Bénin : Délicate adoption du Code électoral

À défaut d’une nouvelle Constitution, le gouvernement a obtenu l’adoption d’un Code électoral remanié. S’il vise à réduire la myriade de partis politiques et à favoriser les grandes alliances, la publication de ce texte intervient dans une atmosphère politique soudainement tendue.
Cotonou, Max-Savi Carmel
Après l’échec de la révision constitutionnelle, le nouveau Code électoral a été adopté par le Parlement. Critiqué par l’opposition et la diaspora notamment, il devrait contribuer à la recomposition de l’espace politique après les législatives de 2019. En attendant, le camp présidentiel multiplie meetings et rencontres pour expliquer les points forts d’une loi qui devrait faciliter les grands regroupements politiques. Malgré les inquiétudes des chancelleries occidentales, les mises en garde de la société civile et les réserves de l’Église catholique à travers la Conférence épiscopale, Patrice Talon n’entend pas reculer. « Les réformes sont douloureuses, mais nous irons jusqu’au bout », avait prévenu le Président lors de son dernier discours sur l’état de la Nation. Une détermination qui agace ses détracteurs.
Un texte qui divise
Les grandes lignes du nouveau Code électoral étaient inscrites dans le projet de société du candidat Patrice Talon. Elles visent à assainir le milieu des partis politiques et surtout, à encourager les grands regroupements. L’opposition avait dénoncé « un Code qui porte atteinte à la liberté des partis politiques ».
Malgré les manifestations et protestations, notamment de la diaspora, le Code électoral a été adopté facilement, le 3 septembre 2018. Il impose aux partis politiques d’avoir au moins 10 % des votes exprimés avant de pouvoir prétendre à des sièges au Parlement. « À part la majorité présidentielle, très peu de partis peuvent remplir cette condition », fait observer Boni Yayi qui dénonce « une revanche ». L’ancien Président fait allusion aux deux tentatives avortées de modifications de la Constitution.
La stratégie présidentielle est simple : rassembler tous les partis et mouvements qui le soutiennent en deux grands blocs. Le bloc progressiste tient le Nord et le Parti républicain le Sud.
Le nouveau Code revoit à la hausse les frais de candidature, qui ont été multipliés par 12 pour la présidentielle passant de 20 à 250 millions de CFA (381 000 euros). Plusieurs diplomates ont exprimé à cet effet leur inquiétude. Idem pour les élections législatives. Chaque liste doit désormais verser en caution 249 millions, soit là encore, multipliée par 10.
L’obligation de résidence aussi a été imposée dans le nouveau Code, écartant de facto les Béninois de la diaspora qui sont pourtant très actifs. « Le gouvernement veut éliminer les candidatures fantaisistes », explique Patrice Talon ; d’autant que désormais, un parti politique doit rassembler au moins 11 000 membres fondateurs. « Cette loi vise à asphyxier l’opposition », grogne Sébastien Ajavon, principal opposant au régime depuis ses démêlés avec le Président.
Des tensions autour du Criet
« Une cour spéciale introduite en catimini dans la hiérarchie des normes judiciaires », constate Reckya Madougou, ancienne garde des Sceaux qui s’exprime rarement sur l’actualité de son pays, depuis sa sortie du gouvernement en 2013. Début octobre, la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) interpelle Sira Sabi Korogoné, jeune leader politique béninois pour « appel à la haine et troubles à l’ordre public ». Une arrestation qui fait suite à un mouvement anti-Talon dont il est instigateur et qui a rassemblé quelques jours plus tôt des milliers de jeunes à Nikki, à 600 km de Cotonou. Occasion pour Reckya Madougou de dénoncer une situation inquiétante.
La conseillère spéciale de Faure Gnassingbé prévient : « Celui qui laisse commettre une injustice ouvre la voie à d’autres injustices. » Quelques jours plus tôt, la Criet avait convoqué Sébastien Ajavon. Pour le condamner, le 18 octobre, à vingt ans de prison dans une affaire de trafic de cocaïne. Resté à Paris, l’opposant a dénoncé « un coup monté ».
Des voix s’élèvent pour dénoncer « un tribunal inquiétant ». Pour le gouvernement, compte tenu des menaces terroristes qui pèsent sur toute la sous-région, « un tribunal spécial était devenu indispensable ». Sauf que depuis sa récente création, l’organe juridique cible principalement des acteurs politiques.
Sira Sabi Korogoné, Sébastien Ajavon et plus récemment, le député Hinnouho Atao. « Il s’agit d’une cour rétrograde et d’exception », selon Barnabé Gbago, professeur de Droit. La société civile et les syndicats multiplient des attaques contre cette nouvelle Cour. La situation, devenue tendue, a poussé Boni Yayi à exprimer son inquiétude à travers une lettre ouverte. L’ancien chef de l’État appelle son successeur – sans le nommer – à prendre en compte les « gémissements » de la population et de la jeunesse et craint que la paix civile ne soit menacée. En attendant, le procureur Gilbert Togbonon qui préside la Criet multiplie des convocations.
Talon anticipe sur les législatives
Prévues pour mars 2019, les législa- tives seront le premier grand test pour le président Talon, au pouvoir depuis avril 2016. Il fait tout pour gagner haut la main ce rendez-vous de mi-mandat. La stratégie présidentielle est simple : rassembler tous les partis et mouvements qui le soutiennent en deux grands blocs. Le bloc progressiste tient le Nord, et le Parti républicain, le Sud. Entre les deux, un rassemblement intermédiaire sur lequel Talon garde tout le secret.
Mais avec le nouveau Code électoral, toutes les chances sont de son côté. La colossale caution financière exigée pour les élections législatives élimine les petits partis et mouvements. Patrice Talon devrait compter sur les députés sortants dont trois quarts lui sont acquis et ont constitué une majorité de for- tune autour de son projet de société.
En regroupant de grands partis comme le Parti du renouveau démocratique (PRD) d’Adrien Houngbédji, la branche dissi- dente de la renaissance du Bénin (RB) ainsi que plusieurs micropartis du sep-tentrion dont l’Alliance soleil de l’ancien général, Robert Gbian, le Président met toutes les chances de son côté. Mais d’ici là, l’opposition devrait aboutir à un grand regroupement. Et des personnalités qui, comme Reckya Madougou, ont disparu de l’échiquier national, enchaînent des sorties pour ainsi préparer un probable retour. Des surprises en vue, donc, d’ici à 2019.