De la forte résilience de l’Afrique

Que risque l’Afrique dans l’hypothèse d’un nouveau séisme financier mondial que nous prédisent les Cassandre ? Bien sûr, elle ne serait pas épargnée, durant quelques mois, mais son faible endettement et ses ressources propres lui permettraient de rebondir.
Par Christian d’Alayer
Le microcosme financier bruisse à nouveau du vent apocalyptique de la crise « systémique », affectant le coeur du moteur financier mondial. Ce, alors que la légère remontée des taux d’intérêt, de fin 2017 à fin 2018, a pourtant eu les effets prévus : 11 500 milliards de dollars, tout de même, de la sur-financiarisation mondiale sont partis en fumée dans les principales Bourses de valeurs de notre planète en 2018, plus 6 000 milliards de capitalisation au cours des premiers mois de 2019, selon les calculs de Bloomberg.
Les Bourses africaines ont été particulièrement affectées du fait de la panique de leurs « investisseurs » et devant, en fait, une politique concertée entre les grandes banques mondiales et les principales Banques centrales : quand les taux d’intérêt remontent, les actions deviennent moins intéressantes, car plus risquées aussi, que les obligations.
La reprise de la croissance pourrait se faire sentir dès l’année suivant une crise et s’accélérer par la suite. Car, désormais, les entreprises africaines travaillant pour leur marché intérieur ont plus de poids que celles qui travaillent pour ravitailler les étrangers.
Comme le phénomène a été particulièrement bien contrôlé, les banques étant en fait maîtresses des fonds communs de placements en obligations (les assurances vie, la plupart du temps), ces fonds n’ont pas vraiment monté, donc pas attaqué directement les actions, tandis que seules les entreprises high-tech subissaient le poids de cette politique volontariste et maîtrisée. Qui a cessé au début de cette nouvelle année, la FED, la Banque centrale américaine, décidant de rabaisser ses taux d’intérêt devant le risque de ralentissement de l’activité économique mondiale.
Voici résumé un phénomène en fait plus complexe, car la majorité des retraités américains parie sur les actions tandis que la majorité des retraités européens parie sur les obligations : le maniement des taux d’intérêt dans ce contexte n’est pas des plus aisés !
S’ajoute à ce premier bémol le fait que l’économie mondiale se « démondialise » sous les doubles coups d’une Amérique de Trump qui revient à une politique protectionniste et étatiste, et d’une Chine qui s’intéresse aujourd’hui davantage à son marché intérieur qu’à ses exportations, la Chine étant devenue plus importante pour l’économie mondiale que les États-Unis. Dont, fatalement, la monnaie est attaquée…
Quid d’un effet domino sur les banques ?
Devant cette complexité et face à l’endettement privé et public fabuleux des pays développés, un nombre croissant d’experts, dont ceux du FMI, commencent à paniquer. Que se passerait-il si de grandes banques occidentales venaient à faire faillite ? Elles sont, bien entendu, fragilisées par les taux d’intérêt bas, ne pouvant pas vraiment gagner d’argent en en prêtant. Toutes se sont lancées dans la spéculation mais on vient de voir que, là aussi, les gains n’ont pas été au rendez-vous l’an dernier. Or, les États occidentaux ne peuvent plus venir à leur secours, leur endettement ne le permet plus.
En Europe, la Banque centrale de la Zone euro a, certes, débloqué à plusieurs reprises des sommes importantes à taux zéro pour les banques. Tandis que les banques américaines ont accepté des dépôts que leurs réglementations leur interdisaient, tout en gagnant tout de même plus que leurs homologues européennes sur le coeur de leur métier, le prêt bancaire, du fait de l’importance de leurs marchés. Mais les experts doutent que ces politiques puissent tenir le coup si, en sus, s’ajoute une panique.
Admettons donc, pour la démonstration, que, demain, des grandes banques italiennes coulent, entraînant dans leur chute des banques françaises et allemandes qui détiennent un peu trop d’effets italiens. Le sauvetage tarde et la panique s’installe. Face aux demandes de vente d’un trop grand nombre d’assurances vie en Italie, en France et en Allemagne, les États utilisent les armes qu’ils ont fait voter et bloquent ces capitaux.
Nous avons un exemple de ce qui peut alors se passer, c’est celui de Chypre en 2012-2013, la population descendant dans la rue pour empêcher le vol de ses économies par le gouvernement chypriote. Qui sauta immédiatement, une politique alternative étant alors mise en place par… la Russie ! On peut parier que la Chine ne manquerait pas une telle opportunité si cela se passait dans trois des principaux pays européens, soit la possibilité de contrôler – et le mot est faible – les économies de clients si puissants !
L’Afrique en difficulté, mais pas plus
Ceci est valable pour l’Union européenne. Mais quid de l’Afrique dans ce cas d’une nouvelle crise mondiale ? Les pays africains sont peu endettés aujourd’hui (voir tableau 1). Mais leurs devises viennent de l’exportation ultra-majoritaire de matières premières non transformées, pétrole en tête.
