Le Gabon a-t-il pris un nouveau départ ?

Une junte militaire promet un changement dans un pays réputé pour sa mauvaise gouvernance, mais le coup d’État pourrait se révéler n’être qu’un simple remaniement de l’élite gabonaise.
Moins d’un mois après le coup d’État qui a renversé le président gabonais Ali Bongo Ondimba, il est trop tôt pour dire si le 30 août 2023 représente une véritable rupture avec les 56 ans de règne de la famille Bongo.
« En fin de compte, le président Bongo n’a pas réussi à s’accrocher au pouvoir en raison de la frustration populaire croissante liée au fait que les vastes richesses pétrolières n’ont pas profité aux Gabonais ordinaires », commentait, au lendemain du coup d’État, Maja Bovcon, analyste principale pour l’Afrique à la société de renseignements sur les risques Verisk Maplecroft.
La société minière française Eramet, qui produit du manganèse au Gabon et qui avait déclaré le jour du coup d’État qu’elle cesserait ses activités à titre de précaution, a rapidement annoncé qu’elle reprendrait sa production.
Le Gabon est l’un des principaux producteurs de pétrole d’Afrique et un membre de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), avec une production de 211 000 barils/jour en juillet.
Ses vastes forêts tropicales, qui couvrent 88 % d’un territoire plus grand que le Royaume-Uni, lui ont également permis de devenir un pionnier dans le domaine de l’écotourisme et de développer des crédits carbone qui peuvent être vendus à des entreprises du monde développé qui souhaitent compenser leurs émissions. En août, le pays a conclu un échange dette-nature de 500 millions de dollars, dans le cadre duquel il a refinancé sa dette afin de préserver ses ressources marines grâce à la création de l’obligation bleue du Gabon.
Cependant, sous le règne de la famille Bongo, le pays n’a pas atteint son potentiel économique et les bénéfices du développement ont été inégalement répartis.
Le père du président, Omar Bongo, a pris le pouvoir en 1967 et l’a exercé jusqu’à sa mort en 2009. Pendant une grande partie de cette période, le pays était un État à parti unique, dans lequel les membres de l’opposition étaient tour à tour arrêtés, assassinés ou achetés. Bongo père a présidé à un boom pétrolier et s’est bâti une vaste fortune personnelle à partir de ressources publiques et de pots-de-vin, comme l’ont révélé, par exemple, les témoignages présentés lors du procès de Loïk Le Floch-Prigent, l’ancien dirigeant de la compagnie pétrolière Elf-Aquitaine, en 2003.
En 2021, Ali Bongo a été cité dans les « Pandora Papers », une collection de près de 12 millions de documents divulgués au Consortium international des journalistes d’investigation (ICTJ), qui a révélé les avoirs offshore secrets de 35 dirigeants mondiaux. Le « système Bongo », selon l’ICTJ, était le terme populaire pour l’« accumulation effrénée de richesses ».
Un coup d’État de palais ?
Des membres de la famille Bongo et des administrateurs de haut rang ont été arrêtés pour détournement de fonds et corruption, bien que la junte ait déclaré qu’Ali Bongo, qui a été libéré de son assignation à résidence initiale, est libre de se rendre à l’étranger pour y recevoir des soins médicaux.
Cependant, alors que la CTRI a déclaré avoir pris le pouvoir en s’inspirant du « désir de changement » du peuple gabonais, de nombreux commentateurs comparent leur prise de pouvoir à un coup d’État de palais.
Le général Brice Oligui Nguema, qui a prêté serment en tant que chef de l’État de transition le 4 septembre, serait un parent éloigné de la famille Bongo et aurait été proche non seulement du président déchu en tant que chef de la garde présidentielle d’élite, mais aussi de son père.
« Ce coup d’État marque-t-il vraiment la fin de la dynastie Bongo ou ne s’agit-il que de la dernière rivalité entre les différentes factions de la famille Bongo ? », s’interroge Maja Bovcon.

Des membres de l’ancien gouvernement ont été remplacés, notamment le ministre de l’environnement Lee White, – Gabonais d’origine britannique –, qui a présidé à la création du programme de crédits carbone du pays et a appelé les pays riches à débloquer les 100 milliards $ de financement climatique initialement promis aux pays en développement en 2009.
De son côté, Albert Ondo Ossa, le candidat de l’opposition aux récentes élections, dont il affirme être le véritable vainqueur, n’a pas été intégré au gouvernement ; il a déclaré à Al Jazeera, que selon lui, le coup d’État avait été orchestré par la sœur du président déchu.
« En fait, je pense que la famille Bongo s’est débarrassée d’un de ses membres qui pesait sur la famille, et qu’elle voulait que le pouvoir Bongo continue… C’était une révolution de palais, pas un coup d’État. C’est une affaire de famille, où un frère en remplace un autre. »
Tout en reconnaissant que le coup d’État avait été salué par des célébrations, il a prédit que le peuple se rendrait bientôt compte que la famille Bongo était au pouvoir par procuration. Il a appelé à un retour à la démocratie, mais le nouveau gouvernement a déclaré qu’il ne prévoyait pas d’organiser des élections avant deux ans.
Les affaires sont les affaires
Les actions d’un grand nombre des plus de 80 sociétés françaises actives au Gabon ont chuté immédiatement après le coup d’État. Toutefois, la société minière française Eramet, qui produit du manganèse au Gabon et qui avait déclaré le jour du coup d’État qu’elle cesserait ses activités à titre de précaution, a rapidement annoncé qu’elle reprendrait sa production.
Il semble également que les actifs de la multinationale pétrolière et gazière Tullow Oil dans le pays n’ont pas été affectés par le coup d’État. « Tout s’est déroulé normalement, un certain nombre de cargaisons ont été levées », a déclaré le PDG Rahul Dhir à Bloomberg. « Nous avons évidemment surveillé la situation de près, mais tout s’est bien passé. »
Le pays représente environ un quart de la production de brut de Tullow. Bloomberg révèle que la société avait obtenu l’autorisation d’étendre certaines de ses licences jusqu’en 2046, peu avant le coup d’État.
Un problème pour la communauté internationale
Bien que le mécontentement à l’égard de la famille Bongo soit élevé, l’« inspiration du coup d’État est probablement venue du Sahel, où nous avons assisté à une série de coups d’État au cours des trois dernières années », relève Maja Bovcon.
Cependant, la situation du Gabon offre un certain nombre de contrastes avec le Sahel. Sa situation sécuritaire n’est pas perturbée par les insurrections djihadistes qui sévissent dans cette région. De plus, même si son revenu de 9 000 dollars par habitant est dispersé, il reste dix fois supérieur à celui d’un pays comme le Mali, souligne Charlie Robertson, responsable de la stratégie macro chez le gestionnaire d’investissement FIM Partners UK.
Et pour couronner le tout, poursuit-il, l’importance financière du pays pour les pays occidentaux diffère : « Enfin un coup d’État qui intéresse les marchés financiers ! », ironise-t-il.
Les dirigeants du monde entier ont condamné le coup d’État. Le président de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, l’a condamné comme « une violation flagrante des instruments juridiques et politiques de l’Union africaine », mais aucune sanction n’a été annoncée jusqu’à présent.
@NA