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Entretien Politique

La crise économique contraint l’Égypte à des ajustements politiques

La crise économique contraint l’Égypte à des ajustements politiques
  • Publiénovembre 22, 2022

Le gouvernement égyptien doit annoncer un train de mesures pour trouver une issue à la crise économique. Peuvent-elles s’accompagner d’une réforme politique ? Robert Springborg, professeur au King’s College de Londres doute que celle-ci soit de grande ampleur.

 

Dans le contexte actuel de crise économique, quels ont été les retombées de la CO27 pour l’Égypte ?

Les bénéfices obtenus sont principalement pour le régime et n’iront que secondairement aux citoyens. Un nombre substantiel d’Égyptiens était détenu avant la COP27, de peur qu’ils ne protestent contre cette réunion ou contre le régime. La tenue de l’événement à Charm El-Cheikh a permis de manifester le soutien des Nations unies, et donc des puissances mondiales, au président Sissi, à un moment où son leadership est remis en question par les Égyptiens. Ceux-ci souffrent de la mauvaise gestion économique, aggravée par les difficultés économiques mondiales.

Ce que le régime ne peut pas faire, c’est relâcher la répression, de peur que le mécontentement populaire face à l’austérité économique n’alimente une opposition organisée. Quelques manifestations sont une chose, mais laisser à l’opposition une voix soutenue et un espace politique où s’organiser en est une autre.

La COP a également apporté des avantages directs sous la forme de promesses, notamment de la part du président américain Biden, d’accorder à l’Égypte un soutien financier pour la transition vers les énergies vertes. Enfin, les séances de photos offertes à Charm El-Cheikh ont servi à promouvoir le tourisme dans cette ville et en Égypte plus généralement.

 

Sachant que l’Égypte dépendait de la Russie et de l’Ukraine pour environ 80 % de ses importations de blé, comment le pays fait-il face à la pénurie ?

L’Égypte a diversifié ses achats de blé au cours des derniers mois, en incluant l’Inde et la France parmi ses fournisseurs. Mais elle a dû payer plus cher en raison de la hausse générale des prix. Le gouvernement a intensifié ses réquisitions directes de blé produit localement, évinçant ainsi les acheteurs privés de ce marché et réduisant la production privée de pain et de pâtes pour le marché local. Il a également introduit un système de lettres de crédit exigeant le paiement anticipé de devises étrangères, ce qui a eu pour effet de stopper les importations privées d’un large éventail de produits, dont le blé.

 

Le rôle du secteur public égyptien dans l’économie est sérieusement critiqué. Quels sont les signes d’une évolution vers le secteur privé ?

Au début de l’automne, le gouvernement a déclaré une politique de l’État qui soutient la privatisation dans un cadre qui répartit l’économie en trois secteurs : public, privé et mixte. L’objectif déclaré est qu’environ deux tiers de l’économie soient aux mains du secteur privé à la fin d’une période de transition.

La proportion exacte actuelle entre propriété publique et privée n’est pas connue. Le gouvernement et le président ont fourni des chiffres très variables. Le président Sissi a pu déclarer, dans le passé, que le secteur privé contrôlait déjà deux tiers de l’économie. Jusqu’à présent, la principale privatisation a porté sur certaines actions détenues par le gouvernement dans des entreprises de premier plan, telles que la Commercial International Bank, Abu Qir Fertilizer et certaines sociétés de ciment, de transport maritime et de gestion portuaire.

La privatisation prévue de certaines grandes entreprises militaires, telles que la Siwa Water Company, a été reportée en raison de la faiblesse de la Bourse du Caire. En fin de compte, nous voyons que le gouvernement cherche à surtout à tirer des devises de ces « privatisations » et qu’il n’a guère l’intention de relâcher son contrôle sur l’économie, laquelle n’est exercée qu’en partie par la propriété privée. La politique de privatisation a été rendue nécessaire par les démarches du gouvernement auprès du FMI pour obtenir des fonds.

 

Bien qu’il ait obtenu un prêt de 3 milliards de dollars du FMI, le pays devra faire face à une dette extérieure de 6 milliards $ l’année prochaine et de 9 milliards $ en 2024. L’Égypte court-elle le risque d’un défaut de paiement ?

L’Égypte a besoin de quelque 50 milliards $ d’ici à la fin de l’année 2023 pour payer les intérêts et le principal des prêts en cours. Au cours des dernières années, elle s’est appuyée sur l’achat de dette souveraine par des investisseurs financiers étrangers pour obtenir des devises.

