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Portraits

Nayé Bathily (Banque mondiale) : une femme d’influence

  • Publiédécembre 1, 2017

Responsable des relations avec les parlementaires du monde au sein de la Banque mondiale, Nayé Bathily milite aussi activement pour la condition féminine. Elle revient sur son rôle de terrain en Afrique.

Par Guillaume Weill-Raynal

J’ai  débarqué aux États-Unis, sans parler un mot d’anglais, sans connaître personne ». Aujourd’hui, Nayé Bathily compte parmi les cent personnalités africaines les plus importantes (classement NewAfrican 2017). « Je suis une Africaine qui vit en Europe, qui a étudié en Amérique, qui voyage en Asie, qui voyage partout… J’ai été au Brésil récemment. » Naissance à Birmin­gham (Royaume-uni), enfance à Dakar « dans une famille très militante et engagée » ; son père, le professeur d’université Abdou­laye Bathily, est alors dirigeant d’un parti clandestin de l’opposition sénégalaise, qui ne sera autorisé que dans les années 1980, après l’accession au pouvoir d’Abou Diouf. « Tous les militants de gauche africains déjeunaient, dînaient, dormaient chez nous, raconte-t-elle. La maison était portes ouvertes. »

Très jeune, elle a côtoyé des personnali­tés politiques de premier plan, de futurs chefs d’État, qu’elle considérait comme ses « aînés » et dont les discussions passionnées ont laissé des traces. « J’étais la petite oreille qui entendait tout ça. On ne s’en rend pas compte, mais en évoluant, on s’aperçoit que ça nous marque. Nos choix de vie, nos engagements éthiques. » Le bac en poche, elle décide de partir étudier aux États-Unis contrairement à tous ses amis qui regardent plutôt du côté de la France. Devenir bilingue lui apparaît comme une nécessité impérieuse. Études de finances et de relations internatio­nales à l’université du Maryland, stage, puis première embauche comme consultante à la Banque mondiale. « J’ai toujours voulu travail­ler dans le développement, explique-t-elle, parce que quand on vient d’un pays en développement, on a une responsabilité qui est de contribuer en retour. Et la Banque mondiale, il n’y avait pas pour moi de meilleur espace pour contribuer au développement de l’Afrique».

La préférence au secteur public

Une première expérience qui coïncide avec une évolution notable de l’institution, loin de l’image révolue d’un bailleur de fonds imposant ses volontés aux pays en difficulté. « La banque a beaucoup changé. Ce sont les gouvernements qui décident de ce qu’ils veulent et nous, nous accompagnons. » Une « évolution culturelle » qui épouse le parcours de Nayé Bathily, car elle repart aux États-Unis en 2008, pour compléter sa formation, à Harvard, au sein de la Kennedy School of Government, l’équivalent de l’ENA française, et y préparer un Master of Public Administration. Son cursus initial aurait pu la destiner à une carrière bancaire exclusivement dédiée au secteur privé. Mais sa vocation, elle le sait, est de travailler pour le secteur public. Parmi ses camarades d’études, de futurs acteurs de la transformation du continent africain ou d’autres contrées, qui sont devenus gouverneur de Kaduna au Nigeria ou ministre du gouverne­ment de la Jamaïque. « Pendant un an et demi, nuit et jour, matin et soir, nous n’avions que des discussions pour savoir comment changer le monde. C’est vraiment là que je me suis forgé cette volonté. Oui, un événement fondamental dans la suite de ma vie, dans tous les choix que j’ai faits. »

Un échange fondamental avec les parlements

Depuis trois ans, Nayé Bathily dirige à Paris le département de la Banque mondiale chargé des relations avec les parlements des pays du monde entier qui sollicitent une aide financière. Un rôle méconnu, mais essentiel – ce département a été créé il y a une quinzaine d’années – qui a vu son rôle gagner en impor­tance au fur et à mesure de l’évolution de l’ins­titution vers un meilleur dialogue et un meil­leur accompagnement de ses interlocuteurs. Car la Banque a pris conscience que l’aide ne passait plus désormais par les seuls gouverne­ments. Dans de nombreux pays, les prêts et les opérations de financement conclus avec les institutions internationales doivent être ratifiés par les parlements. « Si nous ne discutons pas avec les parlements, les prêts peuvent être bloqués pendant des mois. Nous avons besoin de les enga­ger, qu’ils comprennent pourquoi le montage est pertinent. Et ils nous donnent leur retour, ils nous disent ce qui est important pour eux. Cet échange est fondamental pour la définition des programmes de développement. » Un travail qui suppose en amont de nombreux sémi­naires, programmes de formation, réunions, et surtout de visites de terrain organisées pour les décideurs des pays donateurs.

Car les finan­cements de la Banque mondiale proviennent des pays riches et sont, là encore, votés par les parlements de ces pays. « J’invite des délégations de parlementaires européens, américains, pour leur montrer ce qu’on fait sur le terrain. » Pour les convaincre que l’aide à l’Afrique n’est pas au détriment de la lutte contre la pauvreté en Europe. « On ne peut même pas parler d’aide, mais de partenariat ! Dans un monde intercon­necté, aider l’Afrique, c’est s’aider soi-même. » Et la visite de terrain vaut tous les discours. « Ce qui permet d’agir, c’est ce qu’on voit. Les gens n’agissent et ne vont vers une transformation que quand ils voient les choses».

L’Afrique bouge !

Sa fibre militante la fait agir plus loin que les seuls horizons de la Banque mondiale. Elle a participé à la création d’un forum dédié aux femmes africaines où chacune est invitée à s’exprimer – « parce que je pense que chacune d’entre nous a le devoir de transmettre et d’ins­pirer, ou même, plus simplement et modeste­ment, d’accompagner [ainsi qu’un réseau de professionnels de la diaspora], parce que j’es­time que nous avons eu la chance d’accéder à un certain savoir et que nous avons en conséquence un devoir de partage et de redistribution ».

Elle croit profondément à l’avenir et au développement de l’Afrique, malgré les obstacles et les défis qui restent à relever. « On a raison d’être impatient, mais on ne voit pas assez qu’il se passe des choses très positives en Afrique. On ne voit pas ce qui se passe à Lagos alors que c’est extraordinaire ! Ça bouge dans tous les sens : l’industrie culturelle, l’industrie financière… Et au Sénégal, au Kenya, l’entre­preneuriat c’est pareil ! Il y a une Afrique à deux vitesses, mais aussi une Afrique jeune qui bouge et qui bouge bien. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de défis. Ils sont énormes, mais une très belle Afrique est en train d’émerger».

Écrit par
African Business french

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