Le meilleur atout du Nigeria est son capital humain, juge Akinwumi Adesina

À l’occasion de l’entrée en fonction du président Bola Tinubu, Akinwumi Adesina, président du Groupe de la Banque africaine de développement, ancien ministre du Nigeria, a écrit un discours d’espoir et de recommandations pour l’avenir du pays.
L’élection d’un nouveau président suscite toujours l’espoir.
Le Nigeria se tourne vers vous, président Tinubu, avec espoir.
L’espoir que vous assurerez la sécurité, la paix et la stabilité.
L’espoir que vous guérirez et unirez une nation divisée.
L’espoir que vous dépasserez les clivages partisans et que vous constituerez une force irrésistible pour faire avancer la nation, dans un esprit d’inclusion, d’impartialité, d’équité et de justice.
L’espoir que vous améliorerez radicalement l’économie.
L’espoir que vous déclencherez une nouvelle vague de prospérité.
Le point de départ doit être la stabilité macroéconomique et budgétaire. À moins de relancer l’économie et de relever avec audace les défis budgétaires, les ressources nécessaires au développement feront défaut.
Ce qu’il faut pour libérer l’entrepreneuriat des jeunes au Nigeria, ce sont de nouveaux écosystèmes financiers qui comprennent, valorisent, promeuvent et fournissent des instruments et des plateformes financiers pour soutenir les projets d’entreprise des jeunes à grande échelle.
Le Nigeria est actuellement confronté à d’énormes déficits budgétaires, estimés à 6 % du PIB. Cela est dû aux énormes dépenses du gouvernement fédéral et des gouvernements des États, à la baisse des recettes due à la diminution des revenus provenant de l’exportation du pétrole brut, aux actes de vandalisme sur les pipelines et au détournement illégal du pétrole brut.
Selon le Bureau de gestion de la dette du Nigeria, le pays consacre désormais 96 % de ses recettes au service de la dette, le ratio dette/recettes passant de 83,2 % en 2021 à 96,3 % en 2022.
Certains diront que le ratio dette/PIB de 34 % est encore faible par rapport à d’autres pays d’Afrique, ce qui est exact, mais personne ne paie sa dette en utilisant le PIB.
La dette est payée en utilisant les revenus, et les revenus du Nigeria sont en baisse.
Aujourd’hui, le Nigeria perçoit des revenus pour assurer le service de la dette, et non pour se développer.
Il faut commencer par supprimer les subventions aux carburants, qui sont inefficaces.
Au Nigeria, les subventions sur les carburants profitent aux riches, et non aux pauvres, alimentant leurs flottes de véhicules et celles du gouvernement, aux dépens des pauvres. Les estimations montrent que les 40 % les plus pauvres de la population ne consomment que 3 % de l’essence.
Les subventions aux carburants tuent l’économie nigériane, coûtant au Nigeria 10 milliards de dollars rien qu’en 2022. Cela signifie que le Nigeria emprunte des sommes qu’il n’aurait pas à emprunter s’il se contentait de supprimer les subventions et d’utiliser les ressources à bon escient pour son développement national.
Le coût de la gouvernance
Il faudrait plutôt soutenir les raffineries du secteur privé et les raffineries modulaires pour permettre l’efficacité et la compétitivité afin de faire baisser les prix du carburant à la pompe. La raffinerie Dangote récemment mise en service par le président Buhari – la plus grande raffinerie de pétrole à train unique au monde, ainsi que son complexe pétrochimique –, vont révolutionner l’économie du Nigeria.
Félicitations à Aliko Dangote pour son incroyable investissement de 19 milliards de dollars !
Il est urgent de se pencher sur le coût de la gouvernance.
Le coût de la gouvernance au Nigeria est bien trop élevé et devrait être drastiquement réduit afin de libérer plus de ressources pour le développement. Le Nigeria dépense très peu pour le développement.
Aujourd’hui, le Nigeria se classe parmi les pays dont l’indice de développement humain est le plus faible au monde, occupant le 167e rang sur 174 pays, selon la Banque mondiale.
Pour répondre aux besoins massifs du Nigeria en matière d’infrastructures, il faudra 3 000 milliards de dollars d’ici à 2050. Toujours selon la Banque mondiale, au rythme actuel, il faudrait 300 ans au Nigeria pour fournir le niveau minimum d’infrastructures nécessaires à son développement.
