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Portraits

Roland Portella, président de la CADE

  • Publiénovembre 30, 2017

Le président de la Coordination pour l’Afrique de demain, Roland Portella, revient sur la nécessité de développer, en Afrique de l’Ouest et du Nord, des écosystèmes et leurs filières, afin de pérenniser la croissance.

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

De quelle manière l’approche en termes d’écosystèmes et de filières peut-elle accompagner la croissance des économies africaines ?

Tous les acteurs économiques rencontrent des difficultés dans la valorisa­tion de leurs activités et de leurs produits. Pour monter en gamme, il leur faut travailler en réseau. Cela permettrait d’élargir la visibilité à moyen et long termes. L’intelli­gence économique et la stratégie d’influence constructive pour mieux produire et conquérir de nouveaux marchés restent défaillantes sur le continent. Les données sont régulièrement asymétriques et peu fiables. Cette situation bloque l’entrepreneur dont le seul talent ne suffit pas à pérenniser les activités.

Nous devons développer des intel­ligences collectives reposant sur des formes réinventées comme de nouveaux écosystèmes ou de nouvelles Chambres de commerce et d’industrie. Des voies émergent, sous l’impulsion des fédérations de patronats, comme en Côte d’Ivoire. Les acteurs doivent s’organiser et se structurer en filière. Nous devons entrer dans une segmentation pour établir une cartographie précise qui permettra à chaque acteur de se positionner avec clarté.

Comment le développement des écosystèmes peut-il participer à une rationalisation de l’action dans une logique d’ensemble ?

Nous ignorons, à ce jour, quels seront les secteurs porteurs des dix prochaines années. Par exemple, nous nous sommes récemment penchés sur les besoins des États-Unis en noix de cajou à horizon dix ans car nous n’avions aucune visibilité, alors que de nouvelles demandes apparaissent. Les noix de cajou arrivent dans le secteur des biotechnologies, de la santé et de l’énergie ! Il faut donc créer des formes de « business plan filière » pour accompagner les entrepreneurs qui cherchent des industriels-acheteurs et pour créer de nouveaux services autour de la production de noix de cajou. Nous cherchons à optimiser leurs conditions de conservation et de traçabilité, en travail­lant sur la création de centres de stockage modernes. On estime la déperdition relative aux mauvaises conditions de stockage à 25 % dans la noix de cajou et à 30 %, voire 40 % dans les autres productions agricoles. La structuration d’une sous-filière de conser­vation et de stockage avec des équipements modernes de sécurité et de traçabilité apparaît désormais comme une priorité.

L’Afrique doit-elle développer ce modèle pour asseoir une cohérence de ses projets ?

Oui, cela se passe déjà dans plusieurs pays d’Afrique anglophones. En revanche, à l’ouest du continent notamment, nous avons constaté l’échec relatif de la construction de zones industrielles qui n’ont pas permis la création de filières de production. Chaque entreprise continue à produire de son côté et les dimensions liées à l’innovation et à la RSE (Responsabilité sociale et environne­mentale) ont largement été ignorées. Pour consolider la production, il faut donc créer des pôles de R&D intégrés dans ces écosys­tèmes de production et cimenter les liens structurels entre chercheurs, scientifiques, inventeurs et industriels, car les PME seules ne disposent pas de moyens suffisants pour le faire.

Les pratiques courantes reposent sur le découpage d’approches multisectorielles, le développement des écosystèmes peut-il perturber les principes établis ?

Effectivement, une entreprise qui possède un monopole ou une « rente de situation » ne cherche pas à ce que la concurrence monte en gamme. Elle peut donc bloquer le processus. Cependant, elle s’apercevra, tôt ou tard, de son erreur car la puissance n’est pas éternelle, d’où la nécessité de travailler de concert pour faire évoluer la filière dans son ensemble. Nous avons tous besoin d’énergies nouvelles pour évoluer. De plus en plus d’industriels intègrent désormais l’essor des écosystèmes dans leur stratégie de développement, en incorporant les savoirs des acteurs de filières, jetant ainsi les bases d’une « économie du savoir ».

Quels sont les exemples qui fonctionnent déjà sur le continent ?

