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Politique

Le pouvoir ébranlé au Cameroun

Le pouvoir ébranlé au Cameroun
  • Publiéfévrier 7, 2023

Les meurtres de deux journalistes qui dénonçaient des affaires supposées de corruption affectent le pouvoir de Paul Biya, qui fêtera ses 90 ans le 13 février 2023. L’arrestation d’un homme d’affaires, si elle rassure quant au fonctionnement des institutions, ajoute à la confusion.

 

Bien sûr, on pourrait ne retenir de l’actualité du jour au Cameroun qu’une décision attendue du Président Paul Biya. Celle de nommer trois dirigeants au sein de l’Office national des infrastructures et des équipements sportifs (ONIES), dont le célèbre international de football Joseph-Antoine Bell au poste de président du Comité d’orientation.

Malheureusement, les Camerounais ont la tête ailleurs, après plusieurs meurtres dont le caractère politico-financier ne fait aucun doute, ébranlant les fondements du régime. L’assassinat, révélé le 22 janvier 2023, d’Arsène Salomon Mbani Zogo a stupéfié les Camerounais. Visiblement, le journaliste, décédé quelques jours plus tôt dans la banlieue de Yaoundé, avait subi de graves sévices avant de succomber.

Les Nations unies ont exprimé leur « profonde inquiétude » pour la sécurité des journalistes au Cameroun, rappelant que les deux victimes dénonçaient régulièrement les affaires de corruption.

Martinez Zogo, comme il se présentait sur les ondes, était le populaire animateur de l’émission Embouteillage, sur Amplitude FM, radio dont il était également le directeur. Conscientes de la gravité des faits, les autorités ont, par la voix du ministre d’État, secrétaire général de la Présidence – fait rarissime –, précisé que Paul Biya avait demandé la réunion d’une commission d’enquête mixte (police et gendarmerie) « pour faire la lumière sur l’assassinat du journaliste ». Et le ministre Ferdinand Ngoh Ngoh de promettre : « Les auditions en cours et les procédures judicaires permettront de circonscrire le degré d’implication des uns et des autres et d’établir l’identité de toutes les personnes mêlées à l’assassinat de Martinez Zogo. »

La condamnation de cet acte est unanime. Les principaux leaders politiques ont réclamé que la lumière soit faite sur ce crime. Acteurs de la société civile, religieux, ont fait part de leur consternation, dans différentes tribunes. Très tôt – trop tôt –, le syndicat professionnel Fedipress a tenu le gouvernement camerounais et son Parlement « pour responsable de l’atmosphère de Far West qui ne laisse plus de place ni au respect de la loi, ni à la protection des droits basiques de la personne humaine, ni à l’exercice de la liberté la plus élémentaire, celle de d’informer et de savoir ».

 

Arrestation de Jean-Pierre Amougou Beliga

Plutôt que le Far West, le leader d’opposition Jean Michel Nintcheu (SDF) a préféré s’en référer à la mafia italienne, jugeant que le Cameroun était devenu l’« Italie des années 1980 et 1990 ».

De son côté, le Gicam, le patronat camerounais, a fait part de sa « vive consternation », rappelant que le premier moteur de l’investissement est « la confiance qu’induit une sécurité minimale assurée aux personnes et à leurs biens par les pouvoirs publics ».

Plusieurs organisations ont déposé une demande de manifestation afin de protester contre l’assassinat de Martinez Zogo et le climat politique actuel du Cameroun. Prévue pour le 12 février prochain, la manifestation n’a pour le moment pas reçu les autorisations préfectorales nécessaires.

Le mystère demeure sur les circonstances de la mort de Martinez Zogo.
Le mystère demeure sur les circonstances de la mort de Martinez Zogo.

 

L’affaire elle-même a pris un tour nouveau avec l’arrestation, le 6 février, de Jean-Pierre Amougou Beliga, dirigeant du groupe de médias L’Anecdote. L’homme d’affaires serait proche de plusieurs ministres et hauts dignitaires de l’État. Il serait interrogé au sein du secrétariat à la Défense, la structure faîtière de la gendarmerie. « M. Amogou Belinga a été arrêté très tôt, ce matin du 6 février, il est cité comme suspect dans l’assassinat de Martinez Zogo », confirme à l’AFP Denis Omgba Bomba, directeur de l’Observatoire national des médias, un organisme rattaché au gouvernement. Deux autres proches ont été arrêtés, Bruno Bidjang, journaliste sur la chaîne de télévision Vision 4 (propriété de Jean-Pierre Amogou Belinga, ainsi que le beau-père de ce dernier, le colonel honoraire Raymond Etoundi Nsoe. Dans son émission Embouteillages, Martinez Zogo dénonçait régulièrement ce qu’il estimait être des affaires de corruptions auxquelles étaient mêlées Jean-Pierre Amougou Belinga.

De son côté, l’organisation internationale RSF (Reporters sans frontières) dénonce « une ambiance de guerre de succession, voire de déstabilisation majeure du régime du président Paul Biya ». Lequel célébrera ses 90 ans le 13 février. Selon RSF et d’autres sources, les PV d’audition mettraient en cause des personnalités influentes du régime, des dirigeants des services de renseignement, ainsi qu’un ministre – Laurent Esso, Garde des sceaux, croit savoir RFI.

 

Un mauvais élève en matière de corruption

Faut-il se réjouir qu’au Cameroun, la justice fasse son travail, ou s’inquiéter de la tournure des événements ? Si la rue est bien calme, le climat politique est pesant dans le pays, à quelques semaines d’élections sénatoriales ; ce scrutin, prévu le 12 mars, concerne les grands électeurs (conseillers municipaux et régionaux). Rien ne va dans le sens d’une amélioration du climat des affaires demandée par le Gicam. Et sûrement pas le classement annuel de Transparency International sur la perception de la corruption dans le monde. Le Cameroun passe certes de la 144e à la 142e place (sur 180 pays), mais avec un score en baisse, tout comme le Gabon, qui occupe le 136e rang de l’indice, s’inscrivant « en tête » des pays de la CEMAC.

D’autre part, une autre voix du monde des médias, le révérend Jean-Jacques Ola Bébé, a été retrouvée morte début février. Si les premières constatations laissent présager un meurtre, rien ne permet de conclure à un motif politique. Le prêtre orthodoxe avait néanmoins évoqué l’assassinat de Martinez Zogo, quelques jours plus tôt, à la radio.

Enfin, les Nations unies ont exprimé leur « profonde inquiétude » pour la sécurité des journalistes au Cameroun, rappelant que les deux victimes dénonçaient régulièrement les affaires de corruption. Selon l’ONU, au moins trois autres journalistes camerounais ont signalé avoir reçu des menaces crédibles à leur encontre.

@NA

 

Écrit par
Laurent Allais

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