Capitaux: diminuer les risques
Directeur de la mission chargée de piloter le Très haut débit en France, Antoine Darodes fait part de son expérience et des possibilités de la faire partager à l’Afrique. Le modèle français peut inspirer les pays africains, à condition d’en maîtriser les risques.
Le plan de déploiement du Très haut débit (THD) sur l’ensemble de la France pourrait-il inspirer des initiatives similaires en Afrique ?
Cette question revêt plusieurs aspects. Le premier est technique. En matière d’innovation, on n’arrive pas tout de suite à la bonne solution. Il faut passer par des phases d’essuyage de plâtre ! En France, au cours des 10 ou 15 dernières années, on a fait des erreurs. Nous nous en servons aujourd’hui pour rectifier le tir et être plus solide. Bien sûr, nous pouvons aussi faire profiter les autres pays des leçons de nos erreurs et de nos hésitations.
Quelles « erreurs » ?
Je pense surtout à la concurrence par les infrastructures. Certes, elle peut avoir un sens, mais cette politique trouve vite ses limites. L’erreur fondamentale tient dans la duplication des infrastructures qui ne sert pas forcément la concurrence.
Aujourd’hui, on commence à mieux mesurer les dangers de la concurrence par les infrastructures, comme les dangers de n’avoir pas du tout de concurrence dans ce secteur. On trouve le bon équilibre. Est-ce que cet équilibre serait exactement adapté à chaque pays d’Afrique ? Peut-être pas, mais on pourrait s’en inspirer pour chaque pays.
Pour financer ses infrastructures, la France a réussi à mettre à contribution l’État, les collectivités locales, et les opérateurs privés. Ce système est-il transposable en Afrique ?
En matière de financement des infrastructures, nous avons constaté que la période de démarrage concentre généralement tous les risques, mais, à long terme, si les réseaux sont bien construits, l’investissement devient rentable.
Durant cette période de démarrage, il s’agit surtout de sécuriser l’investissement. L’Europe dispose de la Banque européenne d’investissement (BEI) qui, à travers notamment ce qu’on appelle des Projects Bank, parvient à réduire le risque des investisseurs dans les nouvelles infrastructures.
La Banque mondiale s’intéresse beaucoup à notre modèle parce qu’elle estime que certains modes de fonctionnement pourraient être transposés dans des pays africains. La Banque pourrait d’ailleurs jouer en Afrique et dans d’autres régions un rôle semblable à celui que joue actuellement la BEI en Europe pour diminuer les risques financiers liés aux investissements dans les réseaux d’infrastructures.
Cependant, les investisseurs devraient prendre, eux aussi, un minimum de risques. Le fait qu’ils exigent une rentabilité minimale et se montrent très soucieux de l’équilibre des projets est certes très contraignant, mais leur impose une certaine discipline qui s’avère saine pour la pérennité des projets.
Pourtant, en Afrique, les collectivités locales, les investisseurs privés, n’ont pas les moyens d’investir. Jugez-vous que des opérateurs européens peuvent s’intéresser à des projets d’infrastructures sur le continent ?
Les fonds d’investissement sont en quête de projets de long terme dans le domaine des infrastructures de télécommunications. Ces investisseurs potentiels (comme les fonds de pension…) drainent beaucoup de capitaux, mais veulent investir sur le long terme, c’est-à-dire dans une perspective de 20-25 ans. Or, en Europe, en matière d’infrastructures, beaucoup a déjà été fait et il y a de moins en moins de projets susceptibles d’attirer ces fonds. C’est pourquoi ils peuvent être intéressés par des projets à l’étranger. Ils ont cependant une condition : une prévisibilité et un minimum de sécurité juridique pour leur investissement. Peut-on envisager une assurance contre l’imprévisibilité ? Un tel mécanisme les inciterait à venir.
Tout est possible, à partir du moment où un pays a des réseaux bien construits ; j’insiste sur ce point parce que l’on rencontre de grands industriels étrangers qui promettent des réseaux pas chers, mais qui n’ont pas forcément la compétence requise… Quand on investit sur un réseau devant durer 25-30 ans, il faut être sûr que l’on est face à des gens qui savent faire pour ne pas avoir à essuyer des plâtres. Nos industriels français ont un certain avantage à ce niveau.
Une fois qu’on sait bien construire le réseau et qu’on a une visibilité sur la sécurité juridique de l’investissement (régulation, cadre gouvernemental…), soit parce qu’il y a une sécurité intrinsèque ou qu’un mécanisme d’assurance réduit le risque, les investisseurs de long terme n’ont aucune raison de ne pas s’intéresser à des projets d’infrastructures. Ils seraient d’autant plus rassurés, s’ils trouvaient sur place un écosystème qu’ils connaissent, c’est-à-dire des entreprises qui ont l’habitude de construire de bons réseaux, de grands bailleurs de fonds et un contexte de confiance.
L’expertise de France THD a-t-elle déjà été sollicitée par des pays africains ?
Notre mission est encore jeune, elle a moins de deux ans. Mais nous avons déjà été sollicités par la Banque mondiale, la Commission européenne et des pays comme le Burkina Faso et le Gabon, qui nous ont contactés pour voir comment notre expérience pourrait les aider à développer un modèle adapté à leur contexte national. Ils voudraient éviter de commettre les mêmes erreurs que les Français !