Si l’Occident rentre à nouveau en crise, nous avons là aussi l’exemple de 2008 pour en prévoir les conséquences : entre 2000 et 2008, les prix des matières premières furent multipliés par 7,5. Après la crise dite des « Subprimes », elles ne furent plus multipliées que par 4,5 sur la même base de l’an 2000 : 300 % en moins. Les prix ont certes un peu remonté depuis, mais il est probable qu’une nouvelle baisse de la consommation occidentale ferait perdre beaucoup d’argent aux Africains : leurs États seraient encore plus en difficulté financière qu’aujourd’hui…
Cela étant, on sait que la croissance africaine est déconnectée totalement de sa gestion gouvernementale. Les États africains ont été tués dans l’oeuf dès leur naissance par le FMI, la Banque mondiale et les deux Clubs de créanciers (Paris pour les prêts publics, Londres pour les prêts privés). Sans doute la baisse des recettes d’exportation entraînera-t-elle une ou deux années de récession dans la plupart des pays producteurs de matières premières. Mais au-delà, la croissance africaine étant fondée sur le développement du marché intérieur, elle reprendra son envol.
Une fin de crise plus rapide qu’en Occident
D’autant que la demande des pays développés ne devrait que faiblir, pas s’effondrer, tandis que celle des pays émergents ne devrait connaître qu’un freinage de sa croissance. On ne devrait donc pas assister à un effondrement des prix des matières premières sur le long terme, sans doute une crise d’un ou deux ans.
Certes, le pétrole est aujourd’hui attaqué par la recherche européenne d’autres sources énergétiques et, la crise aidant, les pays pétroliers souffriront peut-être plus que les autres. Le Nigeria, l’Algérie, l’Angola, pour ne citer que les principaux – la Libye étant un cas à part. Mais l’Éthiopie se développe selon un autre schéma, de même que l’Afrique du Sud : la première s’industrialise et la seconde exporte en Afrique, pour résumer grossièrement.
Mettons qu’un an après le déclenchement d’une nouvelle crise financière occidentale, l’Afrique connaisse une petite récession globale une fois les pays pétroliers évacués des statistiques. Mais la reprise de la croissance pourrait se faire sentir dès l’année suivante et s’accélérer par la suite. Car, désormais, les entreprises africaines travaillant pour leur marché intérieur ont plus de poids que celles qui travaillent pour ravitailler les étrangers. Et ces entreprises à objectif interne achèteront leurs intrants à des prix moins élevés.
En définitive, l’Afrique, comme après 2008, devrait rebondir assez vite d’une nouvelle crise financière mondiale. Laquelle devrait plutôt sonner le glas de l’ex-puissance européenne qui, tant vis-à-vis du nouveau protectionnisme américain que vis-à-vis de son exposition en matière de dette publique, apparaît comme le maillon le plus faible de l’Occident. Et on comprend pourquoi les grandes banques et les Banques centrales surveillent cette cuisine économique de très, très près.
ENCADRE
Un continent peu endetté
On voit, dans le tableau 1, que les dettes publiques africaines ne sont plus du tout problématiques. Sauf, peut-être, en matière d’investissements publics. Par exemple, si la RD Congo n’a pratiquement pas de dette, c’est parce qu’elle ne trouve pas de créancier.
D’autre pays comme l’Algérie ou le Nigeria n’ont pas eu besoin de recourir à l’emprunt pour faire face à leurs dépenses. Lesquelles sont nécessaires, notamment pour les infrastructures. En fait, le niveau d’endettement des pays africains paraît même insuffisant quand on sait que la dépense publique contribue substantiellement à leur essor économique.
On ne dispose pas de statistiques globales en matière de dettes privées, mais on sait que ces dernières sont encore plus faibles en Afrique que les dettes publiques : la bancarisation est encore d’une faiblesse insigne sur le continent qui compte essentiellement sur l’autofinancement pour se développer.
Le fameux « bas de laine » des Européens du xixe siècle ! Là encore, le niveau est insuffisant, l’endettement privé jouant un rôle encore plus grand en économie que les dépenses publiques. Songeons notamment à l’immobilier qui, en Afrique, ne croît qu’en fonction des rentrées financières des acheteurs : la construction serait bien plus vigoureuse avec des crédits à long terme comme en Occident.
ENCADRE
Les chiffres qui font peur
C’est le FMI qui, le premier, a sonné l’alarme : l’endettement global mondial a dépassé les 180 000 milliards de dollars fin 2017, soit 225 % du PIB mondial. Depuis, les dettes se sont encore envolées, les derniers chiffres faisant étant d’un encours de 247 000 milliards $, soit 318 % du PIB mondial ! Plus d’un tiers de hausse en un peu plus d’un an ! Et ce sont les pays développés qui hébergent le gros de ces dettes pharaoniques.
On sait qu’en Occident, les salaires ont subi un énorme coup de rabot depuis une trentaine d’années. Et afin de maintenir tout de même une demande importante, les crédits aux particuliers se sont envolés.
Aujourd’hui, les emprunts immobiliers courent sur vingt ans et plus tandis que la majorité des véhicules automobiles est distribuée en leasing, y compris les véhicules d’occasion. Quant à l’épargne des ménages, jadis au coeur de la croissance occidentale via le recyclage bancaire, elle s’est évanouie pour ne représenter qu’autour de 10 % à 14 % du PIB contre, par exemple, plus de 30 % en Chine et près de 25 % en Afrique.
C’est un peu la fuite en avant : car si le crédit est resserré avec des taux plus élevés, la demande chute et la croissance avec. Tandis que relâcher la pression sur les salaires dans une économie ouverte entraînerait ipso facto une détérioration des balances commerciales. Ne restent donc que le protectionnisme, politique adoptée avec l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche ainsi qu’une meilleure répartition des richesses, politique difficilement acceptable par les élites occidentales, toutes d’inspirations libérales, aujourd’hui.