La faiblesse de l’opposition

Exclue du Mouvement populaire ayant conduit au changement de régime en Algérie, l’opposition peine à s’imposer. Après des décennies marquées par la domination du FLN, des organisations alternatives ont du mal à se structurer et à convaincre.
Alger, Ali Boukhlef
Le Mouvement populaire, né le 22 février 2019 dans le but d’empêcher Abdelaziz Bouteflika de briguer un cinquième mandat présidentiel n’a été provoqué par aucune formation politique.
Il est né des appels sur les réseaux sociaux à des manifestations, qui se déroulent encore chaque vendredi, pour réclamer « le départ du système » en place. Personne, y compris au sein des partis politiques d’opposition n’a vu venir la révolte.
Par la suite, aucune force politique n’a pu canaliser cette mobilisation populaire sans précédent en Algérie.
Plus que cela, des figures de l’opposition ont été chassées des manifestations. Accusés d’avoir flirté avec le pouvoir depuis des décennies, ces dirigeants constatent leur échec : « Il est illusoire de parler de l’opposition depuis le 22 février. Il ne reste plus rien ! », admet Mohcine Belabbas, le président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), un parti laïc.
Le jeune dirigeant, qui a remplacé en 2012 le charismatique fondateur du RCD, Saïd Sadi, parle en connaissance de cause : son organisation, qui figure parmi les opposants historiques au régime, ne draine plus les foules. Le constat est amer.
« Les partis souffrent d’une incapacité à mobiliser, à se renouveler et à convaincre », résume la politologue Louisa Aït-Hamadouche, enseignante à l’université d’Alger. Pour l’universitaire, les partis « doivent admettre qu’ils n’arrivent pas à incarner leurs discours. Ils sont loin des standards de partis démocratiques qu’ils prétendent être », confie-t-elle à NewAfrican.
« Nous sommes dans un pays jeune, donc avec une démocratie naissante. Les partis politiques sont dans l’apprentissage. Nous sommes loin de voir des partis politiques réaliser un travail unitaire. On s’accroche souvent sur les clivages. Cela retarde l’accomplissement de l’objectif principal de l’action politique qui est d’avoir de l’impact sur la vie des citoyens », concède Abdelkader Groucen, ancien député du Parti des travailleurs, devenu membre du RCD.
Des contraintes objectives et crises internes
Le constat de l’ancien leader trotskiste est partagé par l’ensemble de la classe politique. Parce qu’en dehors de ces moments de mobilisation, l’opposition a alterné entre le chaud et le froid.
Elle a toujours critiqué le pouvoir et « le système finissant », mais elle a rarement boudé les échéances électorales qui « ont légitimé le système », comme le lui reprochent certains activistes du mouvement populaire.
Si certains accablent ces « sautes d’humour » de l’opposition, Djamel Zenati juge que le problème est beaucoup plus profond que cela. L’ancien animateur du Mouvement culturel berbère et député du Front des forces socialistes (le plus vieux parti de l’opposition fondé par Hocine Aït-Ahmed en 1963), les tares de « la classe politique algérienne dans son ensemble » sont antérieures à l’avènement du multipartisme en 1989.
Pour l’homme politique, aujourd’hui retraité et sans attaches partisanes, la classe politique n’« a pas de modèle ». « À la création du FLN, en 1954, le seul projet qui était admis était la rupture avec le système colonial. À l’indépendance, nous sommes directement entrés dans le système du parti unique, avec ses travers ; à l’ouverture politique en 1989, le seul parti était le FLN. Les partis naissants ont donc pris des méthodes de ce parti, ses magouilles, son fonctionnement clanique. Nous en payons toujours le prix », résume l’ancien parlementaire (1997-2002).
Au-delà de ces travers que connaissent les partis de l’opposition, des « raisons objectives » empêchent l’émergence d’une classe politique structurée, juge Louisa Aït-Hamadouche. « Les partis politiques souffrent de contraintes objectives, parmi lesquelles la nature autoritaire du système. Ils ont également fait face à la fermeture des espaces d’expression et des médias publics. »
Deux initiatives ont été lancées. La Rencontre de l’alternative démocratique réunit les partis laïcs et de gauche pour « créer les conditions d’une transition politique ». Les Forces de changement regroupent des partis nationalistes et des islamistes modérés.
Des tentatives de rassemblement
Parmi les contraintes que vivent les partis politiques, figurent les tentatives de déstabilisation provenant du pouvoir, baptisées « mouvements de redressement » à l’intérieur même des organisations, pour remplacer les directions par des dirigeants plus favorables au pouvoir. C’est ce que vient de vivre le Front des forces socialistes, FFS.
Le parti social-démocrate (seul membre algérien de l’Internationale socialiste) est dirigé actuellement par deux directions qui se disent légitimes. L’une dispose d’un cachet officiel, mais l’autre occupe le siège du parti !
« Le pouvoir protège des mercenaires qui ont pris de force notre siège. Nous payons les frais de nos positions. Nous devons résister », a lancé Ali Laskri, membre de la direction du FFS qui demande l’aide d’autres partis politiques avec lesquels il a créé une alliance en vue de sortir le pays de la crise qu’il vit depuis de longs mois. Son allié, le Parti des travailleurs, dont la dirigeante, Louisa Hanoune, est emprisonnée
depuis le 9 mai (sa détention provisoire a été confirmée le 16 juillet) pour « complot contre l’armée », connaît lui aussi un « mouvement de redressement », encouragé par des médias proches des autorités.
Malgré ces difficultés, les partis politiques algériens commencent à se rapprocher, afin de trouver un consensus autour de la transition démocratique. Deux initiatives ont été lancées. L’une est appelée « Rencontre de l’alternative démocratique ».
Elle réunit les partis laïcs et de gauche pour « créer les conditions d’une transition politique ». L’autre, appelée « Forces de changement » et suscitée par des partis nationalistes et des islamistes modérés, veut aller vers une élection présidentielle « dans les plus brefs délais ».
Pour Louisa Aït-Hamadouche, ces tentatives sont de « bonnes expériences pour tenter de renverser une tendance lourde qui est l’impossibilité de réunir les forces de l’opposition ». C’est une « base de départ pour une action commune, une première étape d’une action plus longue qui ne peut pas créer un rapport de force favorable ».
Selon Abdelkader Groucen, à cause de la crise que vit le pays, « nous devons tous accepter nos différences, nos divergences pour parvenir à une alternative démocratique. Nous pouvons trouver un “SMIC démocratique” pour répondre à l’urgence ». Ces initiatives seront-elles suffisantes ? Sans doute pas, selon Djamel Zenati qui estime que « tout est à refaire dans le pays, à commencer par la classe politique ».