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Politique

Bolsanaro ou Lula, qui fait le plus pour l’Afrique ?

Bolsanaro ou Lula, qui fait le plus pour l’Afrique ?
  • Publiéoctobre 17, 2022

Luiz Inácio Lula da Silva, qui a visité 27 pays africains lors de son précédent mandat, défie le président sortant Jair Bolsonaro pour la présidence de la plus grande économie d’Amérique latine.

 

Le 30 octobre 2022, les Brésiliens sont invités à un deuxième tour, dans le cadre d’une compétition présidentielle tendue entre le président sortant, Jair Bolsonaro, et l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, plus connu sous le nom de Lula. Si les sondages donnent une légère avance à ce dernier, la dynamique est clairement à l’avantage du président sortant, dont le score au premier tour, 43,2% des voix, a surpris. Lula, que certains sondages donnaient élu au premier tour, est certes arrivé en tête, mais son score de 48,4% sonne comme une défaite. Il aura quelques semaines pour remobiliser des partisans déçus.

« Le Brésil est passé d’une position de grand importateur de denrées alimentaires à l’un des plus grands producteurs au monde. Notre modèle peut être reproduit dans le contexte africain, c’est pourquoi le Brésil peut être un partenaire important pour l’Afrique, plus que tout autre pays. »

Le retour au pouvoir de Lula pourrait être décisif pour l’intégration commerciale Brésil-Afrique après une période de stagnation. Pendant ses deux mandats, de 2003 à 2010, l’Afrique a connu une présence brésilienne renouvelée, les exportations du Brésil vers l’Afrique subsaharienne augmentant de 25 % par an.

Les relations commerciales avec les pays lusophones, comme l’Angola et le Mozambique, et anglophones, comme le Nigeria et l’Afrique du Sud, ont été approfondies, Lula parlant de « la dette historique du Brésil envers l’Afrique », en référence au million d’esclaves africains amenés au Brésil entre le XVIe et le XIXe siècle.

Cependant, depuis lors, le commerce Brésil-Afrique a perdu beaucoup de son lustre. En 2019, le commerce brésilien avec l’Afrique subsaharienne a atteint sa valeur la plus basse en quinze ans, soit 3,67 milliards de dollars d’exportations et 2,35 milliards $ d’importations.

Lula et le président sud-africain Jacob Zuma en 2010 à Pretoria (AFP).

 

Bien que le déclin se soit produit avant l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir – principalement sous les présidences relativement courtes de Dilma Rousseff et Michel Temer – la tendance s’est accélérée sous son mandat, limitant les relations commerciales et diplomatiques Brésil-Afrique.

« Le continent africain n’a été à aucun moment une priorité de politique étrangère du gouvernement Bolsonaro », explique Kamilla Raquel Rizzi, professeur associé à l’Université fédérale de Pampa au Brésil. « Cela a naturellement éloigné les deux rives de l’Atlantique Sud ces dernières années, et le Brésil a perdu de l’espace avec d’importants partenaires africains, comme le Nigeria et l’Angola. »

 

De malheureux contretemps diplomatiques

Pendant le mandat de Jair Bolsonaro, de grandes entreprises brésiliennes historiquement présentes sur le continent ont abandonné leurs activités. Cas le plus emblématique : en 2020, la compagnie pétrolière publique Petrobras a vendu sa filiale Petrobras Oil & Gas BV, axée sur le Nigeria, pour environ 1,5 milliard $, mettant ainsi fin à sa présence en Afrique.

En avril 2022, la société minière Vale s’est retirée de la mine de charbon de Moatize au Mozambique – le plus gros investissement d’une entreprise basée au Brésil en Afrique, après quinze ans d’exploitation.

Selon les analystes, le manque d’intérêt commercial reflète le déclin des liens politiques et diplomatiques sous la présidence sortante. « La politique étrangère est une politique publique : si un programme extérieur devient une priorité à différents niveaux du gouvernement, naturellement, cette politique peut interférer positivement dans le commerce entre le Brésil et le continent africain – si ce n’est pas une priorité, le commerce s’appauvrit », explique Raquel Rizzi.

En 2021, Bolsanoro a nommé l’évêque Marcelo Crivella, un allié politique et membre de l’Église universelle du Royaume de Dieu (UCKG), comme ambassadeur en Afrique du Sud.

Bien vite, on a appris que Pretoria refusait d’accorder à cet évêque l’approbation officielle, des sources affirmant que l’Afrique du Sud craignait qu’il ne vienne défendre les intérêts de l’église, qui a été fondée au Brésil mais est très présente en Afrique australe. En août, on apprenait que le rôle serait confié à Benedicto Fonseca Filho, un diplomate de carrière chevronné.

Les critiques affirment également que Bolsonaro n’a pas réussi à s’engager avec le continent ou à faire progresser la coopération Sud-Sud de manière significative. « Bolsonaro ne s’est même pas rendu en Afrique », observe João Bosco Monte, président de l’Institut Brésil Afrique. « Cela accrédite l’idée symbolique selon laquelle il ne considère pas le continent comme faisant partie de son agenda politique et économique. »

Au lieu de cela, Bolsanora a donné la priorité aux liens avec de grands partenaires commerciaux, comme la Chine, l’Argentine, l’Union européenne et les États-Unis ; il entretenait une relation étroite avec le président Donald Trump avant sa défaite électorale de 2020. « Bolsonaro s’intéresse aux dirigeants proches de lui sur le plan idéologique et oublie les autres régions du monde », commente Bosco Monte.

