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Politique

Climat politique incertain au Sénégal

Climat politique incertain au Sénégal
  • Publiéaoût 2, 2023

L’arrestation d’Ousmane Sonko et la dissolution de son parti ne font qu’ajouter aux tensions politiques, dans un Sénégal où s’ouvrira bientôt une période de campagne électorale sans leader naturel pour succéder à Macky Sall.

 

La situation reste tendue au Sénégal et le renoncement de Macky Sall (photo ci-dessus) à un troisième mandat n’a fait qu’exacerber les passions. L’opposant Ousmane Sonko arrêté, son parti dissous, son avocat recherché par Interpol, réseaux sociaux entravés… Le climat n’est guère à la sérénité des débats politique, à six mois d’élections présidentielles aux contours incertains.

Le 31 juillet 2023, le gouvernement a interrompu l’accès à l’Internet sur les téléphones mobiles, afin de couper court, selon lui, à des « messages haineux et subversifs » sur les réseaux sociaux. L’État craignait, non sans quelques raisons, des manifestations après l’arrestation d’Ousmane Sonko.

Celui-ci, déjà surveillé de près à son domicile depuis plusieurs semaines, avait été arrêté le 28 juillet avant d’être incarcéré et inculpé, deux jours plus tard, pour « appels à l’insurrection et complot contre l’autorité de l’État ».

L’inflation a atteint son niveau le plus élevé depuis des décennies en 2022 (9,7 %), principalement en raison de la flambée des prix des denrées alimentaires, qui représentaient près de la moitié du panier de l’indice des prix à la consommation du Sénégal.

Quelques heures plus tard, on apprenait la dissolution du parti d’Ousmane Sonko : « Le parti politique Pastef est dissous par décret », a annoncé le ministre de l’Intérieur Antoine Diome, justifiant sa décision par ses appels « fréquents » à des « mouvements insurrectionnels ».

Pourtant, l’opposant Ousmane Sonko avait reçu de nombreuses manifestations de soutien. La coalition de l’opposition, Yewwi Askan Wi avait appelé « le peuple sénégalais » à se « rendre massivement » au grand tribunal de Dakar, afin de le défendre. La capitale du Sénégal a alors été rapidement investie par différentes forces de police. Des heurts ont également éclaté à Ziguinchor, la grande ville du sud dont Ousmane Sonko est le maire.

L’arrestation d’Ousmane Sonko a ajouté de la tension dans un pays qui n’en avait pas besoin. Selon le gouvernement, 16 personnes seraient mortes depuis le 1er juin, 30 personnes, calcule l’opposition.

 

Une élection ouverte

L’arrestation d’Ousmane Sonko n’a rien à voir avec l’affaire qui a entraîné sa condamnation. Les charges retenues sont cette fois clairement politiques : appel à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’État, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, complot contre l’autorité de l’État, actes visant à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves, diffusion de fausses nouvelles, ou encore, vol. Sans que l’on sache vraiment quels actes précis sont incriminés. « Des motifs fallacieux », rétorquent ses avocats.

Ousmane Sonko, en juin 2022.
Ousmane Sonko, en juin 2022.

 

De son côté, Ousmane Sonko aurait entamé une grève de la faim. Au cours d’une conférence de presse dimanche à Dakar, ses avocats ont déclaré que les autorités n’avaient pas respecté les droits de leur client. Parmi eux, le médiatique Juan Branco, visé par un mandat d’arrêt international émis par le Sénégal le 14 juillet pour des « crimes et délits » en lien avec les troubles survenus début juin au Sénégal. Après cette apparition à Dakar, l’avocat parisien est activement recherché par la police du Sénégal. En revanche, la plainte déposée contre lui par le gouvernement français – qui lui reprochait la divulgation de noms de fonctionnaires – a été classée sans suite, apprend-on ce 2 août.

De son côté, Juan Branco avait annoncé le 22 juin avoir déposé une plainte en France et une demande d’enquête à la CPI (Cour pénale internationale) contre le président Macky Sall pour « crimes contre l’humanité »

Au plan politique, l’incertitude reste de mise. « Rarement une élection présidentielle sénégalaise n’aura été aussi ouverte », confiait récemment Alioune Tine, fondateur du centre de réflexion politique Afrikajom, basé à Dakar.

