Bénin : Une délicate révision constitutionnelle
Patrice Talon souhaite réviser la Constitution, déclenchant des polémiques au sein de la classe politique, bien qu’unanime à souhaiter des réformes. Face au second refus de l’Assemblée, le Président pourrait utiliser l’arme du référendum.
Cotonou, Max-Savi Carmel
Verdict : 62 pour, 19 contre et 1 abstention. Le Parlement ne souhaite pas de réforme constitutionnelle. Résultat décevant pour le gouvernement béninois qui, bien qu’ayant laissé l’initiative de la proposition de loi au Bloc de la majorité présidentielle (BMP) s’attendait à ce que le seuil des quatre cinquièmes soit facilement atteint.
Tout le monde est d’accord : après 28 ans d’usure et compte tenu de son caractère contextuel lié à la Conférence nationale des forces vives, la Constitution béninoise ne tiendra pas longtemps la route, sans un toilettage, fut-il minime.
Après l’infructueuse tentative d’avril 2017, celle du 6 juillet sonne comme un coup dur contre les réformes auxquelles tient pourtant le président Patrice Talon. Il devrait, pour arriver à bout, passer par un référendum qui n’est pas gagné d’avance. Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux, y compris au sein de l’opposition, à reconnaître les limites de la Constitution actuelle.
Pour autant, l’insistance du camp présidentiel et surtout, la précipitation qui caractérise le projet de la révision, amplifie la méfiance chez les citoyens, qui ignorent l’essentiel des grandes lignes de la réforme.
L’opposition crie « au renforcement excessif des pouvoirs du chef de l’État », la majorité clame « une autonomie des institutions et le renforcement des libertés fondamentales », les syndicats et la société civile peinent à suivre le rythme et recommandent des réformes concertées. Le père Julien Penoukou, porte-voix politique de l’Église catholique, appelle à aller au « rythme du consensus».
Talon, l’incompris ?
Patrice Talon est à l’épreuve des grandes contradictions de la démocratie béninoise : d’un côté, des signes persistants d’un essoufflement qui nécessite un coup de modernisation et de l’autre, des poches de résistance qui semblent s’opposer à toute réforme, quel qu’en soit le contenu.
Le Président a choisi une troisième voie qui peine à être comprise. Celle d’user des prérogatives que lui confère la Constitution pour accélérer les réformes, une méthode qui montre vite ses limites dans une société trop politisée.
D’abord, en introduisant le principe de résidence dans la loi électorale, il s’est mis à dos l’influente diaspora béninoise qui a multiplié des manifestations dans les capitales occidentales.
Patrice Talon avait pourtant été, lors de la présidentielle, très soutenu par les Béninois de l’extérieur. Ensuite, l’élection à la tête de la Cour constitutionnelle, début juin, de Joseph Djogbénou, un avocat proche du chef de l’État, dont il fut d’ailleurs le garde des Sceaux, a suscité une vague de suspicions. D’autant que dans la foulée de sa prestation de serment, ladite Cour a validé une loi considérée « inconstitutionnelle » par l’équipe précédente. Il s’agit de celle relative au droit de grève pour les agents de la santé, les magistrats et la police républicaine.
Peu après, le 25 juin, Cécile De Dravo, dont l’époux, Abraham Zinzindohoué, est à la tête de la Renaissance du Bénin (RB, nouvelle version) qui soutient la majorité présidentielle, a été plébiscitée à la tête de la Haute Cour de justice.
Enfin, alors que le gouvernent fait de la lutte contre l’impunité un cheval de bataille, l’arrestation d’un député réputé « opposant » et la levée d’immunité en cours de Idrissou Bako et Valentin Djenontin, tous proches de l’ancien président Yayi Boni, sont perçues comme une « guerre ouverte » à l’opposition que dénonce la Coalition pour la défense de la démocratie (CDD) rassemblant les anciens présidents Soglo et Yayi autour de l’homme d’affaires Sébastien Ajavon.
Tout cet environnement rend inaudible l’action du gouvernement et met en doute la sincérité de Patrice Talon, qui aura pourtant axé toute sa campagne présidentielle sur les grandes réformes. « Les Béninois veulent une chose et son contraire, ils élisent un réformateur et se montrent réticents aux grandes réformes », s’étonne un diplomate occidental accrédité à Cotonou. « Nous irons au bout des réformes », a déjà promis le chef de l’État alors que l’opposition multiplie des communiqués contre une réforme « en force ». Introverti et muet, le chef de l’État semble de plus en plus incompris alors qu’il s’achemine vers la moitié de son mandat.
Les grandes lignes de la révision
« La révision permet d’asseoir des institutions solides et de donner une place nouvelle à la femme dans la politique », avance Robert Gbian, 2e vice-président de l’Assemblée nationale et membre influent du Bloc de la majorité présidentielle. L’ancien candidat à l’élection présidentielle voit dans l’accumulation de plusieurs scrutins, prévue par la nouvelle Constitution, « une manière de faire des économies ».
Appeler les Béninois à élire, dès 2019, les députés et les maires lors d’une seule et même élection fera gagner à l’État plus de 40 % du coût global des deux élections. Mais l’objectif final de la réforme est de pouvoir, d’ici à 2026, tenir des élections générales (présidentielle, législatives et municipales). Un argument qui convainc les chancelleries, mais laisse dubitative l’opposition qui craint des confusions, au bénéfice du président Talon.
Léonce Houngbadji, l’un des principaux opposants, y voit « la meilleure formule pour garantir à Talon la majorité nécessaire pour faire du Bénin ce qu’il voudra ». Outre l’égalité des chances entre hommes et femmes et les élections cumulées, la nouvelle Constitution adapte la législation béninoise à l’internet et à la lutte contre le terrorisme.
Mais aussi réduit l’influence du chef de l’État dans les choix et les élections au sein des institutions républicaines à savoir la HAAC (Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication) ou le Conseil économique et social. Elle réforme la Haute Cour de justice pour la rendre plus efficace, instaure la Cour des comptes. Les principes de limitation de mandats, de la nature républicaine et laïque de l’État et des divers modes de scrutins ne devraient faire objet d’aucun amendement.
Issues probables
Le président Talon ne devrait pas lâcher les réformes. Il aura le choix entre la méthode dure, élargir grâce aux moyens de pression dont il dispose, sa majorité parlementaire, pour disposer des 4/5e prévus par la Constitution pour toute révision. Dans ce cas, le chef de l’État doit renouer le dialogue avec l’opposition et surtout, convaincre les forces vives de la pertinence de la révision. Bien que la Constitution soit en déphasage avec l’évolution du monde sur les questions liées à la bioéthique, les nouvelles technologies et les libertés des minorités, l’insistance avec laquelle majorité tente les réformes est perçue comme douteuse.
Le gouvernement peut, en respect du vote de l’Assemblée nationale, recourir au référendum populaire qui non seulement prendra du temps, mais devait coûter au moins 25 milliards de F.CFA pour un pays dont l’économie commence à peine à sortir de la morosité. Dans les coulisses du Palais, on prête l’intention au chef de l’État de reporter la révision à la fin du mandat et de privilégier les grands points du Plan d’action du gouvernement.
D’autant que des législatives sont prévues pour le premier trimestre 2019 et qu’aucune liste électorale fiable n’est encore disponible. Pourtant, tout le monde est d’accord : après 28 ans d’usure et compte tenu de son caractère contextuel lié à la Conférence nationale des forces vives, la Constitution béninoise ne tiendra pas longtemps la route, sans un toilettage, fût-il minime.