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Politique

De Robocop à Terminator

De Robocop à Terminator
  • Publiémars 15, 2023

Les propos du président Kaïs Saïed à l’encontre du très petit groupe d’immigrés noirs africains en Tunisie ont braqué les projecteurs mondiaux sur la politique du pays et mis en évidence une descente alarmante vers un régime de plus en plus autoritaire.

 

L’objectif de la tirade dans laquelle Kaïs Saïed a affirmé, de manière scandaleuse, que les migrants faisaient partie d’un complot mondial visant à modifier la composition démographique du pays pour en faire une colonie de peuplement noire, était de détourner l’attention de l’aggravation de la situation économique et de la répression sévère à l’encontre des personnalités de l’opposition et de la presse.

Au lieu de cela, ses propos ot suscité une condamnation internationale, notamment de la part de l’Union africaine, des organisations de défense des droits de l’homme, du HCR et de la société civile du pays, qui y ont vu la progression d’un assaut contre les normes démocratiques pour lesquelles ils se battent. Le soutien aux migrants s’est donc transformé en soutien à la restauration de la démocratie et en barricade contre ce qu’ils ont décrit comme une « marée montante de la dictature ».

Arrivé à la Présidence voici quatre ans, Kaïs Saïed n’a eu de cesse que de poursuivre son propre agenda, alors que son chemin est parsemé d’échecs économiques, sociaux, politiques et diplomatiques.

Ils ont été soutenus en cela par l’UGTT, le plus puissant syndicat de Tunisie, qui a organisé des manifestations de milliers de ses membres dans huit villes du pays et a accusé Saïed de bafouer les droits humains fondamentaux. Une coalition, le Front de salut national, a également défié les ordres et protesté contre l’arrestation d’un grand nombre de dirigeants de l’opposition, demandant aussi au président de démissionner.

Malgré la pluie de critiques et l’opposition croissante de l’opinion publique à son égard, Kaïs Saïed, surnommé « Robocop » en référence au film hollywoodien mettant en scène un policier cyborg, semble impassible. Il a rejeté les accusations de racisme en posant avec le président de Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embalo, en visite à Tunis, et en déclarant qu’il avait des amis africains à la faculté de droit et que certains membres de sa famille étaient « mariés à des Africains ».

Comme si les Tunisiens ne sont pas avant tout des Africains, bien avant d’être arabisés et islamisés. Il n’était peut-être même pas conscient de l’absurdité de sa déclaration qui a eu des effets désastreux, mais d’autres ne l’étaient pas et une tempête de médias sociaux à l’intérieur et à l’extérieur du pays s’est érigée contre lui.

Sans sourciller, il a au contraire annoncé des mesures visant à affaiblir davantage les institutions représentatives du pays : « Nous allons discuter d’un décret visant à dissoudre les municipalités et à les remplacer par des conseils spéciaux. » Les municipalités élues ont toujours existé en Tunisie et sont désormais considérées comme une épine dans le pied de Kaïs Saïed. Le parti Ennahda jouait un rôle dominant dans le pays et constituait le bloc le plus important au parlement avant que Saïed ne dissolve l’institution en 2021.

 

L’ascension de Robocop

Mais qui est Kaïs Saïed et comment le rêve d’une société démocratique, prospère et égalitaire qui a alimenté la révolution de jasmin de 2011 s’est-il transformé en un régime que l’on ne peut que qualifier d’autoritaire ?

Kaïs Saïed, juriste constitutionnel, est apparu pour la première fois dans l’opinion publique pendant les jours grisants qui ont suivi la révolution, alors que le pays s’apprêtait à reformuler sa constitution pour empêcher un autre Ben Ali de prendre le pouvoir et pour sauvegarder son nouveau pouvoir démocratique.

Il était souvent invité à des émissions à la télévision et les clips télévisés de ses arguments sont devenus viraux, en particulier chez les jeunes. Il évitait les fioritures oratoires ou rhétoriques, mais parlait d’un ton monocorde et son expression rigide, toujours en arabe classique (presque incompréhensible pour les masses qui ne pratiquent que l’arabe dialectal), ne variait jamais. Il n’appartenait à aucun parti et n’avait jusqu’alors jamais fait preuve d’action politique.

Il semblait incorruptible. Son armée grandissante de jeunes guerriers du clavier l’a baptisé « Robocop » et s’est convaincue que, malgré son manque d’expérience politique, lui et lui seul pouvait nettoyer le désordre postrévolutionnaire et mettre de l’ordre dans le chaos parlementaire croissant.

Bien que le pays ait renoué avec des élections libres, les problèmes économiques et sociaux ont plutôt empiré. Le Parlement, dominé par le parti islamiste Ennahda, était embourbé dans des querelles et des luttes intestines pour arriver au pouvoir et gagner des contrats lucratifs. Les objectifs de la révolution (qui allait conduire à l’éphémère Printemps arabe) étaient foulés aux pieds et oubliés de tous, à l’exception des jeunes qui avaient fourni le muscle de la révolution au départ.

Ils l’ont persuadé de se présenter aux élections présidentielles de 2019 et ont organisé une campagne vigoureuse de « soutien à Kaïs Saïed » sur les plateformes de médias sociaux. Il a finalement accepté de se présenter en tant que conservateur social indépendant contre le flamboyant magnat des médias Nabil Karoui, qui avait été emprisonné pour des délits de blanchiment d’argent mais avait continué à faire campagne. Kaïs Saïed a très largement remporté l’élection avec 72 % des voix.