La décision de Macky Sall, qui laisse le pays sans leader en devenir, intervient après des mois d’incertitude quant à sa volonté de briguer un troisième mandat, jugé « inconstitutionnel » par l’opposition. Ousmane Sonko – probablement – hors-jeu, d’autres candidats sont susceptibles de se présenter, notamment Idrissa Seck, deuxième du scrutin présidentiel de 2019, dont le parti Rewmi a rejoint la coalition au pouvoir Benno Bokk Yaakaar de Macky Sall après les élections législatives de 2022. Une autre candidate est Aminata Touré, ancienne Premier ministre. Parmi les candidats de la coalition au pouvoir pourraient figurer l’actuel premier ministre Amadou Ba et Abdoulaye Daouda Diallo, président du Conseil économique, social et environnemental.

 

L’économie affectée par les tensions politiques

En juin, une commission politique a proposé de modifier la loi électorale afin de permettre aux personnalités de l’opposition radiées des listes électorales de se présenter malgré leurs condamnations. Cela pourrait ouvrir la voie aux candidats Karim Wade, ancien ministre et fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, et Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, qui ont été condamnés à la prison en 2018 et 2015 pour corruption et détournement de fonds respectivement.

Cette compétition imprévisible pourrait avoir des conséquences dramatiques pour une économie qui a récemment enregistré une forte croissance. L’investissement privé total est passé de 272 millions de dollars en 2010 à 2,6 milliards $ en 2022, les investisseurs ayant investi dans de nouveaux projets pour exploiter les réserves de gaz naturel du pays.

Mais les investissements ne sont pas exclusivement liés aux ressources naturelles. Au début de l’année, la société de logistique DP World, basée aux Émirats arabes unis, s’est engagée à investir 1,1 milliard $ dans la construction d’un port dans le pays. Des projets entièrement nouveaux, d’une valeur de 1,4 milliard de dollars en 2022, ont été lancés pour combler le déficit d’infrastructures.

En 2021, déjà, diverses enseignes françaises de supermarchés avaient été attaquées.
En 2021, déjà, diverses enseignes françaises de supermarchés avaient été attaquées.

 

Sans nul doute, le climat politique incertain pèse sur les investissements. Mor Gassama, économiste et professeur à l’Université Cheikh Anta Diop à Dakar, observe que les récentes manifestations ont terni l’image du pays et créé une incertitude chez les investisseurs. « Ce procès juridico-politique d’Ousmane Sonko a terni l’image de notre pays et créé de l’incertitude pour ceux qui voudraient venir s’y installer, ainsi que pour ceux qui y sont déjà. Ce n’est pas une bonne chose pour le climat des affaires. »

Les entreprises souffrent des troubles politiques, en particulier le secteur du tourisme. Certains hôtels de la région touristique de « la Petite Côte », à 80 km de Dakar, ont enregistré une baisse de fréquentation de 50% à 60 % pendant les violences du mois de juin.

 

Des augures favorables à terme

Les supermarchés appartenant à des multinationales françaises ont également été pris pour cible lors des manifestations de juin. « C’est naturellement un sentiment de dégoût qui nous anime aujourd’hui, alors que nous nous efforçons d’apporter des investissements au Sénégal, de créer des emplois pour les jeunes et de nous implanter dans les quartiers populaires », commente Malick Niang, PDG du supermarché Supeco, une coentreprise entre Carrefour et CFAO Retail. Le groupe Auchan a dû licencier des centaines d’employés en attendant que ses magasins soient remis en état.

L’augmentation du coût de la vie aggrave la situation, ajoutant au mécontentement de la population. L’inflation a atteint son niveau le plus élevé depuis des décennies en 2022 (9,7 %), principalement en raison de la flambée des prix des denrées alimentaires, qui représentaient près de la moitié du panier de l’indice des prix à la consommation du Sénégal. Depuis, elle est retombée à environ 9 % et devrait s’établir à environ 5 % d’ici la fin de l’année, « mais elle pourrait repartir à la hausse si les prix des produits de base restent élevés », prévient Edward Gemayel, chef de mission du FMI. Lequel « encourage toutes les parties prenantes à résoudre les différends politiques de manière pacifique. Cela sera essentiel pour que le Sénégal puisse mettre en œuvre son ambitieux programme de réformes et atteigne son plein potentiel économique ».

@NA

Écrit par
Laurent Allais et Léo Komminoth

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