Après le retrait de 20 milliards $ à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le prêt relativement faible accordé par le FMI, combiné à la dévaluation de la monnaie et à un déficit commercial croissant, a assombri  les perspectives d’un nouvel afflux de fonds privés étrangers. L’Égypte doit donc compter sur ses « amis » pour la renflouer. Les principaux d’entre eux sont les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Qatar et le Koweït, ainsi que les banques régionales de développement.

Mais même avec le soutien de ses amis, la situation économique restera difficile pendant quelques années encore. Dans ce contexte, la COP27 a été d’une grande importance car elle a signalé le soutien continu de l’Égypte par les principaux acteurs mondiaux, notamment l’UE, les États-Unis, la Chine et la Russie, dont aucun ne souhaite que l’Égypte fasse défaut.

Robert Springborg est professeur au King's College de Londres.

Robert Springborg est professeur au King’s College de Londres.

 

L’armée égyptienne joue un rôle important dans l’économie. Dans le contexte économique actuel, peut-on s’attendre à la vente d’entreprises militaires dans un avenir proche ?

Comme tout conglomérat, l’armée égyptienne peut tirer profit de la vente de ses sociétés. Et comme les autres acteurs économiques égyptiens, l’armée a besoin de devises. On peut donc s’attendre à ce qu’elle finisse par vendre certaines de ses entreprises non stratégiques, comme celles qui produisent de l’eau en bouteille ou vendent de l’essence aux automobilistes. Ce, par le biais d’introductions en Bourse ou d’accords directs avec des acheteurs, comme les fonds souverains égyptiens ou du Golfe.

Ces entreprises sont de toute façon en concurrence avec les fournisseurs privés des mêmes produits et ne bénéficient pas des « rentes » fournies par le statut privilégié de l’Armée auprès du gouvernement. En bref, elles n’ont pas une grande valeur pour l’armée, comparées par exemple à ses entreprises d’engrais, de ciment et autres entreprises industrielles, qui bénéficient d’un accès privilégié au gaz, aux minéraux et aux terres.

Les entreprises militaires qui bénéficient de rentes et sont donc rentables sont moins susceptibles d’être vendues entièrement. Des participations pourraient être vendues – très probablement à des intérêts étrangers qui fourniraient des avantages secondaires aux militaires, par exemple en offrant un accès privilégié aux marchés du Golfe.

Cela étant, même si une part substantielle des entreprises lui appartenant est vendue, l’Armée sert de garde-fou au gouvernement, de sorte que son rôle clé dans l’économie, qui consiste à déterminer qui bénéficie des relations et des ressources gouvernementales, ne sera pas modifié.

 

Pour trouver un moyen de sortir de la crise économique, l’Égypte s’est rapprochée du Qatar. La crise économique actuelle peut-elle adoucir le régime du président Abdel Fattah al-Sissi ?

Le rapprochement avec le Qatar signifie une amélioration des relations entre deux régimes autoritaires, dont aucun ne considère cela comme une ouverture politique ou économique intérieure. Ils y voient plutôt un moyen de consolider leurs intérêts respectifs : le Qatar face à ses concurrents du Golfe ; l’Égypte pour obtenir des devises et réduire ainsi sa dépendance vis-à-vis des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite.

La crise économique oblige le régime de Sissi à débiter la rhétorique des institutions financières internationales : privatisation, flottement de la monnaie, austérité budgétaire, etc. En fait, il prend certaines mesures pour mettre en œuvre ces réformes économiques.

Il part vraisemblablement du principe que si ces mesures entraînent des réactions populaires, comme ce fut le cas en 1977, la pression exercée par le FMI, la Banque mondiale et les donateurs bilatéraux en faveur de la réforme économique sera moins forte.

Dans cette perspective, le Caire est dans une situation gagnant-gagnant, obtenant des ressources des donateurs extérieurs, que les réformes réussissent ou qu’elles suscitent de fortes réactions négatives.

Ce que le régime ne peut pas faire, c’est relâcher la répression, de peur que le mécontentement populaire face à l’austérité économique n’alimente une opposition organisée. Quelques manifestations sont une chose, mais laisser à l’opposition une voix soutenue et un espace politique où s’organiser en est une autre. La libéralisation économique ne s’accompagnera donc pas de l’équivalent politique, bien au contraire.

@NA

 

 

Écrit par
Leo Komminoth

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