Achille Mbembé, la fictive paix
Pour Achille Mbembé, spécialiste des régimes politiques africains, quiconque entend changer la Constitution par la force doit s’attendre à une crise grave.
Les problèmes de respect constitutionnel vous semblent-ils plus importants que jamais pour l’avenir des démocraties africaines ?
De toute évidence, de nombreux pays africains ont fait de grands progrès ces dix ou quinze dernières années. Il a été nécessaire de commencer par limiter le nombre de mandats présidentiels, mais demeure le problème de la mauvaise organisation des élections. Je peux vous citer de très bons exemples, comme celui de la Tanzanie, qui a connu plusieurs alternances du pouvoir depuis le départ de Julius Nyerere, en 1985. L’Afrique du Sud a plus ou moins réussi à atteindre un modèle politique satisfaisant également. Restent les contre-exemples, dont en premier le Cameroun, véritable régime autocratique depuis son indépendance.
Les pays les plus en retard en matière de bonne gouvernance semblent-ils prêts à tirer la leçon de l’exemple récent du Burkina Faso ?
Le Burkina Faso a connu une histoire particulière, faite de nombreux coups d’État militaires, mais il a aussi vu se développer une société civile active. Au Cameroun, au Congo Brazzaville, en RD Congo, au Tchad et au Gabon, on trouve une culture politique différente. On peut parler de « coeur des ténèbres » de la démocratie en Afrique dans ces pays. Ils sont des contre-exemples parfaits, donc je ne suis pas étonné que le cas du Burkina Faso n’y ait pas encore fait tache d’huile.
La situation du Burundi peut-elle faire réfl échir les dirigeants encore prêts à modifi er la Constitution de leur pays pour se représenter ?
Le Burundi connaît certes un régime civil mais qui opère sur un mode largement paramilitaire. En pratique, le Président y contrôle tout : l’armée, la police, les médias ; l’opposition y est affaiblie et peine à trouver des alliances extérieures. Pour que cette situation soit mieux contrôlée, l’Union africaine devrait peser davantage, ainsi que la communauté internationale. Il faut endiguer le phénomène des élections problématiques, détournées et manipulées.
L’Union africaine semble avoir condamné plus fermement le recours à la violence contre le pouvoir en place que les manipulations des Constitutions par les hommes élus… Y a-t-il dans les faits une contradiction entre le respect de ces deux principes ?
Il faut condamner les coups d’État militaires, bien sûr, et l’Union africaine a eu raison de le faire, mais elle doit aussi dire non aux manipulations constitutionnelles. Il n’y a pas de contradiction entre les deux.
Tout se passe comme si certains régimes cherchaient à préserver la pacifi cation, en promettant la stabilité s’ils se maintiennent, au prix de la légitimité démocratique, comme si les citoyens n’avaient le choix qu’entre l’une ou l’autre…
Il est vrai que la stabilité apparente des régimes qui durent par la force peut garantir à un certain niveau une certaine paix, mais il s’agit alors d’une paix fictive. Elle repose sur la peur du changement, ainsi que sur la fatigue et la faiblesse des oppositions harcelées. Elle n’est donc pas durable. Or, la paix durable sera le résultat de la légitimation des pouvoirs en place par les urnes. Les peuples africains doivent affi rmer qu’ils sont libres de décider qui doit les diriger.
Le cas de la RD Congo vous paraît-il le plus dangereux ? Comment empêcher que les scénarios de crise ne se reproduisent ?
Le pays connaît un drame très profond. Il révèle que la vraie question devient : les Africains sont-ils capables de se gouverner eux-mêmes ? Et le pays donne des indices que ce n’est pas toujours le cas… Pas encore. Mais il faut arriver à édicter de nouvelles normes qui sont le refus des coups d’État militaires, le refus des changements constitutionnels. Celui qui se hasarde à changer la Constitution de son pays pour se représenter doit s’attendre à une grave crise et en premier, Joseph Kabila, en RD Congo, mais aussi Pierre Nkurunziza, au Burundi. Ce dernier va essayer de passer en force. Il faut que les organisations continentales et internationales lui imposent des sanctions ; il ne faut pas le laisser faire. Pensons au cas de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire ou de Charles Taylor au Liberia. Dans le pire des cas, la CPI (Cour pénale internationale) existe pour juger des crimes les plus graves qui découlent de ce genre de choix radicaux pour se prolonger au pouvoir. Les dictateurs africains ont eu un demi-siècle pour agir à leur guise. Cela suffi t désormais et le temps est venu d’augmenter la pression pour que ces agissements cessent !