 

Lula, le président « Brazil Rising »

Le scepticisme de Bolsonaro pendant la crise de la Covid-19  – durant laquelle le Brésil a connu des taux de mortalité parmi les plus élevés au monde –, ainsi que son attitude ambivalente à l’égard de la déforestation du bassin amazonien, ont également fait de lui une figure controversée sur la scène mondiale et lui ont assuré une concentration rigide sur les affaires intérieures.

L’héritage africain de Lula semble plus substantiel : le commerce du Brésil avec le continent a été multiplié par plus de six entre 2000 et 2008, passant de 4,2 milliards $ à 25,9 milliards $, tandis que 60 % des dépenses de l’Agence brésilienne de coopération au développement ont été allouées à des pays africains. De 2009 à 2012, le Brésil a même été la première source d’investissements directs étrangers du Mozambique ; une place que la Chine occupe depuis 2014.

Pendant huit ans, Lula a intentionnellement poussé les investisseurs brésiliens à traverser l’Atlantique. Lors de sa première visite en Afrique du Sud en 2003, il était entouré de 160 entrepreneurs brésiliens pour établir des liens plus forts entre les deux nations des BRICS.

Sur le plan diplomatique, le nombre d’ambassades brésiliennes est passé de 17 en 2005 à 37 en 2010. Lula a visité plus de 27 pays africains, y compris dans des pays où aucun président brésilien n’avait mis les pieds auparavant.

Lula en compagnie de Paul et Chantal Biya.

 

Toutefois, Adriana Schor, professeur associé à l’université de São Paulo, précise que l’augmentation de la valeur du commerce Brésil-Afrique est principalement due aux prix élevés des importations brésiliennes de pétrole africain. « Non seulement le carburant est le principal bien importé, mais il représente également plus de 70 % des importations totales depuis 2000. »

L’universitaire ajoute : « Lorsque les prix du pétrole ont augmenté, les importations de carburant ont atteint un pic à plus de 90 % de la valeur totale des importations brésiliennes en provenance d’Afrique subsaharienne. Il semble que l’augmentation des importations était simplement due à la hausse des prix. »

Malgré un panier plus diversifié d’exportations brésiliennes vers l’Afrique – notamment des denrées alimentaires, des machines et du plastique – et les efforts de Lula pour tisser des liens au-delà de l’Afrique lusophone, la majeure partie de l’augmentation peut être expliquée comme « faisant simplement partie d’une autre histoire d’un cycle traditionnel d’expansion et de ralentissement des produits de base », précise-t-elle.

En outre, sous Lula et ses successeurs, l’image de marque du Brésil a été malmenée. L’opération Car Wash, la plus grande enquête sur la corruption de l’histoire du pays, lancée en 2014, a permis d’enquêter sur des allégations de corruption et de détournement de fonds du gouvernement dans des entreprises publiques.

Lula, qui a été initialement condamné à 12 ans de prison, a été le plus haut responsable politique à être sanctionné pour corruption. Sa condamnation, qui, selon lui, était une chasse aux sorcières à motivation politique, a depuis été annulée par la Cour suprême. Toutefois, cette longue saga a sapé la confiance dans la probité du secteur des entreprises brésiliennes.

Pourtant, malgré les défis, les analystes s’attendent à ce qu’une nouvelle présidence Lula stimule l’engagement multilatéral du Brésil dans le monde.

« Sous la présidence de Lula, l’agenda étranger brésilien va reconsidérer le continent africain comme une priorité », affirme Raquel Rizzi. « Naturellement, cela stimulera le commerce extérieur entre le Brésil et l’Afrique, en utilisant les politiques publiques, une concession de crédit et plus d’appétit au sein du secteur privé. »

Mais pour que les liens entrent véritablement dans une nouvelle ère, il faudra à nouveau attirer le secteur privé brésilien réticent, estime Bosco Monte.

« Du côté africain, on s’attend à ce que, si Lula arrive au pouvoir, les liens entre le Brésil et l’Afrique soient à nouveau forts. La principale question ici est de voir si ces entreprises, qui ont récemment quitté le continent, veulent inverser la tendance », résume Pedro Esteves, partenaire du cabinet d’intelligence África Monitor, basé à Lisbonne.

Selon une étude menée par Adriana Schor, il existe un potentiel pour le Brésil de stimuler les exportations de transport, de machines et d’électronique vers le continent.

« Ce type d’exportations stimule l’augmentation de la productivité et la croissance économique. Du côté africain, ce sont des importations qui induisent l’interdépendance et le cycle économique commun. »

Un autre exemple de transfert de technologie se trouve dans la réussite de l’industrie de l’éthanol carburant au Brésil. L’agence brésilienne de recherche agricole, l’Embrapa, a ouvert un bureau à Accra en 2008, dans le but d’améliorer la production agricole du Ghana.

Selon Bosco Monte, le Brésil pourrait également partager ses connaissances avec le continent sur ses politiques agricoles transformationnelles. Si la volonté de nouer des liens est là, les opportunités suivront.

« Le Brésil est passé d’une position de grand importateur de denrées alimentaires à l’un des plus grands producteurs au monde. Notre modèle peut-il être reproduit dans le contexte africain ? Ma réponse est oui. C’est pourquoi le Brésil peut être un partenaire important pour l’Afrique, plus que tout autre pays. »

@NA

 

Écrit par
Leo Komminoth

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