Bénin : L’énigme Patrice Talon
Critiqué pour ses choix économiques et sa politique sociale, Patrice Talon persiste et signe. Élu il y a bientôt deux ans sur une promesse de mandat unique, le président du Bénin semble déjà se préparer pour la présidentielle de 2021.
Cotonou, Max-Savi Carmel
L’année 2018 commence par une série de grèves, au Bénin. L’administration est au ralenti et le Président ne semble pas s’en inquiéter. À la veille du nouvel an, Patrice Talon fait voter une loi qui prive du droit de grève certains corps essentiels de la fonction publique, notamment les agents de la santé, de la sécurité publique et ceux de la justice.
Peu après, le 2 janvier, le Parlement, à l’initiative de l’exécutif, revoit la composition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) en permettant à quelques membres du gouvernement et à des députés d’y siéger. Michel Adjaka, président de l’Union nationale des magistrats du Bénin (Unamab) dénonce dans un communiqué « une violation inquiétante de l’article 31 de la Constitution ». Des récriminations qui ne sont pas de nature à sortir le Président de sa légendaire discrétion.
De retour d’une visite privée en France en tout début d’année, Patrice Talon profite du 10 janvier, fête nationale du vaudou, pour s’accorder un repos. Occasion pour lui pour passer, comme il en a pris l’habitude depuis le début de son mandat, plusieurs heures au téléphone. Au nombre de ses interlocuteurs, Joseph Djogbenou, ministre de la Justice, qui porte le projet de réforme de la magistrature et Adrien Houngbédji, président de l’assemblée nationale et principal partenaire politique de Talon. Grâce à eux, le chef de l’État peut se livrer, dans son mutisme devenu une marque de fabrique, au jeu qu’il affectionne le plus, tirer les ficelles dans l’ombre.
La fin de l’année 2017 aura été sur fond de frustrations pour les forces de l’ordre. Malgré la méfiance des cadres de la police nationale et l’opposition de plusieurs officiers de la gendarmerie, rien n’arrêtera la fusion de la police et de la gendarmerie, dirigée par le général Nazaire Hounkpè. Qui était, jusque-là, conseiller à la sécurité du chef de l’État.
Peu avant, la Cour constitutionnelle, s’oppose à « tout usage électoral » du nouveau fichier d’identification des Béninois, ce qui n’empêchera pas le gouvernement d’aller au bout du Recensement administratif. Une opération confiée à l’entreprise française Safran, sans suivre les procédures d’attribution de marchés publics.
Des adversaires déstabilisés
Les dénonciations de la société civile n’y feront rien. Malgré la forte mobilisation des agents portuaires, le gouvernement a autorisé la contractualisation du port de Cotonou au bénéfice de la filiale de l’Autorité portuaire d’Anvers. De même, l’aéroport international Cardinal-Bernardin-Gantin, l’unique aéroport international en fonction au Bénin, a été confié à une société française, Aéroports de Paris.
Dans un cas comme dans l’autre, la colère et les contestations des travailleurs et syndicats n’affecteront pas la détermination du chef de l’État. Plusieurs autres entreprises publiques sont dans le viseur du gouvernement. Le président Talon, qui a fait fortune dans les affaires, estime que l’administration trop lourde et la gestion opaque des sociétés publiques ne permettent pas « une viabilité à long terme ».
Cette méthode du forcing ne concernera pas que les sociétés d’État. Patrice Talon y recourt régulièrement pour faire taire ses adversaires politiques. Lehady Soglo, ancien maire de Cotonou l’aura appris à ses dépens.
Après avoir soutenu Lionel Zinsou, le challenger de Talon au second tour de la présidentielle, le fils de l’ancien président Nicéphore Soglo aura commis l’erreur de s’opposer à la politique d’urbanisation du président Talon. Conséquence, il sera convoqué par l’autorité de tutelle et poursuivi dans une affaire de mauvaise gestion.
Le maire de Cotonou sera suspendu par le ministre en charge de la décentralisation puis révoqué de ses fonctions par un décret pris en conseil des ministres. Depuis, il est en exil à Paris.
En octobre 2016, au moment où il s’y attendait le moins, l’ancien candidat à la présidentielle Sébastien Ajavon est arrêté dans une affaire de trafic de drogue et gardé à vue pendant huit jours. «Le tort d’Ajavon est de continuer à tirer les ficelles au parlement, ce que le président ne supporte plus», a confié un député, sous le couvert de l’anonymat. Il finira par être relaxé et l’affaire classée sans suite. Ce qui ne sera pas du goût du Président qui dénoncera publiquement «une justice sous pression».