Ses partisans étaient aux anges. C’est leur campagne sur les réseaux sociaux qui a permis de créer et de porter au pouvoir ce nouveau leader des plus atypiques. Ils ont fait la fête longtemps, convaincus d’avoir sauvé leur révolution. Kaïs Saïed a salué la foule et hoché la tête en signe de reconnaissance, mais il n’a pas laissé un sourire s’esquisser sur son visage. Robocop était bel et bien arrivé.

Le problème avec Robocop, c’est que si vous n’avez pas les commandes en main, il suivra sa propre voie préprogrammée, peu importe ce que vous lui lancez ou comment la situation a pu entretemps changer.

Au cours de la période précédant les élections, il a clairement exprimé son point de vue sur la politique et la structure sociale, mais ses partisans n’ont peut-être entendu que ce qu’ils voulaient entendre.

Il a déclaré qu’une grande partie des problèmes du pays étaient causés par des partis indisciplinés qui bafouaient les lois, que la corruption, qu’elle soit financière ou morale, devait être combattue, que le caractère plutôt que l’idéologie était l’atout politique le plus précieux.

Il a adopté une position ferme contre l’homosexualité et a clairement fait savoir qu’il n’était pas d’accord pour que les femmes aient les mêmes droits de succession que les hommes. Et ce, dans un pays où, sous les régimes précédents, les femmes avaient obtenu le droit d’occuper les plus hautes fonctions judiciaires, d’être PDG de grandes entreprises et de dominer les arts, y compris l’industrie cinématographique. Cela n’a pas été bien perçu, mais on espérait qu’il atténuerait ses convictions une fois au pouvoir.

 

La constitution adoptée en 2014 a dépouillé le président d’une grande partie de ses pouvoirs. Il est principalement chargé de la défense et de la diplomatie. Le Premier ministre (qu’il nomme) et le Parlement sont devenus les principaux acteurs de la politique et du gouvernement. Ils dirigeaient pratiquement le pays sans devoir en référer au Président. En 2021, le Parlement, rongé par les divisions, a été incapable de résoudre les problèmes économiques, sociaux, sanitaires et sécuritaires du pays, alors qu’auparavant la Tunisie était le meilleur élève du Maghreb dans beaucoup de domaines.

 

Sortir de l’ombre

Kaïs Saïed avait identifié que la constitution précédente, qui comportait paradoxalement trop de freins et de contrepoids, avait conduit à un système qui avait paralysé le pays et qu’il fallait y remédier, tout en affaiblissant les partis politiques qui tenaient le pays en otage. Kaïs Saïed sort de l’ombre et suspend le parlement à la surprise générale. Lorsque les députés ont menacé de se révolter, il a envoyé un char d’assaut pour barrer les portes du parlement. Peu après, il a dissous le parlement et a commencé à s’arroger davantage de pouvoir et d’autorité. Dans le cadre de sa guerre contre la corruption, il a dissous le Haut Conseil judiciaire, un organe constitutionnel créé pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, et a ensuite licencié une cinquantaine de juges et de procureurs.

Il a rédigé une nouvelle Constitution qui concentre le pouvoir presque exclusivement entre les mains du Président et, malgré un taux de participation très faible au référendum, l’a fait adopter. Des élections ont suivi pour choisir un nouveau parlement, mais les partis politiques n’ont pas été autorisés à faire campagne. Le taux de participation est à nouveau très faible, ce qui indique clairement que la majorité du pays a perdu confiance en son leadership et en la politique.

Alors que l’opposition contre lui s’intensifie, il organise une série de raids et d’arrestations de personnalités et de journalistes. Ses mesures répressives ont commencé à inquiéter les multinationales internationales et le FMI a interrompu les discussions sur son accord de financement de 1,9 milliard de dollars.

Ce retard a porté un coup dur au Trésor public, car il bloque également d’autres moyens de lever des fonds dont le gouvernement a grand besoin. Les agences de notations s’inquiètent : les banques tunisiennes sont confrontées à des risques de liquidité accrus. Des retards prolongés dans l’approbation ou, pire, l’absence d’accord avec le FMI « pourraient conduire à une dégradation de la note souveraine de la Tunisie, car cela mettrait en péril les décaissements prévus pour le financement extérieur et augmenterait le risque d’une crise de la balance des paiements », écrit Fitch.

Arrivé à la Présidence voici quatre ans, Kaïs Saïed n’a eu de cesse que de poursuivre son propre agenda, alors que son chemin est parsemé d’échecs économiques, sociaux, politiques et diplomatiques.

Le Président, qui n’a aucun charisme, a pris l’habitude  de pointer les problèmes et à porter des accusations contre tout le monde. Cela cache un manque de vision, un manque de solutions et une absence de feuille de route claire. Et cela démontre que le président est seul et n’écoute personne. Des sources fiables nous informent qu’il ne tient même pas compte des conseils de son propre gouvernement et qu’il a tendance à ne pas écouter les questions soulevées lors des réunions du cabinet.

La situation en Tunisie devient de plus en plus instable alors que l’inflation et le coût élevé de la vie continuent de mordre et que le pays se fracture selon des lignes politiques, sociales et régionales. Un Tunisien a tweeté : « Robocop s’est transformé en Terminator. » L’espoir est que, dans ce cas au moins, la réalité n’imite pas la fiction.

@NA

 

Écrit par
Anver Versi

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