La Chine-Afrique en question
Chine-Afrique. Les relations entre l’Afrique et la Chine alimentent les conversations depuis une vingtaine d’années, compte tenu de la forte croissance économique chinoise. Un nouveau livre apporte son lot de statistiques, de faits, d’analyses.
La lecture de Chine-Afrique Le grand pillage est indispensable à la veille de la Conférence sur le climat COP 21, car elle permet de mesurer les limites des éventuelles futures décisions qui seraient prises à Paris, en décembre. Ce livre démontre, comme son titre l’annonce, « le grand pillage » de l’Afrique par la Chine et la difficulté de limiter la boulimie de ce pays en matières premières, ressources énergétiques, mais également en ressources de la terre et de la mer.
Dans les années 2000, la Chine est devenue le premier consommateur mondial de plomb, de cuivre, de caoutchouc, d’aluminium, de nickel, d’acier, d’étain, de zinc. Le caractère énergivore du modèle économique chinois a rendu le pays très dépendant des importations de matières premières. Par sa pression sur l’offre, la Chine alimente la hausse des prix, et se trouve vulnérable aux chocs.
Pour limiter cette dépendance, la Chine a fait de l’Afrique sa proie. Julien Wagner donne de très nom-breux exemples de contrats d’acquisition de ressources sur longue période. Mieux, il décortique le mécanisme mis en place par les Chinois pour décliner cette stratégie. Elle a créé deux institutions, en 1994, l’Export-Import bank (Exim Bank) et la China Development Bank (CDB).
Elles vont s’appuyer sur une formidable force de frappe : les réserves en devises de la Chine : 4 000 milliards $, à comparer aux 150 milliards de la FED américaine ou aux 800 milliards des Banques centrales de l’Eurozone. Cet outil va être promu par une mécanique politique ; le forum sur la coopération sino-africaine instauré en 2000. Ce rendez-vous triennal va enregistrer la progression des sommes consacrées à l’Afrique : 5 milliards $ en 2006, 10 milliards en 2010, 20 milliards en 2012 !
Cette politique chinoise s’inscrit dans les principes énoncés en 1966 par Chou En-lai. Il ne s’agit pas d’aide au développement, mais de coopération entre pays amis soucieux de dévelop-per l’amitié entre les peuples. Cette démarche est essentielle pour mesurer l’écart avec celle de toute la communauté internationale voulue par les institutions de Bretton Woods, FMI et Banque mondiale. Elle entraîne de nombreuses conséquences :
• La Chine ne pose aucune condi-tionnalité, ni politique, ni macroécono-mique. Cela suppose que la Chine ne se soucie nullement de la capacité d’endet-tement du pays. Le sujet est important surtout pour les pays dont la dette a été annulée par la communauté internationale et qui sont encore sous surveillance. La méthode est problématique notamment lorsqu’il s’agit de « financement contre ressources », lorsque les remboursements sont effectués avec la livraison de matières premières à un prix figé sur de très nombreuses années. Après avoir fait un effort de 120 milliards $ par des annulations de dettes, les pays occidentaux voient la Chine profiter d’une situa-tion financière assainie.
• Il n’y a aucune mise en concurrence, et les entreprises chinoises sont désignées pour effectuer les travaux. Pour éviter des surfacturations, toutes les aides multilatérales ou nationales effectuent systématiquement des appels d’offres, sur la base de procédures mises en place par l’OCDE. Julien Wagner donne moult exemples de chantiers surfacturés, inachevés ou dont la réalisation est sujette à caution.
• Le recours à de la main-d’oeuvre chinoise. Il limite les transferts de technologie et la formation des populations locales. Ce recours interpelle sur certaines pratiques, notamment le recrutement de ces personnes et leurs conditions de vie sur place.
• Les atteintes à l’environne-ment. Celles-ci sont particulièrement importantes pour les forêts, ou les terres recherchées. L’auteur consacre tout un chapitre à ce sujet.
• Le développement de la cor-ruption. Pour emporter des contrats souvent dolosifs pour les intérêts de leurs pays, les responsables locaux acceptent beaucoup… Le livre de Julien Wagner est instructif aussi car il présente aussi le versant chinois du sujet avec les bénéfices qu’en tirent tous les membres de l’oligarchie chinoise.
Julien Wagner considère que « la maladie hollandaise » est le plus grand dan-ger contemporain de l’Afrique. Ce phénomène a servi à représenter les effets négatifs de la découverte du gaz de Groningue sur l’économie des Pays-Bas : forte appréciation de la devise nationale et sur-spécialisation dans un secteur au détriment des industries manufacturières.
Le parallèle avec l’Afrique est, ici, contestable : aucun pays africain riche en ressources naturelles ne voit sa monnaie devenir convertible et surappréciée. Par ailleurs, pour la très grande majorité des matières premières, l’Afrique reste encore à l’exploitation et ne transforme pas ses richesses ; aussi le risque d’un effet d’éviction d’autres secteurs peut d’autant moins se produire que l’industrie est peu développée en Afrique. En revanche, l’Afrique semble touchée par « la malédiction des matières premières ».
Les exemples ne manquent pas. L’intérêt du livre tient plus dans l’évocation de situations classiques entraînées par des ressources connues que dans la présentation de cas avec les ressources rares comme le tantale ou le cobalt. La description de « Chinangol : le cas d’école » est très intéressant. Il décrit l’une des façons dont un pays s’organise à l’international pour défendre ses intérêts. Dans ce livre à la lecture très aisée, un chapitre est particulièrement intéressant à la veille de la conférence de Paris sur le climat, celui sur la situation environ- nementale en Chine et en Afrique.
La situation chinoise est largement décrite. Un chiffre la résume : en 2012, la Chine a émis 9,86 milliards de tonnes de CO², soit 28,6 % du total mondial ! La situation se détériore principalement à cause de l’utilisation du charbon et du développement du transport automobile. Les pics de pollution urbaine touchent toutes les populations au point que les enfants des membres du parti ont quitté Pékin ; ce qui a conduit les autorités à prendre au sérieux le risque du changement climatique et à adopter diverses mesures. Il faut espérer un comportement coopératif à Paris pour conjurer l’échec de Copenhague.
Mais, le développement débridé de l’Afrique depuis une dizaine d’années a également eu pour conséquence une très forte augmentation de l’exposition aux particules fi nes et de l’émission de gaz à effet de serre. Le panorama de Julien Wagner, très complet, porte même sur les forêts, les ressources de la mer et les grands mammifères. L’argumentaire peut parfois paraître sévère, voire un peu trop à charge. Force est de constater qu’il est documenté.
L’auteur poursuit son analyse en présentant la réaction de l’Occident avec honnêteté. Il n’hésite pas à dénoncer la démarche de la rumeur pour décrédibiliser les acteurs chinois. Il rétablit les faits sur « l’invasion chinoise en Afrique », et rappelle que « les Chinois émigrent désormais en masse et depuis longtemps maintenant », que les diasporas chinoises, malgré les nombreux liens avec la mère patrie, ne s’inscrivent pas pour autant dans la stratégie globale du parti communiste chinois. L’auteur dénonce également le recours aux repris de justice. Sur l’accaparement des terres, malgré les énormes besoins alimentaires chinois, la part de l’Afrique dans les importations agricoles chinoises est de l’ordre de 1%, et « les acquisitions foncières en Afrique sont marginales ».