Hollande et l’Afrique
Réputé méfiant vis-à-vis de la « Françafrique », François Hollande est pourtant venu en aide au Mali, à la Centrafrique, par des opérations militaires. Au-delà des arrière-pensées politiciennes, sa politique marque le retour des militaires dans le champ diplomatique.
Le 10 février 2014, quand François Hollande s’envole vers les États-Unis pour une visite d’État, la seule question qui intéresse la presse française et amé-ricaine est de savoir si Valérie Trierwei- ler sera du voyage. Personne ou presque ne s’intéresse à la tribune que publie le même jour le Président français avec son homologue américain. Sur les sites du Monde et du Washington Post, Hol-lande et Obama écrivent : « Plus qu’ail-leurs, c’est peut-être en Afrique que notre nouveau partenariat trouve son expres-sion la plus visible. » Tapis rouge, dîner de gala… À son arrivée à la Maison- Blanche, François Hollande est reçu comme un prince. Barack Obama, qui n’aime guère les grandes cérémonies, lui accorde un accueil exceptionnel… La raison ? Elle est toute simple : depuis jan- vier 2013, la France « fait le job » au Mali.
François Hollande sait qu’avec ses troupes d’élite, ses hélicoptères d’attaque et ses chasseurs- bombardiers, l’armée française est l’une des cartes maîtresses de la France sur la scène internationale.
Dans le cadre de l’opération Serval, son armée lutte avec effi cacité contre les dji- hadistes du Sahel. Grâce aux prouesses des quelque 3 500 soldats de métier envoyés par la France au Nord-Mali, la France s’impose comme le principal allié des États-Unis sur le continent africain. Depuis longtemps, François Hollande sait qu’avec ses troupes d’élite, ses héli-coptères d’attaque et ses chasseurs-bom- bardiers, l’armée française est l’une des cartes maîtresses de la France sur la scène internationale. Dès août 1983, quand le président Mitterrand décide de déployer une force Manta au Tchad pour empê-cher la prise de N’Djaména par les forces libyennes, le jeune Hollande, directeur de cabinet du ministre Max Gallo, pré-pare les communiqués du gouvernement français sur l’armée française qui « vole au secours » des pays africains menacés par le colonel Kadhafi . En juin 1997, après la victoire de la gauche aux législatives, le député Hol-lande entre à la commission Défense de l’Assemblée nationale. En janvier 2012, lors de la publication de ses 60 enga-gements de campagne, le candidat Hollande promet que, s’il est élu, « la France conservera les deux composantes de sa dissuasion nucléaire », c’est-à-dire les sous-marins nucléaires et la compo-sante aérienne.C’est à la même époque, en janvier 2012, que le candidat socia- liste fait savoir à Jean-Yves Le Drian, son vieux complice du mouvement Transcourants, qu’en cas de victoire il sera ministre de la Défense. Aussitôt, Le Drian et Cédric Lewandowski, son futur directeur de cabinet, organisent en toute discrétion des réunions avec des offi ciers de l’état-major français pour mettre à jour leurs connaissances stratégiques. Pour François Hollande, les affaires internationales sont alors d’un intérêt secondaire, car le candidat sait que les électeurs s’en moquent. Mais le député socialiste veut renforcer sa crédibilité face au Président sortant, Nicolas Sarkozy. En janvier 2007, sur la radio RMC, la candidate Ségolène Royal n’avait pas su répondre à la question : « Combien la France a-t-elle de sous-marins nucléaires ? » En janvier 2012, le candidat Hollande n’a pas l’intention de se laisser piéger à son tour…
Le tournant de l’opération Serval
Au lendemain de son élection, en mai 2012, François Hollande annonce le retrait des troupes françaises d’Afgha-nistan et passe aux yeux de beaucoup pour un pacifiste. Mais, dès l’été, un choix présidentiel met la puce à l’oreille des observateurs les plus avertis. Hol-lande garde au poste de chef d’état- major particulier le général Benoît Puga, l’offi cier supérieur choisi deux ans plus tôt par Nicolas Sarkozy. C’est le signe que l’appareil militaire reste influent à l’Élysée. Jusqu’en janvier 2013, le Président refuse d’envoyer des troupes françaises au Nord-Mali. Il ne veut pas qu’on l’accuse de jouer, comme ses pré-décesseurs, au « gendarme de l’Afrique ». Mais avec l’offensive djihadiste sur le centre du Mali, tout change. Après 48 heures d’hésitations, il