Interview Achille Mbembé

Le théoricien du post-colonialisme, Achille Mbembé, ne croit guère à la venue d’un homme providentiel. Il appelle de ses voeux, notamment pour son pays, le Cameroun, la création d’une opposition structurée autour d’idées fortes.
Comment qualifierez-vous le statut d’opposant en Afrique ?
Il n’est guère enviable ! Partout sur le continent, les oppositions sont faibles et peu structurées. Ce n’est pas uniquement un problème de moyens financiers, bien que cet aspect compte. Le défi est d’imaginer, pour les temps qui viennent, de nouvelles formes de lutte, qui tireraient leur force de la créativité des sociétés elles-mêmes.
Né en 1957 au Cameroun, Achille Mbembé est un théoricien du post-colonialisme. Il obtient son doctorat en histoire à l’université de la Sorbonne à Paris, en 1989. Il enseigne l’histoire et la science politique à l’université de Witwatersrand à Johannesburg (Afrique du Sud) et à la Duke University, au département des études romanes (USA). Il est l’auteur de nombreux essais dont, le dernier, paru en 2013, s’intitule Raison de la critique nègre en référence à Critique de la raison pure, d’Emmanuel Kant.
Aujourd’hui, des opposants historiques peuvent-ils jouer un rôle important ?
Je ne suis guère convaincu par le retour d’un homme providentiel pour le pays. Il faut inventer à neuf de nouveaux paradigmes de l’opposition, une nouvelle culture de la contestation, de nouvelles formes d’organisation, de leadership et de mobilisation. Ces nouveaux paradigmes doivent être portés par de véritables projets de transformation politique et sociale.
Pourquoi l’opposition camerounaise a-t-elle accepté, pendant si longtemps, de se laisser manipuler, pour ne pas dire acheter ?
On trouve au Cameroun quelques figures courageuses et honnêtes, mais aussi des brebis galeuses. Le pays est rongé par le fléau du tribalisme. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’opposition camerounaise ne parvient pas à devenir une force d’alternance.
Que souhaiteriez-vous voir se passer dans le pays ?
L’ère Biya va se terminer. Il faut, sur un plan culturel, se dire que cette page est désormais fermée et accepter de préparer le futur. Mais le penser et le dire n’est pas suffisant : il faut aussi agir en conséquence. C’est la priorité absolue à ce moment de notre histoire ! Après plus de 30 ans, le pays besoin de transformations radicales. Trente années, c’est colossal ! Je souhaiterais, pour ma part, que les réformistes au sein du régime et les forces sociales en quête de changement prennent très vite langue ; et qu’ensemble, ils créent une convergence autour de cinq à dix réformes fondamentales pour l’économie camerounaise, susceptibles de sortir ce pays de l’ornière, et de le relancer dans la quête de son avenir.
Vous êtes un fervent admirateur de Ruben Um Nyobé et de Jean Marc Ela, deux grandes figures camerounaises de lutte contre les oppressions. Leur exemple vous paraît-il suivi, aujourd’hui, au Cameroun ?
Il n’y aura pas de messie au Cameroun. Seuls les peuples peuvent prendre leur destin en main. L’important, désormais, est qu’ils se mettent debout autour d’une alternative crédible. Je parle d’une idée, d’un concept, et non d’un ou des individus…
Achille Mbembé est un historien et philosophe