Burkina Faso : Les nostalgiques du régime déchu
Trois ans après le soulèvement populaire qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir, au Burkina Faso, la gouvernance actuelle montre des signes de faiblesse. Les partisans de l’ancien Président multiplient les initiatives pour restaurer leur leadership.
Par Rodrigue Arnaud Tagnan
Après avoir longtemps fait profil bas, les partisans de l’ancien président Blaise Compaoré, chassé, par la rue fin octobre 2014, multiplient les initiatives à Ouagadougou. Conférences de presse, journée parlementaire, rentrée politique… Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) ne fait aucunement mystère de son intention de reconquérir le pouvoir. « Après des moments fort difficiles laissant croire que le CDP est mort, le parti reste encore vivant. Nous sommes en train de reprendre du souffle pour réaliser de nouvelles performances politiques car nous sommes dans la logique de la préparation. Nous sommes convaincus de la possibilité de l’alternance », a lancé le président par intérim du parti, Achille Tapsoba, le 30 septembre, lors de la rentrée politique du parti devant un parterre de militants. « Les vents violents passent, les tornades passent et repassent, le CDP reste », renchérissait avec nostalgie, le président de la commission ad hoc chargée de remettre sur pied le parti.
L’affaissement du régime Kaboré
Les soutiens de Compaoré, exilé en Côte d’Ivoire, avaient au départ choisi d’agir au sein de la Coalition pour la démocratie et la réconciliation nationale (CODER). Avant de décider d’abattre leur propre carte après la disparition soudaine, le 19 août 2017, de Salif Diallo, président de l’Assemblée nationale, considéré comme l’éminence grise du régime et le principal architecte de la chute du régime Compaoré qu’il avait contribué à façonner pendant 25 ans.
Quelques semaines après le décès de Salif Diallo, François Compaoré, muré dans le silence depuis la chute du régime, s’exprimait pour la première fois dans la presse depuis Paris. Le frère cadet Compaoré caresse désormais l’idée d’un retour au pays. De son côté, le général Djibrill Bassolé, ancien ministre des affaires étrangères de Blaise Compaoré, incarcéré depuis le putsch raté de septembre 2015, bénéficie d’une liberté provisoire, depuis le 10 octobre. En juillet, le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire s’était prononcé en faveur de cet élargissement.
Pour le politologue Abdoul Karim Saïdou, de l’université Ouaga II, la disparition du stratège politique qu’était Salif Diallo offre une opportunité de rebondissement aux anciens barons du régime Compaoré : « On ne voit pas pour le moment un acteur au sein de la majorité pour occuper cette position de leadership, le pouvoir en place est affaibli. » Le politologue affirme que ces anciens caciques s’appuient sur une stratégie politique et communicationnelle bien élaborée : « Le parti de Blaise Compaoré et ses alliés veulent profiter d’une situation de doute au sein de l’actuelle majorité pour se repositionner sur le devant de la scène dans la perspective de la présidentielle de 2020. La question centrale pour le CDP et ses alliés reste la justice transitionnelle».
Leur stratégie : mettre la pression sur le pouvoir pour faire table rase des dossiers pendants. Du côté de la majorité présidentielle, on tente pour l’instant, comme en témoignent les différentes déclarations du ministre de la Sécurité intérieure, Simon Compaoré, de contrer les initiatives du camp d’en face. Sans grande assurance. La recrudescence des attaques terroristes dans le nord du pays et la précarité économique dans laquelle baigne la population desservent le gouvernement.
Des adversaires au passé commun
Un cadre du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le parti au pouvoir, reconnaît : « L’insuffisance dans la gestion des affaires par notre parti a entraîné un certain découragement parmi la population. »
Le responsable pointe « un vaste complot de déstabilisation du régime », faisant allusion aux luttes syndicales qui se développent dans le pays.
D’après le bimensuel Mutations, le président Roch Marc Christian Kaboré ne serait pas opposé à une détente avec ses anciens camarades si ces derniers lui garantissent de ne pas toucher au fauteuil présidentiel. D’autant que les caciques du MPP ne sont pas dans une dynamique
une responsabilité ne serait-ce que morale des lourds passifs de l’ancien régime, confie Abdoul Karim Saïdou. Ils ont géré le pouvoir ensemble pendant 25 ans et ils ne sont pas opposés à leurs anciens camarades sur des bases idéologiques mais sur des intérêts personnels. Ils n’ont pas réellement intérêt à faire la lumière sur certains dossiers pendants. »
Une exigence de justice intacte
Achille Tapsoba semble abonder dans le même sens : « Nous n’avons pas de problème majeur avec nos anciens camarades. Nous leur demandons simplement d’avoir la modestie et l’honnêteté d’accepter qu’ils sont coresponsables des passifs qu’ils dénoncent. Ils étaient les principaux concepteurs du régime Compaoré. Si l’on doit faire la lumière sur tout ce qui s’est passé, beaucoup vont la fermer. »
Attention, prévient un proche de Salif Diallo qui incarne « l’aile dure » du parti, un rapprochement avec le CDP créerait inéluctablement une crise profonde au sein de la majorité : « Il est possible que certains anciens du CDP souhaitent à nouveau un rapprochement. Toutefois ce sera une trahison des aspirations profondes de notre peuple. Et le parti en pâtira. »
Le gouvernement se retrouve également coincé entre satisfaire la communauté internationale et répondre aux exigences des populations en matière de justice. La dernière enquête d’Afrobaromètre réalisée par le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) au Burkina Faso indique que 86 % des Burkinabè restent attachés à l’idée de demander des comptes à l’ancien régime. Le régime déchu veut contraindre le pouvoir en place à négocier.
Malgré la liberté provisoire du général Bassolé, Abdoul Karim Saïdou estime que le MPP ne serait pas en mesure de garantir l’immunité à certains barons de l’ancien régime. Parmi eux : François Compaoré, très décrié dans le pays pour son implication supposée dans l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et le général Gilbert Diendéré qui a assumé publiquement le coup d’État du 15 septembre 2015 contre le régime de la transition. Selon lui, « les juges sont attachés à leur indépendance et il serait difficile d’instrumentaliser la justice dans le sens des intérêts partisans compte tenu de la pression populaire actuelle».