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Portraits

Lionel Zinsou, président d’AfricaFrance s’exprime

Lionel Zinsou, président d’AfricaFrance s’exprime
  • Publiénovembre 29, 2017

Lionel Zinsou est un homme aux talents multiples. Et aux plusieurs vies en une. Il entre dans un autre cycle : au-delà de sa présidence d’AfricaFrance, il monte une société de conseils aux dirigeants africains et crée une plateforme d’investissements en Afrique.

Entretien avec Hichem Ben Yaïche

Comment avez-vous pris le temps pour conceptualiser l’expérience politique que vous avez vécue ?

Ça prend une vie… de réfléchir à son expérience politique. J’en ai tiré l’idée qu’on pouvait faire bouger les lignes en matière de développement, y compris sur des sujets d’infrastructure, d’agriculture, mais surtout sur des sujets de réduction de la pauvreté. Le fait de passer aux affaires publiques rend très concrets tous les problèmes. Vous êtes complètement différent – même si vous n’y avez passé qu’un an – par rapport à une position de consultant économique, ou de banquier d’affaires, ou de professeur d’économie. Le fait d’être en charge, de mesurer le poids des responsabilités, oblige à chercher des solutions, surtout en période de campagne électorale.

Vous allez au coeur des solutions, mais vous savez aussi quelles sont les limites de l’action publique ; c’est pourquoi, aujourd’hui, je me concentre davantage à ma nouvelle société financière, Southbridge. Je pars du constat, par exemple, que le Bénin, n’a pas la capacité d’absorber l’aide, pourtant forte, même quand elle prend la forme de dons. Le pays n’a pas de capacité de mise en oeuvre rapide.

C’est un problème majeur très peu abordé mais qui est général à l’Afrique…

Nous avons effectivement un problème de management public, surtout en Afrique subsaharienne. Quelques pays y échappent, qui font mieux que d’autres. Ainsi du Rwanda en matière de développement et d’innovations, du Maroc en matière d’industrialisation, etc. Nous avons de nombreux exemples d’autres pays, comme l’Éthiopie, la Namibie qui ont des résul­tats régulièrement élevés. Et nous savons pourquoi la Côte d’Ivoire, le Ghana, attirent des investissements.

Si certains managements progressent, il est vrai que nous avons des problèmes d’exé­cution, de delivery, comme disent les Anglo- Saxons : comment rendre effectifs des résul­tats ? Car si nous avons plusieurs exemples de solutions pour la réduction de la pauvreté, pour l’électrification, pour la producti­vité agricole, qui peuvent être adaptées de l’Afrique centrale à l’Afrique occidentale, de l’Afrique du Nord à l’Afrique de l’Est, celles-ci demeurent le plus souvent au stade des idées et non sous la forme de réelles capacités à délivrer des solutions. Je me concentre à présent, beaucoup plus qu’avant, sur la question d’aider les gouvernements et les entreprises à accélérer et à être capables d’exécuter leurs politiques publiques et leurs politiques d’investissements.

Comment sortir d’un certain storytelling sur l’Afrique ? On constate comme un narratif déconnecté de la réalité. Certes, les choses avancent, mais comment en sortir pour aller vers cette Afrique qui rencontre de sérieux problèmes ?

Tous les pays ont des problèmes, y compris les économies avancées. Des problèmes de croissance, de démographie, de réduction de la pauvreté dans les pays riches… L’Afrique a réalisé des progrès très importants, mais elle reste avec un potentiel très inexploité. Et elle reste avec des inéga­lités très fortes, entre les pays et à l’intérieur de chaque pays. Ce que vous nommez le « narratif » doit être réaliste. En premier lieu, il n’y a aucune raison de douter de la crois­sance que nous avons connue depuis plus de vingt ans. Elle est patente, visible partout, recoupée dans tous les chiffres. Mais, d’un autre côté, il ne faut pas se leurrer : nous avons chaque année un peu plus de pauvres et d’exclus du fait de la dynamique démographique. Nous ne devons pas perdre de vue ces deux aspects. Les progrès sont indubitables, mais il faut qu’ils s’accélèrent car les situations auxquelles nous faisons face demeurent insupportables.

Le discours n’est pas déconnecté de la réalité. Les deux discours sont vrais : il y a des inégalités et de la misère en Afrique, des problèmes très sérieux d’éducation et de santé. Notamment, tout le volet social est très préoccupant. Mais le discours de la croissance, du développement des classes moyennes, des progrès spectaculaires – que personne n’a jamais faits aussi vite – en matière d’espérance de vie est également une réalité. Il faut être capable de penser les deux situations en même temps et de définir des politiques spéci­fiques dans le domaine social qui s’exécutent beaucoup mieux aujourd’hui. C’est une réflexion que tiennent aujourd’hui tous les dirigeants. Les choses vont bouger, mais il faut produire les concepts, les idées, les solutions, et ensuite les mettre en oeuvre.

Il faut certes être dans un juste milieu, mais quand on voit le degré des inégalités en Afrique, la qualité non inclusive de la croissance, la situation demeure explosive en dépit de la croissance, notamment sur le plan démographique…

Je ne tiens pas le discours de la bouteille à moitié vide. Il y a une croissance considérable. Sur le plan qualitatif, ses impacts les plus importants consistent dans la hausse de l’espé­rance de vie ainsi que dans le développement d’une économie innovante : beaucoup de start-up, une grande vitalité, des entreprises africaines qui n’existaient pas il y a trente ans et qui sont devenues de grandes multinatio­nales, telles que MTN, le groupe Dangote, etc. Des milliers sont ainsi sorties de terre.

Il n’y a pas de continent qui, comme l’Afrique aujourd’hui, gagne autant en espérance de vie, ce qui fait échec à tous les discours selon lesquels « tout se dégrade » : les enfants meurent moins, les femmes meurent moins en couche, les gens sont mieux soignés, la durée de vie est beaucoup plus longue qu’auparavant, etc. Ce sont des choses tout à fait réelles. Mais nous avons un système qui laisse encore au moins le tiers de la population au bord du chemin. Un peu plus de ce tiers vit au-dessous du seuil de pauvreté. Et à l’intérieur de ce groupe, 10 % sont tellement exclus qu’ils resteront, même à la génération suivante, bloqués par une trappe de pauvreté. La croissance doit maintenant s’atteler presque uniquement à faire régresser ce chiffre. Certains pays y sont parvenus : la Chine, une bonne partie de l’Asie – l’Inde, pas encore – sont parvenus non seulement à créer des classes moyennes, des entrepreneurs, à avoir des résultats d’alphabétisation, d’éducation et d’espé­rance de vie, mais surtout à faire régresser le nombre des exclus. Aujourd’hui, les politiques africaines devraient être essentiel­lement tournées vers la réduction de l’exclu­sion. Les solutions pour y parvenir existent.

Écrit par
African Business french

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