Nous devons changer cela. Le Nigeria doit s’appuyer davantage sur le secteur privé pour le développement des infrastructures, afin d’alléger le fardeau fiscal qui pèse sur le gouvernement.
Il y a beaucoup à faire pour augmenter les recettes fiscales, car le ratio impôts/PIB est encore faible.
Il faut notamment améliorer la perception des impôts, l’administration fiscale, passer de l’exonération fiscale à la rédemption fiscale, veiller à ce que les entreprises multinationales paient les redevances et les impôts appropriés, et à ce que les fuites dans la perception de l’impôt soient éliminées.
Toutefois, il ne suffit pas d’augmenter les impôts, car de nombreuses personnes doutent de l’intérêt de payer des impôts, d’où le niveau élevé de l’évasion fiscale. De nombreux citoyens produisent leur propre électricité, creusent des puits pour avoir accès à l’eau et réparent les routes de leur ville et de leur quartier.
Ce sont là des impôts implicites élevés.
L’économie est déjà diversifiée
Les Nigérians paient donc les « taux d’imposition implicites » les plus élevés au monde.
Les gouvernements doivent garantir des contrats sociaux efficaces en fournissant des services publics de qualité. L’important n’est pas le montant collecté, mais la manière dont il est dépensé et les prestations fournies. Les nations qui se développent le mieux ont des gouvernements efficaces qui garantissent des contrats sociaux avec leurs citoyens.
Nous devons rééquilibrer la structure et les performances de l’économie.
Un refrain très courant au Nigeria, avec chacun des gouvernements successifs, est « Nous devons diversifier l’économie ». Est-ce bien le cas ? L’économie du Nigeria est l’une des plus diversifiées d’Afrique, le secteur pétrolier ne représentant que 15 % du PIB, et 85 % provenant des autres secteurs.
Le défi du Nigeria n’est pas la diversification. Le défi du Nigeria est la concentration des revenus. En effet, le secteur pétrolier représente 75,4 % des recettes d’exportation et 50 % de l’ensemble des recettes publiques.

La solution consiste donc à éliminer les goulets d’étranglement qui entravent 85 % de l’économie. Parmi ceux-ci figurent une faible productivité, des infrastructures et une logistique médiocres, une fourniture d’électricité épileptique et un accès inadéquat au financement pour les petites et moyennes entreprises.
Le Nigeria doit également passer d’une approche de substitution des importations à une industrialisation axée sur les exportations. Les nations ne prospèrent pas grâce à la substitution des importations, mais grâce à l’industrialisation axée sur l’exportation.
Pour accélérer sa croissance, le Nigeria doit absolument résoudre le problème de l’électricité, une bonne fois pour toutes.
Rien ne justifie que le Nigeria n’ait pas assez d’électricité.
L’anormal est devenu normal.
Le secteur privé nigérian est entravé par le coût élevé de l’électricité. La fourniture d’électricité rendra les industries plus compétitives.
Et ce n’est pas sorcier.
Prenez deux exemples : Le Kenya et l’Égypte.
Avec le soutien de la Banque africaine de développement, le Kenya, sous la présidence de M. Kenyatta, a pu élargir l’accès à l’électricité de 32 % en 2013 à 75 % en 2022. Quelle incroyable réussite en l’espace de dix ans !
Aujourd’hui, 86 % de l’économie kényane est alimentée par des énergies renouvelables. Et dans le cadre d’un seul projet – le Projet de connectivité du dernier kilomètre – le soutien de la BAD a permis au Kenya de raccorder plus de 2,3 millions de ménages pauvres à l’électricité – soit plus de 12 millions de personnes bénéficiant d’un raccordement au réseau électrique à un prix abordable.
En 2014, l’Égypte accusait un déficit électrique de 6 000 mégawatts, mais en 2022, elle disposait d’une capacité de production d’électricité excédentaire de 20 000 mégawatts. C’est incroyable !
Redynamiser les zones rurales
Je félicite le gouvernement du Nigeria pour la récente mise en service de plusieurs projets électriques. Mais il reste encore beaucoup à faire.
Le Nigeria devrait investir massivement dans les énergies renouvelables, en particulier l’énergie solaire. La Banque africaine de développement met en œuvre un programme de 25 milliards de dollars baptisé « Desert-to-Power », dont l’objectif est de fournir de l’électricité à 250 millions de personnes dans le Sahel, y compris dans le nord du Nigeria.
