile étaient originaires d’Albanie, ce qui représente une hausse considérable par rapport aux années précédentes. Le Royaume-Uni considère l’Albanie comme un pays sûr et les demandes d’asile sont donc susceptibles d’être rejetées.
S’adressant à la Chambre des communes, Suella Braverman a énuméré ses arguments :
« Des gens meurent dans la Manche. Le volume des arrivées illégales a submergé notre système d’asile. L’arriéré s’élève à plus de 160 000 demandes. Le système d’asile coûte désormais 3 milliards de livres par an au contribuable britannique.
« Depuis 2018, quelque 85 000 personnes sont entrées illégalement au Royaume-Uni par de petits bateaux – dont 45 000 rien qu’en 2022. Toutes ont traversé des pays sûrs dans lesquels elles auraient pu et dû demander l’asile.
« Presque tous sont passés par la France. La grande majorité d’entre eux – 74 % en 2021 – étaient des hommes adultes de moins de quarante ans, suffisamment riches pour payer des milliers de livres à des gangs criminels pour leur passage.
« À leur arrivée, la plupart sont hébergés dans des hôtels à travers le pays, ce qui coûte au contribuable britannique environ 6 millions de livres par jour.
« Et lorsque nous essayons de les expulser, ils retournent nos généreuses lois sur l’asile contre nous pour empêcher leur expulsion. La nécessité d’une réforme est évidente. »
Une série d’obstacles juridiques
Elle a également déclaré que le projet de loi fixerait un plafond annuel – à décider par le Parlement – au nombre de réfugiés auxquels le Royaume-Uni offrirait l’asile « mais seulement une fois que les bateaux auront été stoppés ».

Mais il semble certain que le projet de loi se heurtera à divers obstacles juridiques, notamment en ce qui concerne les droits de l’homme. Le HCR (Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés) critique le projet de loi : « La législation, si elle est adoptée, équivaudrait à une interdiction d’asile – éteignant le droit de demander la protection des réfugiés au Royaume-Uni pour ceux qui arrivent de manière irrégulière, quel que soit le caractère authentique et convaincant de leur demande. »
Pour le HCR, la loi aurait pour effet de refuser la protection à de nombreux demandeurs d’asile ayant besoin de sécurité et de protection, et même de leur refuser la possibilité de présenter leur dossier.
« Il s’agirait d’une violation flagrante de la convention relative au statut des réfugiés et d’une atteinte à une longue tradition humanitaire dont le peuple britannique est fier à juste titre. » Suella Braverman a elle-même déclaré qu’elle n’était pas en mesure d’affirmer que le projet de loi était compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et qu’il y avait même des chances que les dispositions du projet de loi enfreignent les lois sur les droits de l’homme.
Le Premier ministre Rishi Sunak – dont les parents, comme ceux de Suella Braverman, sont des immigrés originaires de pays africains –, a soutenu la ministre de l’intérieur : « Nous sommes prêts à nous battre. Nous ne serions pas là si ce n’était pas le cas, mais nous sommes persuadés que nous allons gagner. »
Une condamnation cinglante
Face à l’imminence d’une bataille juridique, plusieurs députés conservateurs ont exhorté le Premier ministre à rompre avec la CEDH. Mark Francois, un député conservateur de la droite dure, juge : « Si nous ne parvenons pas à leur faire face (à la Convention européenne), nous resterons empêtrés dans des nœuds juridiques dans nos propres tribunaux nationaux et, en fin de compte, à Strasbourg. »
Critiquant la suppression du droit d’appel prévue par le projet de loi, Enver Solomon, directeur général du Conseil des réfugiés, fait observer que les demandes d’asile des réfugiés originaires de pays tels que l’Iran « sont acceptées dans au moins 80 % des cas ; et pour trois pays – l’Afghanistan, l’Érythrée et la Syrie – ce chiffre est de 98 %. »
Pourtant, le gouvernement, écrit-il, n’« est pas intéressé par la protection des personnes qui ont échappé à la guerre, à la violence et à la torture en entreprenant des voyages dangereux ». Désireux de se montrer ferme, « il veut traiter tous les demandeurs d’asile comme des terroristes et des criminels présumés, les enfermer, puis les expulser sans aucun droit d’appel valable ».
La condamnation la plus cinglante du projet de loi est venue d’une source inattendue : Gary Linaker, l’ancien footballer anglais et actuel animateur de la très populaire émission Match of the Day.
Il a mis en ligne une vidéo de la ministre Braverman qui déclare « Trop c’est trop. Nous devons arrêter les bateaux » et a commenté : « Mon Dieu, c’est plus qu’horrible ; nous (le Royaume-Uni) accueillons beaucoup moins de réfugiés que les autres grands pays européens. Il s’agit d’une politique d’une cruauté incommensurable à l’égard des personnes les plus vulnérables. Le langage utilisé n’est pas différent de celui de l’Allemagne des années 1930. »
Son message, établissant un parallèle avec le traitement des Juifs par l’Allemagne nazie, a soulevé une tempête de protestations de la part des conservateurs, beaucoup appelant la BBC à le licencier. L’ancien attaquant n’a pas retiré ses remarques, se disant un fervent défenseur des réfugiés, leur offrant le gîte et le couvert.
S’il est très probable que le projet de loi soit adopté par la Chambre des communes, il est tout aussi probable qu’il soit retardé par la Chambre des Lords, qui examinera toutes les implications juridiques. En outre, on ne sait pas exactement où les réfugiés détenus seront gardés ni comment ils pourront être expulsés. Certainement pas vers des pays en conflit comme la Syrie, l’Afghanistan ou l’Érythrée.
L’utilisation par Suella Braverman d’un langage chargé, décrivant les demandeurs d’asile comme faisant partie d’une « invasion » et les qualifiant ainsi d’ennemis potentiels, ou déclarant que son rêve le plus cher est celui d’un avion de demandeurs d’asile déboutés décollant pour le Rwanda – a aliéné de nombreuses personnes qui considèrent cette attitude comme inutilement insensible.
Avec ce projet de loi britannique anti-immigration en discussion, la pression s’accroît sur ceux qui cherchent un refuge sûr pour échapper aux conflits meurtriers de leur pays d’origine. Les remarques incendiaires du président tunisien Kaïs Saïed, qui a décrit les réfugiés africains comme des hordes travaillant avec des intérêts étrangers pour changer la composition démographique de son pays, ont jeté de l’huile sur le feu. Les Africains qui partent à l’étranger pour une vie qu’ils espèrent meilleure devraient être avertis que la chaleur qu’ils ressentiront dans leur nouvelle destination ne sera certainement pas celle de cœurs chaleureux.
@NA