Un gouvernement de combat pour Macky Sall
Après avoir mené la coalition présidentielle à une large victoire lors des dernières législatives, Mahammed Boun Abdallah Dionne a été reconduit à la tête d’une équipe de 39 membres, avec comme principal objectif la réélection de Macky Sall en 2019.
Dakar, Seydou Ka
Le pari semblait risqué, mais en remportant les législatives du 30 juillet, permettant ainsi à Macky Sall de conserver une écrasante majorité à l’Assemblée nationale, Mahammed Boun Abdallah Dionne s’est épargné un destin à la Aminata Touré, son prédécesseur, limogée en juillet 2014 après sa défaite aux municipales. Logiquement, il a été reconduit, le 6 septembre, à la tête d’une équipe gouvernementale de 39 membres, dont huit femmes.
Si l’ossature reste la même, le gouvernement Dionne II est marqué par quelques changements, notamment dans trois grands ministères (Affaires étrangères, Intérieur, Justice). Aly Ngouille Ndiaye, ministre de l’Industrie et des mines dans le gouvernement sortant, remplace ainsi Abdoulaye Daouda Diallo, dont l’opposition réclamait le départ après les couacs relevés dans l’organisation des dernières législatives, à la tête du ministère de l’Intérieur, et aura donc la lourde charge d’organiser la prochaine présidentielle dans de meilleures conditions.
Macky Sall qui, jusqu’ici, a réussi le coup de génie politique consistant à garder autour de lui la même coalition qui l’a porté au pouvoir, Benno Bokk Yakaar, devra s’activer pour éviter des fissures.
En revanche, le limogeage de Mankeur Ndiaye en tant que chef de la diplomatie a surpris plus d’un, parce que « rien n’autorisait à penser que Macky Sall pourrait se séparer de lui », confie un cadre du ministère des Affaires étrangères, qui précise que sur les grands dossiers, directement gérés à la Présidence, Mankeur Ndiaye n’avait pas la prise qu’on lui prête et ne faisait qu’appliquer les orientations du président de la République. Selon certaines indiscrétions, « l’altercation » entre le chef de la diplomatie sénégalaise et le président guinéen, Alpha Condé, lors du dernier Sommet de l’Union africaine, sur la question taboue du troisième mandat, aurait pesé dans le choix du président Sall. On évoque aussi l’échec de la candidature d’Abdoulaye Bathily à la présidence de la Commission de l’Union africaine, mais l’imputer à Mankeur Ndiaye « serait exagéré », estime notre source, qui pointe « une trahison » de certains pays de la Cedeao qui s’étaient engagés à voter en bloc pour le candidat sénégalais.
Des acquis diplomatiques
D’autres estiment, enfin, que le Sénégal avait « disparu des radars » sur la scène diplomatique ces dernières années, comme l’atteste son absence du G5 Sahel alors que, géographiquement, il appartient à cette entité. Un argument rejeté d’un revers de la main par notre source : « Quoi que l’on dise, ce sont les pays eux-mêmes qui ont écarté le Sénégal qui ne vit pas le terrorisme de la même manière que le Niger, le Mali, le Tchad ou la Mauritanie, donc les objectifs ne sont pas les mêmes ; le Sénégal peut hésiter à déployer des forces sur le terrain. »
Notre interlocuteur met en avant les acquis de la diplomatie sénégalaise ces dernières années, comme l’élection du pays en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité, le « coup d’éclat » d’avoir fait condamner Israël au Conseil de sécurité pour la colonisation des terres palestiniennes ou encore les médiations « réussies » dans certaines crises (Burkina Faso, Gambie). Il y a aussi et surtout une explication politique. Mankeur Ndiaye n’était pas très impliqué à la base, contrairement à Sidiki Kaba qui a joué un rôle important dans la victoire lors des dernières législatives. Ce qui d’ailleurs, entre autres raisons, pourrait expliquer le départ d’une autre « inamovible », Awa Marie Coll Seck, au faible poids politique, elle aussi, du ministère de la Santé qu’elle dirigeait depuis 2012.
Un profil iconoclaste
Quoi qu’il en soit, à travers le choix de confier les Affaires étrangères à Sidiki Kaba, ministre de la Justice dans le précédent gouvernement et ancien président de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme), le Sénégal revient à ses vieux principes et valeurs (liberté, démocratie, droits de l’homme), estime l’analyste politique Yoro Dia.
« L’arrivée de Sidiki Kaba est une très bonne chose parce qu’elle va permettre au Sénégal de reprendre sa place dans le concert des nations. Rien que sa personnalité et son parcours personnel lui ont donné la notoriété internationale et le Sénégal va en tirer profit », note le politologue, convaincu que la voix du Sénégal va de nouveau se faire entendre sur la scène internationale. Toutefois, le profil « presque iconoclaste » du nouveau chef de la diplomatie sénégalaise peut a priori poser des difficultés, tempère notre source au ministère des Affaires étrangères. Par exemple, en tant que président des États-parties et militant des droits de l’homme, il a une position « tranchée » sur la Cour pénale internationale (CPI).
Conserver un bloc hégémonique
Idem sur la question de l’orientation sexuelle, un sujet tabou au Sénégal. « Mais le président de la République, qui l’a mis à ce poste, a son agenda. Et la diplomatie c’est le Président », conclut notre source. Une chose est sûre, les fondamentaux de la diplomatie sénégalaise vont rester : diplomatie du bon voisinage, alignement sur la France, etc.
Au-delà du choix des hommes, du savant dosage entre technocrates et hommes politiques – même si la frontière est très étanche entre les deux – la priorité absolue reste la préparation de la présidentielle de 2019. « Avec 49 % des voix lors des dernières législatives, Macky Sall est conscient qu’il faudra travailler davantage et mieux pour passer au premier tour en 2019. Donc, à quinze mois de la présidentielle, le gouvernement doit travailler pour terminer certains projets (Diamniadio, l’autoroute Ila Touba, TER…), consolider la paix en Casamance afin de permettre à Macky Sall de présenter un bilan visible aux Sénégalais », analyse Yoro Dia.
Et le temps presse d’autant que « depuis son élection tous les actes que pose Macky Sall sont dans le but d’avoir un deuxième mandat ». Macky Sall qui, jusqu’ici, a réussi le « coup de génie politique » de garder autour de lui la même coalition (Benno Bokk Yakaar) qui l’a porté au pouvoir, devra s’activer pour éviter des fissures. Pour cela, il peut toujours compter sur un Moustapha Niasse (AFP, reconduit au Perchoir) et un Ousmane Tanor Dieng (PS) plus que jamais dans une « logique fonctionnaliste » pour conserver un bloc hégémonique. Mais les deux leaders risquent d’être débordés par leur propre base. Après le remaniement, le Parti socialiste, qui s’attendait à avoir « au moins » cinq postes ministériels (il en a deux), a dénoncé, par la voix de son porte-parole adjoint, Moussa Bocar Thiam, un gouvernement qui « ne reflète pas » Benno Bokk Yakaar. « C’est un gouvernement de l’APR, le parti de Macky Sall, avec quelques amis. » Le ton est déjà donné… pour 2019.