Guinée: un oeil sur l’opposition

En Guinée, l’’opposition menace d’engager de nouvelles actions de rue. Si elle s’appuie sur des convictions – en apparence – bien affirmées, elle doit aussi faire face à la division de ses membres.
Les réclamations de l’opposition n’ont pas changé, en Guinée. Elles ont plutôt tendance à s’étoffer. Depuis quatre ans, l’opposition exige la création d’une nouvelle Commission électorale nationale indépendante (CENI). La recomposition en 2012 de cet organe en charge de l’organisation des élections n’a pas suffi. En prélude la présidentielle de 2015, le chef de file de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, ainsi que ses compagnons, demandent une nouvelle fois la réforme de la CENI qui « a montré ses limites à l’occasion des dernières élections législatives et qui ne répond plus au critère de parité prévu par la loi ».
La Commission, en dépit des critiques, a provisoirement attribué le marché de révision du fichier électoral au spécialiste français de la sécurité numérique, Gemalto. Outre ce dossier de la CENI, l’opposition réclame la signature du relevé de conclusions du dernier dialogue poli- tique intervenu en juillet 2014, la tenue en mars 2015 des élections communales (qui devaient avoir lieu avant la fin du 1er trimestre 2014) et la reprise du dernier recensement général de la population et de l’habitat.
Risques d’escalade
Pour obtenir gain de cause, l’opposition considère toujours que les manifestations de rue demeurent « le grand moyen ». « Lorsque vous voulez pourrir une situation, il existe une technique simple : émettre des exigences que vous savez impossibles à remplir par votre interlocuteur. La plupart, si ce n’est la totalité des revendications, revient à violer la loi ! », réagi Albert Damantang Camara, porte-parole du gouvernement.
Le 26 novembre, le président Alpha Condé a mis en garde l’opposition, allant jusqu’à évoquer la loi anti-casseurs : « Le parlement est en place. Tout le monde est libre de lui soumettre son projet de loi. Si les gens veulent faire de l’agitation générale, je ne l’accepterai pas. » Sur la recomposition de la CENI, le chef de l’État critique l’opposition de vouloir une chose et son contraire : « J’ai toujours été contre une CENI politique. Ce sont eux qui l’ont voulue. S’ils ne sont pas capables de maîtriser les militants qu’ils ont envoyés là-bas, ce n’est pas mon problème. » Dans une lettre adressée au président français, François Hollande, l’opposition exprime le risque que « des conflits postélectoraux se greffent aux troubles actuels pour dégénérer en un conflit généralisé entre les communautés ». « Le pouvoir peut apporter une réponse aux revendications, mais il ne pourra pas le faire dans le laps de temps exigé par l’opposition », commente le politologue Moussa Diouméssy. « La Constitution consacre à l’opposition le droit de manifester, mais il faudrait qu’elle fasse attention, en regardant les Guinéens qui ont trop souffert », déplore-t-il.
Il invite l’opposition et le pouvoir à privilégier la nation. « Nous mènerons le combat jusqu’au bout », réaffirme pourtant le chef de file de l’opposition, Cellou Dalein Diallo. Par cette fermeté, il entend obtenir une élection transparente et crédible, en 2015. Au-delà de l’apparente union qu’elle montre face aux grands défis, l’opposition reste divisée, les querelles intestines sont récurrentes.
Aux mêmes causes, les mêmes effets ?
Ainsi, elle ne parvient pas à s’accorder sur un candidat unique face à Alpha Condé en 2015. Qui des deux poids lourds, Sidya Touré et Cellou Dalein Diallo, choisir ? Faute de consensus, le camp de Dalein Diallo affirme qu’il serait préférable d’aligner plusieurs candidats au premier tour, et ensuite soutenir celui qui se hisserait au second tour face au Président sortant. Un remake des élections de 2010 ?
Cellou Dalein Diallo, grâce à sa forte popularité, pourrait se retrouver une nouvelle fois en face d’Alpha Condé au second tour. « Avec l’ethnocentrisme qui caractérise le jeu politique en Guinée, Cellou Dalein et Alpha Condé vont se retrouver face-à-face en 2015. Chacun d’eux est largement soutenu dans sa communauté respective, les deux grandes du pays, les Peuls et les Malinkés. C’est « le trois contre un» de 2010 qui pourrait se reproduire – Alpha Condé avait gagné trois des quatre régions, laissant échapper la Moyenne-Guinée habitée par l’ethnie de Cellou Dalein », explique le spécialiste des questions politiques Abdoulaye Sylla.
De leur côté, les partisans de Sidya Touré estiment que leur champion, s’il était le seul candidat de l’opposition, et donc soutenu aussi par les militants de l’UFDG, est en mesure de provoquer la défaite du président Alpha Condé dès le premier tour. Cet avis n’est pas partagé dans les rangs de l’UFDG. Tout en voulant éviter au débat son caractère ethnique, on estime que c’est à Sidya Touré de s’aligner derrière Cellou Dalein Diallo qui compte beaucoup d’électeurs. Sidya Touré n’est pas le seul à puiser dans son fief, la Basse-Guinée. Laquelle accorde aussi ses suffrages, entre autres, à Kassory Fofana qui a intégré le gouvernement en novembre, à Lansana Kouyaté et à Alpha Condé lui-même.