Les TIC fonctionnent plutôt bien. Le Fonds d’innovation créé récemment au Rwanda et doté de 100 millions de dollars, devrait permettre de développer un écosystème technologique national et sous-régional. Ces fonds serviront de levier pour attirer des montants encore plus importants, issus du private equity, à moyen terme. Je vous citerai également la « Silicon Savannah » kényane. De son côté, l’Est de l’Afrique raisonne déjà en termes d’écosys­tèmes, que ce soit au Rwanda, en Tanzanie, au Kenya et même en Ouganda. Au Nord, le Maroc a parfaitement intégré cette dimen­sion. Les pouvoirs publics ont remodelé leur politique industrielle, non pas pour faire du Maroc un maillon de certaines chaînes globales de valeurs, mais pour se déployer au niveau régional. Toutefois, la valorisation du numérique doit se faire pour l’homme. Nous n’avons pas besoin de numérique gadget. Selon une étude que j’ai menée au Sénégal, voici quatre ans, trois entreprises sur dix sont pérennes, à la sortie des incubateurs. Il faut donc augmenter leur proportion en nous appuyant sur des données plus précises. Le développement des ETI (entreprises de taille intermédiaire) demeure un enjeu central pour le développement des économies en Afrique.

De quelles façons les pouvoirs publics accompagnent-ils cette approche ?

Chaque pays possède ses particularismes. Je citerai l’exemple de la Côte d’Ivoire et du Cameroun, où j’ai travaillé sur le projet de centres privés de dialyse qui font cruelle­ment défaut, et qui sont souvent hors de prix pour les populations. Ces centres étaient énergétiquement autonomes en eau et en électricité. Nous avons été confrontés aux discussions sur une partie de la prise en charge des frais de dialyses et d’hospitalisa­tion par les pouvoirs publics. Finalement, les investisseurs constatant la frilosité de l’État, ont abandonné le projet. Ce n’est, bien sûr, qu’un exemple parmi d’autres. Cependant, l’État doit jouer son rôle.

Pourtant, il subsiste en Afrique un problème de leadership économique…

Effectivement. Je prendrais l’exemple de la jeunesse qui doit faire l’objet de programmes de préparation au « dividende démographique ». Comment pouvons-nous en tirer tous les bénéfices ? Il nous faut créer davantage de centres de compétences de qualité et renouveler le catalogue des forma­tions. Nous avons besoin d’un leadership économique qui puisse dialoguer de manière continuelle et structurée avec les pouvoirs publics et qui soit un relais international pour défendre les intérêts du continent dans le monde. Il faut, enfin, agir par nous-mêmes sans attendre les secours extérieurs, tout en coopérant et en co-investissant avec des partenaires internationaux. Nous possédons des savoirs endogènes que l’on doit vulga­riser et capitaliser. L’Afrique doit optimiser ses connaissances et ses savoir-faire !

Comment avez-vous rejoint la Coordination pour l’Afrique de demain ?

Je travaille depuis quelques années comme consultant auprès de chefs d’entre­prise, dans la stratégie de développement de leurs activités. J’ai rejoint la CADE grâce à Michel Levallois (Institut de recherche pour le développement) et à Henri Senghor, ambassadeur plénipotentiaire du Sénégal. Nous présentons des diagnostics réguliers sur l’entrepreneuriat de la croissance en Afrique et nous produisons des documents d’aide à la décision que nous cherchons à concrétiser sur le terrain. Ce Do-Tank existe depuis une vingtaine d’années et a vu la situation évoluer sur le continent : l’afro-pessimisme a laissé place à tous les espoirs.

Quels sont les événements qui ont marqué le débat économique en Afrique cette année ?

Le Maroc s’est distingué à plusieurs niveaux : premièrement, l’annonce de la réintégration dans l’Union africaine, et ensuite l’intégration prochaine dans la Cedeao. Parallèlement, l’amorce d’un débat « démocratique » sur le franc CFA, me semble particulièrement intéressante. La CADE n’a pas encore défini de position claire sur le sujet mais, à titre personnel, je considère que la « démocratisation » du débat sur la monnaie est porteuse, car on ne peut pas parler de New Deal en Afrique sans un consensus des politiques économiques et monétaires. La question est trop longtemps restée un tabou. Telle est, d’ailleurs, l’une des fonctions de la CADE, d’ouvrir les débats, notamment sur la question du franc CFA.

Écrit par
ade

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