Bola Tinubu élu au Nigeria, un changement dans la continuité

Le candidat du parti sortant, Bola Tinubu, sort vainqueur d’une élection présidentielle entachée d’accusation d’irrégularités. Sa victoire donne-t-elle le signal du changement pour une économie en difficulté ?
Le candidat du parti au pouvoir au Nigeria, Bola Tinubu, est déclaré vainqueur de l’élection la plus contestée depuis une génération au Nigeria, sur fond d’accusations de violence et de truquage. Déjà, les partis d’opposition réclament un nouveau scrutin.
Bola Tinubu, 70 ans, du Parti des progressistes (APC), a obtenu 37 % des voix, devant Atiku Abubakar du Parti démocratique populaire (PDP), 29 %, et l’outsider Peter Obi du Parti travailliste, 25 %, favori des sondages avant le scrutin.
Après huit années jugées comme « perdues », Bola Tinubu s’est retrouvé sur la corde raide, durant la campagne, entre l’éloge du sortant Buhari, son allié politique, et la promesse d’un « nouvel espoir ».
Sa victoire dans la course au remplacement du président sortant, Muhammadu Buhari, renforce l’emprise de l’APC sur le pouvoir dans la plus grande économie et le premier producteur de pétrole d’Afrique, bien que de nombreux Nigérians considèrent que les huit années au pouvoir de Buhari ont été gâchées.
Bula Tinubu a remporté le vote populaire et au moins 25 % des voix dans deux tiers des États et dans la capitale Abuja, ce qui lui évite la tenue d’un second tour éprouvant. La bonne performance d’Obi en tant que candidat tiers dans une compétition normalement dominée par l’APC et le PDP laissait pourtant entrevoir cette possibilité, pour la première fois dans l’histoire du Nigeria.
« Je profite de cette occasion pour lancer un appel à mes collègues candidats pour qu’ils nous laissent faire équipe ensemble. C’est la seule nation que nous ayons. C’est un seul pays et nous devons le construire ensemble », a déclaré le président élu dans son discours de victoire.
Néanmoins, la nation la plus peuplée d’Afrique devra faire face à des jours tendus, les partis d’opposition considérant le résultat comme le produit d’un processus défectueux.
Une confiance altérée dans le scrutin
Le jour du scrutin a été caractérisé par des retards importants, des difficultés avec les nouvelles machines d’identification électronique, des accès de violence et des menaces à l’encontre des agents électoraux. Le récent programme d’échange de billets a entraîné des pénuries de nairas dans le pays, empêchant de nombreux citoyens de se déplacer facilement pour voter. Lundi, des représentants d’Abubakar et d’Obi ont quitté brusquement le centre national de décompte des voix.
L’observatrice Joyce Banda, ancienne présidente du Malawi, juge que l’élection n’« a pas répondu aux attentes raisonnables des citoyens nigérians ». Avis confirmé par la mission de l’Union européenne, selon qui la mauvaise planification et la communication avaient « affecté la confiance dans le processus ».
Les troubles et les rejets pourraient gâcher une élection considérée comme essentielle pour la stabilité en Afrique de l’Ouest et comme un possible tournant pour la nation la plus peuplée du continent.

Le Nigeria est confronté à de graves crises, notamment des troubles économiques, une insurrection islamiste et une série d’enlèvements. Selon le Sénat nigérian, les vols de pétrole dans le delta du Niger ont coûté au pays 2 milliards de dollars au cours des huit premiers mois de l’année dernière, l’empêchant d’atteindre les quotas de production fixés par l’OPEP.
« L’économie est dans un état désastreux », commente Mucahid Durmaz, analyste principal pour l’Afrique chez Verisk Maplecroft. « Selon tous les paramètres économiques, l’économie nigériane est pire qu’avant l’arrivée au pouvoir de Buhari en 2015. La crise budgétaire et le lourd fardeau de la dette affaibliront la capacité de l’administration entrante à lutter contre l’insécurité et les inégalités socio-économiques, car les paiements du service de la dette dépasseront bientôt l’ensemble des recettes publiques. »
Bola Tinubu, l’un des hommes politiques les plus riches du Nigeria, et Atiku Abubakar, 76 ans, candidat de longue date, représentent l’élite politique nigériane, tandis que Peter Obi, 62 ans, a séduit les jeunes Nigérians éduqués avec une campagne habile et un programme réformiste.
Contraint à l’exil par le dictateur Sani Abacha dans les années 1990, le pro-démocratique Tinubu, comptable et cadre pétrolier, a gouverné Lagos, le centre économique du Nigeria, avec un grand succès et un fort bilan entre 1999 et 2007, période durant laquelle la ville a bénéficié d’investissements étrangers massifs.
La même politique que Buhari ?
Bola Tinubu a fait l’objet d’accusations de corruption, de blanchiment d’argent, de fraude et d’évasion fiscale, et a été traîné à deux reprises devant le tribunal du Code de conduite du Nigeria avant d’être blanchi. La victoire de Tinubu va donc inquiéter les militants anti-corruption.
Comme Muhammadu Buhari, il a également été confronté à des inquiétudes concernant sa santé suite à une série de gaffes lors de rassemblements, ce qui a conduit son équipe à publier une vidéo de huit secondes du candidat sur son vélo d’appartement.
Parmi les grandes surprises de l’élection, Peter Obi a facilement battu Bola Tinubu dans le fief de ce dernier, l’État de Lagos. Néanmoins, la victoire de Tinubu après quatre jours de dépouillement reflète la force de la machine du parti APC dans les principaux États. Un parti sortant n’a perdu qu’une seule des six élections nigérianes depuis le retour à un régime civil en 1999.
Buhari laisse une économie sinistrée à son successeur
Après huit années jugées comme « perdues », Bola Tinubu s’est retrouvé sur la corde raide, durant la campagne, entre l’éloge du sortant Buhari, son allié politique, et la promesse d’un « nouvel espoir ». Ses partisans affirment qu’il prévoit de restructurer l’économie nigériane, de déléguer davantage de pouvoirs aux États et de créer des centres régionaux pour les corridors économiques. Le Nigeria dispose d’une énorme population, jeune et entreprenante, qui ne demande qu’à être mise à contribution.
Pourtant, les analystes redoutent que cette victoire soit synonyme de changement dans la continuité pour le Nigeria, par rapport aux projets de ses rivaux, plus soucieux de l’économie de marché, et visant à créer des emplois en stimulant massivement la production locale.
« La présidence de Tinubu signifie une poursuite des politiques de Buhari avec des interventions étatistes, comme la fermeture des frontières terrestres du Nigeria en 2019 dans une tentative malheureuse de stimuler la production nationale », résume Mucahid Durmaz. À moins que Tinubu ne renouvelle pour la gestion du pays le miracle qu’il a accompli à Lagos comme gouverneur.
@NA