Pour un développement inclusif, le Nigeria doit complètement redynamiser ses zones rurales.
Les zones rurales du Nigeria sont oubliées et sont devenues des zones de misère économique.
Pour relancer et transformer ces économies rurales, nous devons faire de l’agriculture leur principale source de revenus, une activité économique et un secteur créateur de richesses. Pour être clair, l’agriculture n’est pas un secteur de développement. L’agriculture est une activité économique.
Le développement de Zones spéciales de transformation agro-industrielle transformera l’agriculture, ajoutera de la valeur aux chaînes de valeur agricoles et attirera les entreprises agroalimentaires et agro-industrielles du secteur privé dans les zones rurales.
Les Zones spéciales de transformation agro-industrielle contribueront à transformer les zones rurales en nouvelles zones de prospérité économique et à créer des millions d’emplois.
La Banque africaine de développement, la Banque islamique de développement et le Fonds international de développement agricole soutiennent actuellement la mise en œuvre d’un programme de zones spéciales de transformation agro-industrielle d’un montant de 518 millions de dollars dans sept États et dans le Territoire de la capitale fédérale.
Nous sommes prêts à aider à étendre ce programme à tous les États du pays. Nous sommes également prêts à aider à réorganiser les institutions de crédit agricole afin de moderniser le secteur de l’alimentation et de l’agriculture.
Le meilleur atout du Nigeria ne réside pas dans ses ressources naturelles ; le meilleur atout du Nigeria est son capital humain. Nous devons investir massivement dans le capital humain pour développer les compétences dont le Nigeria a besoin pour être compétitif à l’échelle mondiale, dans une économie mondiale caractérisée par une numérisation rapide.
La richesse est basée sur la jeunesse
Nous devons créer des institutions éducatives de classe internationale et accélérer le développement des compétences en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques, ainsi qu’en TIC et en codage informatique, qui façonneront les emplois de demain.
Il est urgent de libérer le potentiel de la jeunesse. Aujourd’hui, plus de 75 % de la population du Nigeria a moins de 35 ans. Cela représente un avantage démographique. Mais il doit être transformé en avantage économique.
Le Nigeria doit créer de la richesse basée sur la jeunesse.
Nous devons nous écarter des soi-disant « programmes d’autonomisation des jeunes ». Les jeunes n’ont pas besoin qu’on leur fasse la charité. Ils ont besoin d’investissements. Les systèmes bancaires actuels ne prêtent pas et ne prêteront pas aux jeunes. Les fonds spéciaux, bien que leur approche soit palliative, ne sont pas systémiques et ne sont pas non plus durables.
Ce qu’il faut pour libérer l’entrepreneuriat des jeunes au Nigeria, ce sont de nouveaux écosystèmes financiers qui comprennent, valorisent, promeuvent et fournissent des instruments et des plateformes financiers pour soutenir les projets d’entreprise des jeunes à grande échelle.
La Banque africaine de développement et ses partenaires, dont l’Agence française de développement et la Banque islamique de développement, ont lancé le programme I-DICE de 618 millions de dollars pour développer les entreprises numériques et créatives. Elles créeront 6 millions d’emplois et ajouteront 6,3 milliards de dollars à l’économie du Nigeria.
L’espoir que vous dépasserez les clivages partisans et que vous constituerez une force irrésistible pour faire avancer la nation, dans un esprit d’inclusion, d’impartialité, d’équité et de justice.
La Banque africaine de développement travaille actuellement avec les banques centrales et les pays pour concevoir et soutenir la création de Banques d’investissement pour l’entrepreneuriat des jeunes. Il s’agira de nouvelles institutions financières, dirigées par de jeunes experts et banquiers, professionnels et hautement compétents, qui développeront et déploieront de nouveaux produits et services financiers pour les entreprises et les projets des jeunes.
Le tour du Nigeria est venu !
Plusieurs pays africains prévoient de créer des Banques d’investissement pour l’entrepreneuriat des jeunes.
Le Nigeria devrait créer une Banque d’investissement pour l’entrepreneuriat des jeunes.
L’économie du Nigeria doit décoller !
Nous avons l’occasion d’écrire l’histoire.
Écrire l’histoire en bâtissant un Nigeria résurgent.
Un Nigeria uni et prospère.
Le tour du Nigeria est venu !
Que Dieu bénisse la République fédérale du Nigeria.
Akinwumi Adesina
@NA