Le Maroc fâché contre le Parlement européen

Les parlementaires marocains ont vivement réagi au vote d’une résolution du Parlement européen relative aux soupçons de corruption et à la liberté de la presse. Ils réexaminent leurs relations avec leurs collègues européens, à l’aune de ce qu’ils considèrent comme une ingérence.
Les affaires de corruption supposée au Parlement européen prennent un tour diplomatique inquiétant. Les révélations vont bon train, au sein des institutions de l’Union européenne, sur des « cadeaux » reçu par tel ou tel député européen, – y compris la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola – venu de lobbies plus ou moins bien intentionnés. Ces lobbies viendraient de divers pays, Qatar et Maroc, ainsi que la Mauritanie, étant souvent cités.
« Il y a une affaire de corruption de la justice belge et on profite de cette occasion pour essayer de régler des comptes avec le Maroc. La réponse est venue du Parlement marocain parce que c’est le Parlement européen qui interfère dans le système judiciaire marocain. »
Selon le quotidien belge Le Soir, une trentaine de députés européens, issus des groupes de gauche et des écologistes, ont demandé à la présidente Metsola d’interdire aux diplomates marocains d’accéder au Parlement européen, le temps de l’enquête sur cette corruption présumée. Une mesure similaire a déjà été prise à l’égard des Qataris. Cette demande sera examinée ce 26 janvier.
Le 19 janvier, les députés européens ont décidé de voter une résolution s’inquiétant de la liberté de la presse au Maroc, en même temps que des affaires de corruption. Le Parlement de Strasbourg demande aux autorités marocaines de « respecter la liberté d’expression et la liberté des médias » et à mettre fin au « harcèlement de tous les journalistes ». Les députés font explicitement allusion à la condamnation du journaliste Omar Radi, condamné en appel à six ans de prison pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État » et « viol », ainsi que de deux autres journalistes détenus pour des motifs comparables.
De plus, les députés se disent « profondément préoccupés » par « les allégations selon lesquelles les autorités marocaines auraient corrompu des députés au Parlement européen ». Cette demande n’est « absolument pas contraignante pour les pays de l’Union européenne », nuance le chercheur Emmanuel Dupuy. Qui ne voit « aucun changement » dans les relations diplomatiques entre le Maroc et ses partenaires, du fait de ce texte.
Une « évaluation globale »
Pourtant, la réplique marocaine ne s’est pas fait attendre, au niveau parlementaire. Les députés ont décidé unanimement, lundi 23 janvier de « reconsidérer » les relations avec le Parlement européen, rejetant l’« « ingérence » dans les affaires du Royaume. Les deux chambres du Parlement se sont réunies en séance plénière à Rabat pour « évaluer » la résolution du Parlement européen.
Le Parlement marocain estime que le texte européen constitue « une attaque inacceptable contre la souveraineté, la dignité et l’indépendance des institutions judiciaires du royaume ». Cette résolution, poursuit-il, « a gravement nui au capital confiance entre les deux institutions législatives ». Ce qui conduit l’assemblée marocaine à « reconsidérer ses relations avec le Parlement européen et de les soumettre à une évaluation globale ». Le président de la chambre des Représentants, Rachid Talbi Alami, n’a pas donné plus de détails sur la manière dont serait conduite cette évaluation.

La classe politique marocaine a emboîté le pas. Les « décisions des eurodéputés ne vont pas nous intimider et nous n’allons pas changer notre trajectoire et nos approches », a martelé Mohamed Ghiat, le président du groupe du Rassemblement national des indépendants (RNI), le principal parti de la majorité.
Certains profitent de cette brouille pour accuser la France – avec qui les relations semblaient pourtant apaisées. Certains soupçonnent l’ancienne puissance coloniale d’orchestrer une campagne contre le Maroc, dans le but de s’attirer les bonnes grâces de l’Algérie ; cette dernière ayant le bon goût de produire du gaz.
« Le Maroc en a assez du deux poids, deux mesures », a affirmé à l’AFP Abdelmajid Fassi Fihri, député du parti de l’Istiqlal, une formation gouvernementale, faisant observer que le Parlement européen n’a pas condamné les atteintes à la liberté de la presse en Algérie. Toutefois, quelques députés de partis de gauche marocains ont réclamé « la libération de tous les prisonniers politiques » au Maroc.
Un règlement de compte ?
Qui comprennent également, donc, Taoufik Bouachrine, 54 ans, ex-patron de presse emprisonné depuis 2018, et de Soulaimane Raissouni, 50 ans, autre journaliste condamné à cinq ans de prison en 2022. Tous les trois ont été condamnés pour des accusations à caractère sexuel, lesquelles, selon des ONG de défense des droits humains, ont été « fabriquées » par les autorités marocaines.
De son côté, Lahcen Haddad, coprésident marocain de la commission mixte UE-Maroc, regrette « les amalgames » qu’engendre cette crise. « Il y a une affaire de corruption de la justice belge et on profite de cette occasion pour essayer de régler des comptes avec le Maroc, confie-t-il à RFI. La réponse est venue du Parlement marocain parce que c’est le Parlement européen qui interfère dans le système judiciaire marocain. » Regrettant que son organisme, censé apaiser les conflits, n’ait pas été consulté, il n’exclut d’ailleurs pas que le Maroc en sorte.
@NA