L’Afrique du Sud peut-elle arrêter Vladimir Poutine ?

Lorsque le président Poutine, poursuivi par la CPI, arrivera au sommet des BRICS en Afrique du Sud en août 2023, le pays sera confronté à un choix délicat entre ses obligations et ses intérêts. Sa réponse sera cruciale pour maintenir sa position morale à l’international.
Alors que l’Afrique du Sud se prépare à accueillir le quinzième sommet des BRICS en août, elle est confrontée à un défi de taille dans ses relations internationales. Si tous les dirigeants des économies émergentes – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – seront présents, l’Afrique du Sud devra-t-elle arrêter le président russe Vladimir Poutine ?
En effet, le 17 mars, la CPI (Cour pénale internationale) a émis un mandat d’arrêt à l’encontre de Vladimir Poutine. Elle l’accuse d’avoir, avec Maria Lvova-Belova, commissaire aux droits de l’enfant de la Fédération de Russie, transféré des enfants ukrainiens des régions occupées et des zones contrôlées par la Russie pendant la guerre. Selon le gouvernement ukrainien, 16 226 enfants ont été déportés en Russie, principalement dans des orphelinats, des camps d’été et des internats.
En fin de compte, il est nécessaire de faire respecter l’État de droit et les droits de l’homme tout en maintenant des relations diplomatiques avec les autres pays membres des BRICS.
Les autorités russes affirment avoir transféré les enfants en vue de leur adoption par des familles russes et de leur « rééducation », mais une telle action est contraire à la quatrième convention de Genève. Le mandat d’arrêt de la CPI joue donc un rôle essentiel dans le traitement de ces allégations. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine dure depuis 2014, avec l’annexion de la Crimée par la Russie et les mouvements séparatistes qui ont suivi dans l’est de l’Ukraine. La police nationale ukrainienne a ouvert plus de 68 000 dossiers relatifs aux crimes commis par les forces d’invasion russes en Ukraine.
L’Afrique du Sud est tenue, en vertu du droit international et national, d’arrêter Poutine et de le remettre à la CPI s’il décide de se rendre en Afrique du Sud pour le sommet des BRICS qui se tiendra à Durban du 22 au 24 août 2023.
L’article 27 du Statut de Rome de la CPI stipule que « la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou de fonctionnaire n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale ». La CPI peut donc poursuivre même les chefs d’État en exercice.
Certains pourraient toutefois faire valoir que l’exécution du mandat pourrait nuire aux relations de l’Afrique du Sud avec la Russie, ou que la CPI cible injustement certains pays.
Le précédent Omar el-Béchir
Il est important de prendre en compte la gravité des accusations contre Poutine et les conséquences potentielles de l’autoriser à voyager librement sans craindre d’être arrêté. Il convient également de noter que l’Afrique du Sud n’a pas arrêté Omar el-Béchir, qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI lorsqu’il s’est rendu dans le pays en tant que président du Soudan en 2015, en raison de considérations politiques.
L’absence de remise d’Omar el-Béchir par le gouvernement a été jugée incompatible avec les obligations de l’Afrique du Sud en vertu du droit international et national, et donc illégale. L’Afrique du Sud risque de subir des conséquences juridiques similaires si elle ne se conforme pas au mandat d’arrêt de la CPI à l’encontre de Vladimir Poutine.
S’il est compréhensible que certains s’inquiètent des implications politiques de l’arrestation du chef du Kremlin, l’Afrique du Sud a la responsabilité de faire respecter l’État de droit et de s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du droit international et national. Le non-respect de cette obligation serait non seulement illégal, mais pourrait également nuire à la réputation de l’Afrique du Sud en tant que nation démocratique qui défend les principes de justice et de responsabilité.
L’Union des BRICS a été créée en 2009 pour promouvoir la collaboration dans les domaines du commerce, de la finance et du développement entre les économies émergentes. Son objectif premier était de créer un front uni contre les économies développées, en particulier les États-Unis et l’Union européenne, qui dominaient le système financier mondial. L’union des BRICS représente plus de 40 % de la population mondiale et plus d’un quart de son PIB.
L’inclusion de l’Afrique du Sud dans les BRICS en 2010 était importante car elle sert de porte d’entrée au reste du continent africain, qui offre un immense potentiel inexploité en matière de commerce, d’investissement et de développement. En outre, l’adhésion de l’Afrique du Sud a été considérée comme une reconnaissance de sa stabilité sociale et politique.
Le maintien de bonnes relations avec les États membres des BRICS est une priorité pour l’Afrique du Sud, selon Naledi Pandor, son ministre des Relations internationales et de la coopération. L’arrestation de Poutine pourrait perturber la politique étrangère de l’Afrique du Sud, notamment en ce qui concerne la Russie et la Chine.
Si la Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique du Sud, la Russie et l’Afrique du Sud entretiennent des relations depuis plusieurs décennies. Elles ont collaboré dans des domaines tels que la défense, la technologie et l’énergie. En dehors de ces domaines, les deux pays partagent un intérêt commun pour la promotion d’un ordre mondial multipolaire et l’expansion de leur influence sur la scène mondiale.
