Bénin : Moins de partis, plus de démocratie
La réforme du système des partis devrait permettre l’émergence de grands blocs et de renforcer la démocratie au Bénin. Malgré quelques hésitations au sein des petits partis, le projet de loi semble accepté par la classe politique et le parlement devrait bientôt l’adopter.
Cotonou, Max-Savi Carmel
Elle est la principale réforme politique du projet de société de Patrice Talon. Celle qui impose un positionnement national aux partis politiques représentés, empêchant de facto la multiplication des organisations.
Avec 12 millions d’habitants, le Bénin compte plus de 300 partis et regroupements politiques dont plus de 60 % n’ont jamais eu aucun élu. Cette réforme, si elle est menée à bien, pourrait être un cas d’école pour plusieurs pays de la sous-région francophone qui vivent des situations similaires.
Pendant la campagne électorale, il en avait fait sa principale réponse à une classe politique hétéroclite et divisée. Depuis, la classe politique y est de plus en plus acquise d’autant que le président de l’Assemblée nationale, Adrien Houngbédji, s’en est fait l’ambassadeur.
Les 15 et 16 février, un séminaire parlementaire a été animé à Cotonou autour du sujet. Acteurs politiques, société civile et autorités religieuses se sont retrouvés autour des députés pour en aborder les divers aspects et parfaire un projet de loi qui prenne en compte les préoccupations des sceptiques.
Lequel projet de loi est déjà, dans sa version finale, sur la table des députés. Dans la foulée, le chef de l’État, qui s’est entretenu avec plusieurs parlementaires du Bloc de la majorité présidentielle (BMP) soutien de la réforme, a demandé de « tenir compte des hésitations et de rassurer le plus de monde possible », selon un élu de la majorité. Les détracteurs y voient « une ruse pour s’assurer une majorité parlementaire », lors des prochaines législatives de 2019.
La majorité acquise
Si l’actuel président du Bénin a été élu sans aucun parti politique, il s’est vite constitué au parlement un regroupement de députés qui soutiennent l’action de son gouvernement. Une soixantaine sur les 83 que compte l’Assemblée nationale, ce qui ne lui a pas épargné, à une voix près, le rejet de son projet de révision constitutionnelle, en mars 2017. Depuis, cette majorité s’organise pour faire passer les principales réformes institutionnelles du gouvernement.
C’est elle qui porte avec le garde des Sceaux, Joseph Djogbénou, l’essentiel des réformes. « Il fallait rassurer les acteurs politiques notamment ceux qui y voient la fin de leur carrière », insiste le ministre de la Justice, dont l’image a été associée à l’échec de la précédente révision constitutionnelle.
Désormais, plus aucun doute, la réforme fait la majorité. Mais avant que le texte ne passe en scéance plénière, des tournées sont prévues sur toute l’étendue du territoire national.
Les députés prévoient des campagnes de sensibilisation dans leur circonscription électorale respective pour « éclairer des électeurs dont beaucoup ne comprennent pas ce qui se passe au Parlement », commente Rachidi Gbadamassi, élu dans le nord du Bénin et réputé « gros bras » du président Talon.
Cette réforme, si elle passe, pourra sauver la face d’un gouvernement qui peine à mettre en exécution son ambitieux Plan d’action gouvernemental au coeur duquel figure la réforme du système partisan. Le projet de loi est déjà en commission selon l’entourage du président de l’Assemblée nationale qui « croit dur comme fer qu’il s’agit d’une importante bouffée d’oxygène pour la démocratie ».
Une frange de l’opinion hésite
Le principal objectif de cette réforme est de favoriser des regroupements. La réforme impose désormais à chaque parti politique d’être présent sur toute l’étendue du territoire, mais aussi, de ne pouvoir « jouir de ses votes lors des prochains scrutins que s’il totalise au moins 10 % d’électeurs répartis sur tout le territoire national ». Pour Léonce Houngbédji, président du Parti pour la libération du peuple, « cette idée permet à la majorité présidentielle de démanteler les petits partis».
Selon le jeune et virulent opposant, « le Président veut ainsi rafler une écrasante majorité au parlement », pour faire passer sa réforme constitutionnelle.
De son côté, Candide Azannaï, qui fut l’un des acteurs de l’élection de Patrice Talon dont il a été le ministre de la Défense avant de démissionner et de prendre ses distances, y voit « un piège » et en a même prévu « son échec».
Principal opposant au régime, le président du mouvement Restaurer l’espoir craint qu’il ne s’agisse d’un « serpent de mer qui se retourne contre le gouvernement ».
La majorité présidentielle disposant plus facilement de moyens financiers et de ressources humaines pour couvrir tout le pays, beaucoup voient dans cette réforme « une mise à l’écart des petits partis » et donc une atteinte à la diversité politique. « Faux ! », rétorque le garde des Sceaux, qui considère que « la fragilité de la classe politique vient de ce que trop de partis politiques existent sans élus ». Pour Joseph Djogbénou, cette disposition « redonne force et influence aux partis politiques ».
Un dossier important pour Patrice Talon
Dans l’opinion nationale, cette réforme est plutôt saluée. « Nous avons trop de partis politiques qui ne servent à rien, il y en a même dont on n’a pas entendu parler depuis de nombreuses années », fait observer le journaliste politique Léonel Ebo qui espère, comme beaucoup de Béninois, que « cette loi ramène l’espace politique à quelques grands ensembles ».
Depuis plusieurs semaines, le chef de l’État évoque le sujet avec ses visiteurs du soir, les ambassadeurs accrédités à Cotonou et surtout les experts des Nations unies qu’il reçoit. Patrice Talon entend convaincre le plus de monde possible. « Cette réforme n’est contre personne, elle est au service de tous », avait-il lâché lors d’une intervention sur une télévision privée du Bénin. Le Président a déjà sa stratégie pour les prochaines législatives.
Il ne veut pas lancer de parti politique avant les élections afin de fédérer des élus de plusieurs formations pour constituer « une grande et large majorité». S’il a promis de n’exercer qu’un seul mandat, Patrice Talon a compris que pour arriver au bout des réformes, il devrait disposer d’une majorité conséquente compacte au parlement. Les prochaines élections sont donc un enjeu de taille pour Patrice Talon.
Et au préalable, il tient à ce que sa réforme se concrétise. Sachant que le Président a déjà appris à ses dépens, qu’au Bénin, « il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ». Alors qu’il était certain que son projet de révision constitutionnelle passerait comme une lettre à la poste, il a été rejeté en mars 2017, à une voix près.
Avec 12 millions d’habitants, le Bénin compte plus de 300 partis et regroupements politiques dont plus de 60 % n’ont jamais eu aucun élu. Cette réforme, si elle est menée à bien, pourrait être un cas d’école pour plusieurs pays de la sous-région francophone qui vivent des situations similaires.