Qui raconte l’Afrique ?

Comment raconter l’Afrique selon le point de vue des Africains si la plupart des médias qui traitent du continent appartiennent à des étrangers ? Les Africains doivent se réapproprier leur propre récit.
Par Kwame
Depuis 2014, est publié chaque année le Guide de l’Union africaine qui contient des informations sur l’Union africaine, ses organes et ses coordonnées. La nouvelle édition est lancée au mois de janvier à Addis-Abeba où se situe le siège social de l’organisation.
Cela semblait une excellente initiative, jusqu’à ce que l’on apprenne que ce guide, qui concerne la plus grande organisation politique et sociale d’Afrique, représentant 55 pays et plus d’un milliard de personnes, est publié par un pays cent fois plus petit que l’Afrique : la Nouvelle-Zélande !
Dans le domaine de la politique et de la culture, les symboles et les perceptions ont un grand poids. Le fait que cette organisation africaine ne puisse publier elle-même ce guide ou trouver un partenaire africain, sans avoir recours à un pays éloigné, révèle que les Africains peinent à raconter eux-mêmes leur histoire.
Les Africains doivent travailler ensemble et formuler une politique sur les programmes scolaires à l’échelle du continent, que les ministères de l’Éducation et de la Culture pourront adapter aux spécificités locales.
Or, il ne s’agit pas là d’un cas isolé. Une étude rapide des diverses Communautés économiques de l’Afrique montre que les publications de ces organisations sont produites à l’aide de fonds ou de talents issus de pays non-africains.
Le Musée des civilisations noires inauguré au Sénégal, en 2018, a été bâti par les Chinois et rappelle l’architecture chinoise. D’après les photos qu’on a pu voir, la cérémonie d’inauguration privilégiait la vision chinoise des civilisations africaines.
Je n’irai jamais visiter un site touristique aussi insultant pour l’Afrique ! Allez voir les livres scolaires que lisent les enfants africains et vous constaterez que 90 % de ces manuels ont été écrits par des auteurs français ou britanniques, selon le pays colonisateur.
Guerre mondiale de l’information
Chaque jour, dans les 55 pays du continent, 200 millions d’Africains écoutent la radio ou regardent les programmes télévisés de la BBC. Les autres chaînes les plus écoutées ou regardées sont France 24 et CNN.
Il n’existe qu’une ou deux chaînes d’informations quotidiennes à l’échelle du continent sur le Web. En termes d’analyse – essentielle compte tenu de la prolifération de sites Web de mauvaise qualité qui transmettent des Fake news et des rumeurs, seuls deux éditeurs panafricains se démarquent : IC Publications (qui publie notamment New African) et Jeune Afrique.
En dehors de ces publications, la voix de l’Afrique est inaudible. Les grands médias internationaux ont créé des programmes spéciaux qui nous ont fait oublier que nous avions besoin de notre propre voix.
En 2010, je me suis rendu dans 21 pays d’Afrique pour étudier les effets de cette présence coloniale envahissante dans les écoles africaines. J’ai trouvé désolant que, sur les 3 000 entretiens que j’ai réalisés, 70 % des jeunes âgés de 14 à 24 ans disaient vouloir avant tout émigrer à Paris, Londres ou aux États-Unis.
Vous avez vu et continuerez de voir des centaines de jeunes Africains prêts à périr dans les eaux de la Méditerranée pour se rendre en Europe. Ce sont les jeunes que j’ai rencontrés. Pardonnez-leur car, en Afrique à l’école, ils ont été « formés » par des auteurs européens.
Les Africains doivent travailler ensemble et formuler une politique des programmes scolaires à l’échelle du continent, que les ministères de l’Éducation et de la Culture pourront adapter aux spécificités locales.
Mais cette démarche doit être précédée d’une réécriture de l’Acte constitutif de l’Union africaine, qui accordera davantage de pouvoirs et d’autonomie à la Commission de l’Union africaine afin qu’elle puisse appliquer les politiques au niveau du continent. C’est urgent !