répond au SOS lancé par les Maliens et déclenche l’opération Serval. Quel responsable africain ou français peut dénoncer une opération anti-djihadiste ? Très vite, le président français perçoit tout l’intérêt politique qu’il peut retirer de Serval. Trois semaines après les premières frappes françaises, il débarque dans Tombouctou « libérée » puis déclare, devant la foule bamakoise : « Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie politique. » En à peine un mois, Hollande « le pacifi ste » s’est mué en chef de guerre. Très affai- bli sur la scène intérieure par la hausse du chômage, le président français essaie de mettre en valeur un succès extérieur dans l’espoir de remonter dans les son- dages… Pourquoi l’opération Serval a-t-elle changé de nom en juillet 2014, et est- elle devenue l’opération Barkhane ? Offi – ciellement, parce que les quelque 3 500 militaires français envoyés initialement au Nord-Mali sont déployés aujourd’hui dans cinq pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad). L’offi cier français Antoine d’Évry avance une autre explication : « Cette transition, écrit-il dans une revue de l’IFRI, pré- sente en outre l’intérêt de clore vis-à-vis de l’opinion publique l’opération Serval et de récolter les bénéfi ces politiques d’un succès militaire, au minimum de limiter les coûts politiques de potentiels revers ultérieurs. » En clair, cet offi cier supérieur, qui prédit au passage un enlisement possible de ses compagnons d’armes au Sahel, entrevoit que le futur candidat Hollande prépare déjà sa campagne de 2017 en polissant l’image de Serval – une initiative sur laquelle il est inattaquable par ses adver- saires politiques. La politique africaine de la France est-elle devenue l’apanage des militaires et de leur ministre, Jean-Yves Le Drian ? N’exagérons pas. Si Serval a réussi en janvier 2013, c’est notamment parce que les djihadistes du Nord-Mali n’ont pas pu se réfugier et se réorganiser dans le sud de l’Algérie. Or, c’est en décembre 2012, lors d’une visite à Alger, que François Hollande a demandé à Abdelaziz Boutefl ika de fermer sa fron- tière aux groupes armés du Nord-Mali. Surtout, chacun sait à Bamako qu’un succès militaire ne suffi t pas à régler les problèmes politiques à Tombouctou, Gao et Kidal. Le retour à la paix ne peut passer que par des élections démo-cratiques, des négociations Nord-Sud et un programme de reconstruction. Autant de tâches auxquelles s’attelle depuis avril 2013 le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Mais il est un signe qui montre la montée en puissance des militaires dans la pensée française sur le continent africain. En décembre 2014, avec le soutien du pré- sident sénégalais Macky Sall, Jean-Yves Le Drian a engagé à Dakar un premier Forum sur la sécurité en Afrique. Une seconde édition est prévue en décembre 2015. Jusqu’à présent, en France, la réflexion stratégique sur l’Afrique était le champ clos des diplomates. Avec le très « réseauté » Cédric Lewandowski dans le bureau mitoyen de celui de Jean-Yves Le Drian, les militaires français ont un bélier prêt à enfoncer toutes les portes du Quai d’Orsay. Pas de politique sans moyens. Les militaires français le savent, eux qui souffrent de coupes budgétaires conti-nues depuis la fin de la guerre froide. Après le double attentat anti-Charlie et antisémite de janvier 2015 qui a causé la mort de 17 personnes à Paris et Mon- trouge, ils ont obtenu, lors du conseil de défense du 29 avril, une rallonge budgétaire de 3,8 milliards d’euros sur quatre ans. Par la loi du 5 mai suivant sur le renseignement, ils disposent aussi désormais de moyens accrus pour écou-ter, espionner et frapper « les ennemis de la République ». Mais face à la montée des périls, les soldats de métier de l’armée français ne peuvent pas tout. Pour se protéger en Afrique, les entreprises françaises font de plus en plus appel aux compagnies de sécurité privées. Officiellement, depuis la loi d’avril 2003 contre le mer- cenariat, ces compagnies n’ont rien à voir avec le gouvernement français. En réalité, plusieurs d’entre elles protègent déjà des entreprises publiques comme le Centre national d’études spatiales (CNES) et sont habilitées « Secret défense ». La réfl exion sur les nouveaux risques sécuritaires en Afrique ne fait que commencer…