Une nouvelle classe politique
L’intransigeance des autres leaders de l’opposition constitue à la fois un atout et un handicap. Les plus connus en ce sens sont Lansana Kouyaté et le premier vice-président de l’UFDG, Bah Oury. Les observateurs pointent du doigt la responsabilité des acteurs en présence. Bano Barry, l’ancien recteur de l’université de Sonfonia, observe que ceux qui animent la vie politique (opposition comme pouvoir) sont davantage intéressés par des questions matérielles et substantielles que par la déontologie et la compétence.
Davantage qu’une nouvelle classe politique, il considère que la Guinée doit « plutôt renouveler la manière de faire la politique, et renouveler les instruments qui régissent la vie publique. Les acteurs politiques ont délibérément “ ethnicisé ” l’intégralité de la société guinéenne pour accéder à des postes à responsabilités ou à des ressources de l’État sans les mériter ». Pourtant, « il serait facile de renverser la situation, si nous le voulons. L’ethnocentrisme n’est pas tombé du ciel. On sait ce qu’on a fait, on sait également comment le corriger ! », conclut Bano Barry qui appelle à une « concertation nationale », jamais entreprise dans le pays.
Sans épargner personne, l’ancien haut fonctionnaire des Nations unies et ancien ambassadeur aux États-Unis, Blaise Cherif, réserve ses critiques les plus sévères à l’opposition : « L’opportunisme légendaire en Guinée fait qu’elle accepte des soi-disant opposants qui ne cherchent qu’une opportunité pour pouvoir être invités à la “ mangeoire ”, quand d’autres, telles des girouettes, changent d’alliance du jour au lendemain au gré de leurs intérêts. » Moussa Dioumessy attribue l’instabilité politique à la précarité, « elle-même est la conséquence de la faiblesse des institutions. Ces institutions ne sont généralement pas fondées sur l’intérêt général du peuple, et le dysfonctionnement structurel s’impose sur l’ensemble de la vie de la nation».
TROIS QUESTIONS
Mohamed Camara
Juriste, analyste politique Quelles sont les raisons des perpétuelles tensions politiques en Guinée ?
Elles sont de trois ordres : l’impunité, le déficit de culture politique et l’exercice du jeu à somme nulle, dont le résultat est «Advienne que pourra ! ». L’impunité est très souvent érigée en mode de gouvernance, et nombreux sont les acteurs qui se recyclent en politique par simple retournement de veste, en fonction de la saison au pays. Bien sûr, nous savons tous que ce phénomène est loin d’être une particularité guinéenne. Tout le monde tombe à bras raccourcis sur la justice sans créer les conditions de sa sérénité. Elle est critiquée à tort ou à raison par l’opposition, par les citoyens et même par le pouvoir qui en principe, est censé apporter des remèdes ! On peut regretter une volonté diffuse de part et d’autre pour affaiblir la justice. La situation politique de la Guinée s’explique aussi par le déficit de culture politique. Les institutions ne sont pas sans reproches, tant il est vrai qu’elles taillent souvent les lois en fonction des personnes, pour des raisons inavouées. L’État ne fait pas assez pour vulgariser les textes de lois, et encore moins pour les interpréter en langues nationales, ce qui est pourtant prévu par l’article 25 de la Constitution. Une population analphabète n’est pas une population bête, simplement elle comprend mieux les concepts dans sa langue maternelle. Il en est de même pour beaucoup de partis politiques, dont les conditions de création sont faciles. Ils privilégient leur « troisième mission » (la conquête du pouvoir) au détriment des deux premières (l’éducation civique et la défense des valeurs démocratiques). Les rares qui essayent d’inverser cette tendance sont, soit limités par les moyens de leur ambition, soit bloqués dans leur élan par certains pouvoirs publics. Tout cela se traduit donc par un jeu à somme nulle : les alliances se nouent au gré des intérêts divergents selon les agendas cachés avec des rapports de force en présence et sur fond de velléité hégémonique de chacune des parties prenantes. Tout est entrepris par une petite frange de lobbies, se transforme en profiteurs de la situation. Leur stratégie est de ne donner aucune possibilité de visibilité et de stabilité au pays, et de privilégier toutes choses qui ne sont propices qu’à la sauvegarde de leurs intérêts personnels.
Que faut-il alors pour sortir de l’impasse politique ?
Un leadership éclairé pour mettre les gens au travail. Assurer la formation et mettre en application le Principe de Dilbert qui estime que « les gens les moins compétents, doivent être systématiquement affectés aux postes où ils risquent de causer moins de dégâts : l’encadrement ! » Ce leadership nouveau va ainsi favoriser l’éclosion de personnes identifiées dans des bassins de compétences en Guinée et à l’étranger. Il nous faut créer l’émulation, la compétition encadrée et la motivation sur fond de culture du mérite.
Donc, la Guinée a besoin d’une nouvelle classe politique…
Indubitablement oui. Mais il lui faut attendre l’après présidentielles de 2015 pour envisager une profonde recomposition de la classe politique. La classe politique actuelle a un atout et un handicap. L’opposition regorge de cadres rompus à la pratique administrative, mais elle est terriblement handicapée par son déficit d’expérience politique. Pendant ce temps, le pouvoir est expérimenté en politique au point qu’il frise souvent la politique politicienne au détriment du développement. La clef de toutes ces solutions est entre les mains du peuple, autrement dit le corps électoral qui doit se souvenir que sur le fondement de l’article 2 de la Constitution, le suffrage est universel, direct, égal et secret.