Non-ingérence
Il convient de noter que le gouvernement sud-africain a adopté une position neutre concernant le conflit entre la Russie et l’Ukraine, soutenant que la Russie est toujours un partenaire et exprimant son intérêt à s’engager avec tous les États membres des BRICS pour renforcer la coopération au sein de l’union.
L’arrestation de Poutine, si elle a lieu, pourrait signaler l’engagement de l’Afrique du Sud à faire respecter l’État de droit et les droits de l’homme et à promouvoir des conditions de concurrence plus équitables pour tous les membres des BRICS. Toutefois, elle pourrait également déclencher une crise diplomatique entre l’Afrique du Sud et la Russie et avoir des répercussions économiques pour l’Afrique du Sud, la Russie étant un investisseur important dans les secteurs de l’exploitation minière et de l’énergie du pays.
En outre, l’union des BRICS est fondée sur des principes de non-ingérence dans les affaires intérieures de chacun, et l’arrestation de Poutine pourrait être perçue comme une violation de ce principe. L’Afrique du Sud devrait peser soigneusement les avantages et les risques potentiels d’une telle action et envisager d’autres moyens de faire respecter l’État de droit et les droits de l’homme sans mettre en péril ses relations extérieures et ses intérêts économiques.
Les pressions exercées sur l’Afrique du Sud pour qu’elle exécute le mandat d’arrêt de la CPI à l’encontre de Vladimir Poutine mettent également en lumière la nature controversée de la CPI elle-même.
La CPI a été accusée d’avoir un parti pris pour l’Afrique, nombre de ses poursuites étant dirigées contre des pays et des dirigeants africains. Cela a suscité des inquiétudes quant à la légitimité de l’institution, car elle semble cibler une région du monde tout en ignorant d’autres régions où des crimes similaires sont commis.
En outre, le fait que plusieurs grandes puissances mondiales, dont les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Pakistan et l’Indonésie, n’aient pas adhéré à la CPI soulève également des questions quant à sa légitimité. Sans la participation de ces pays, qui représentent plus de la moitié de la population mondiale, la portée et l’efficacité de la CPI sont limitées.
La légitimité de la CPI a également été remise en question en raison de la partialité qu’elle semble afficher à l’égard des puissances occidentales. La CPI a été critiquée pour ne pas avoir poursuivi les pays occidentaux, en particulier les États-Unis et leurs alliés, pour leurs actions en Irak et dans d’autres conflits. Certains se demandent donc si la CPI est vraiment une institution neutre qui applique l’État de droit de la même manière à tous les pays.
La CPI n’est pas exempte de reproches
Malgré ces critiques, il est important de reconnaître que la CPI a remporté quelques succès dans la poursuite de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, comme la récente condamnation de Dominic Ongwen, un ancien chef rebelle ougandais. La CPI a également joué un rôle essentiel dans la promotion de l’obligation de rendre des comptes pour les crimes internationaux graves et dans la fourniture de justice aux victimes de violations des droits de l’homme.

Néanmoins, il est important que la CPI réponde aux préoccupations concernant sa légitimité afin de s’assurer qu’elle est perçue comme une institution juste et impartiale. Cela peut se faire en réformant son mandat et sa gouvernance, ainsi qu’en augmentant sa portée et son efficacité dans d’autres régions du monde. En outre, la CPI devrait s’efforcer de répondre aux critiques de poursuites sélectives et de partialité, en imposant à tous les pays les mêmes normes de responsabilité.
Dans l’ensemble, la question de la légitimité de la CPI est une question complexe et à multiples facettes qui nécessite un nouvel examen approfondi. Bien que la CPI ait connu des succès, il est important qu’elle réponde aux préoccupations concernant sa partialité et sa portée limitée afin de s’assurer qu’elle est perçue comme un mécanisme légitime pour promouvoir la justice et la responsabilité à l’échelle mondiale.
Le sommet des BRICS représente un défi unique pour l’Afrique du Sud. Le pays doit trouver un équilibre entre ses obligations légales et ses intérêts économiques et stratégiques au sein de l’Union. Il est essentiel de rechercher le soutien d’autres États membres de la CPI et d’engager un dialogue avec les membres des BRICS pour promouvoir des réformes du mandat et de la gouvernance de la CPI. Cette approche pourrait contribuer à répondre aux préoccupations concernant les poursuites sélectives et la partialité, tout en garantissant que tous les pays sont tenus de respecter les mêmes normes de responsabilité.
La décision de l’Afrique du Sud d’exécuter ou non le mandat d’arrêt de la CPI contre Poutine mettra à l’épreuve son engagement en faveur de l’État de droit et des droits de l’homme. Donner la priorité aux intérêts stratégiques plutôt qu’aux obligations et à la légitimité pourrait avoir de graves conséquences pour la réputation mondiale de l’Afrique du Sud et son engagement en faveur de la justice.
La recherche d’un équilibre délicat entre ses obligations, ses intérêts et sa légitimité sera cruciale pour le maintien de sa position morale au sein de la communauté mondiale. En fin de compte, il est nécessaire de faire respecter l’État de droit et les droits de l’homme tout en maintenant des relations diplomatiques avec les autres pays membres des BRICS.
Lethabo Sithole est associé gérant chez Amila Africa.
@NA