Besma Belbedjaoui, fondatrice de Plasticycle
En 2012, la jeune biologiste Besma Belbedjaoui fonde Plasticycle, qui transforme les bouteilles en plastique PET. Une initiative majeure dans un pays qui produit 16 millions de tonnes de déchets par an.
Alger, Samia Lokmane-Khelil
Cet été encore, des dizaines de clichés de bouteilles en plastique jetées sur des routes de vacances, des plages et des sites touristiques, ont inondé les réseaux sociaux algériens. Les militants écologistes de Kabylie accusent des automobilistes et des promeneurs inconscients d’être à l’origine de ces actes d’incivisme qui ont, pour certains, provoqué des incendies de forêt dans la région. « Si nous continuons à consommer autant d’emballages, l’Algérie va devenir une décharge à ciel ouvert », prévient Besma Belbedjaoui.
La jeune femme sait de quoi elle parle : biologiste de formation, elle a choisi de s’attaquer aux ordures sous lesquelles croule l’Algérie. « Le pays génère 16 millions de tonnes de déchets par an », rappelle celle qui a décidé, en 2012, de fonder une entreprise de recyclage de bouteilles en plastique de type PET, Plasticycle. Aucun de ses compatriotes, homme ou femme, n’avait pensé, avant elle, à investir dans ce secteur spécifique.
Au lancement de son projet, Besma Belbedjaoui n’avait que 27 ans. Quatre ans plus tôt, elle avait quitté les bancs de l’université des Sciences de technologie d’Alger, licence en Génie biomoléculaire en poche. L’idée d’investir dans l’industrie du recyclage trottait déjà dans son esprit depuis un certain temps. Pour élaborer son business plan avec précision, elle complète un nouveau cursus en marketing et en communication. Le résultat de ses recherches la conforte davantage dans son choix entrepreneurial. « Le marché du recyclage est énorme. Il représente des millions de tonnes de déchets et un faible pourcentage recyclé chaque année. »
Un créneau porteur mais méconnu
Restait à trouver les capitaux nécessaires pour fonder son entreprise. Comme tous les diplômés de sa génération, Besma Belbedjaoui a considéré qu’il lui serait facile d’obtenir une aide de l’État dans le cadre d’un des dispositifs de soutien aux jeunes entrepreneurs. Mais son dossier ne convainc pas les responsables de l’ANSEJ (Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes) qui le laissent dans un tiroir. « Il a fallu que je médiatise mon projet pour que je sois enfin écoutée et que ma demande soit acceptée », précise l’entrepreneure.
Dans ses interventions devant les médias, elle met en valeur les bienfaits écologiques et économiques de l’industrie du recyclage, un créneau très porteur. Selon les chiffres officiels de l’Agence nationale des déchets, il peut « générer des gains économiques 56 milliards de dinars par an », soient 423 millions d’euros, pour une croissance de 3 % par an.
Pour le moment, Besma Belbedjaoui n’a pas fait fortune. L’entreprise implantée dans sa ville natale de Constantine reste de petite taille. Elle emploie six techniciens à plein temps, déployés sur deux lignes de traitement, qui réalisent le broyage-lavage-séchage ainsi que la granulation des déchets en granulés PET, PP et PE-HD. Une fois transformés, les déchets recyclés sont vendus à des industriels.
Au quotidien, le fonctionnement de l’usine demande énergie et courage. Besma Belbedjaoui regrette l’absence de lois claires qui encadreraient le marché de la récupération. « En tant que recycleur, nous avons toujours revendiqué d’être payés pour notre service de traitement des déchets. Il faudrait une réglementation nationale du traitement du déchet qui encadre son transport, sa traçabilité et fixe un prix. Cela permettrait de soutenir et d’encourager
pays et malheureusement en grande difficulté. Beaucoup de micro-entreprises ont cessé leurs activités à cause du manque d’approvisionnement et de l’impossibilité à vendre les produits recyclés », confie la jeune femme.
Ses plus grands ennemis sont les barons du marché parallèle : « Je rencontre d’importantes difficultés à m’approvisionner en matière première parce que le marché informel a la mainmise sur 80 % des déchets plastique. » Pour ne pas tomber sous leur emprise, l’entrepreneure a choisi de s’approvisionner via les enchères organisées par les centres techniques d’enfouissement. Les stocks sont vendus aux plus offrants, pénalisant les petits entrepreneurs.
Enfin, la reconnaissance
Ces deux dernières années, la crise économique et financière du pays a affecté les activités de Plasticycle. Mais sa propriétaire s’accroche. Fière de son expérience, elle a découvert une niche ou d’autres jeunes entrepreneurs se sont engouffrés depuis. « Quand on a créé notre entreprise en 2012 et communiqué sur notre idée de recycler, traiter et valoriser les déchets, personne n’y croyait. Nous étions quasiment les seuls à faire la transformation. Après avoir importé nos machines et commencé l’exploitation, plusieurs personnes dans la région se sont lancées dans le créneau et ont commencé à fabriquer manuellement leurs propres machines de recyclage », se réjouit Besma Belbedjaoui.
La plus grande reconnaissance vient de l’ANSEJ. L’organisme, qui avait dédaigné son projet, vient de faire appel à elle afin de participer à la création d’entreprises de collecteurs, recycleurs et transformateurs de déchets. Le ministère de l’Environnement et des énergies renouvelables l’a également contactée afin de faire partie d’une campagne sur le tri sélectif. Son plaidoyer en faveur de la valorisation des déchets et la préservation du cadre de vie vise aussi les écoles. « Quand je fais des communications, les gens viennent souvent me dire : “Madame, on ne savait pas que le recyclage existait en Algérie” », confie la jeune femme dont la notoriété dépasse désormais les frontières de son pays.
En 2015, Besma Belbedjaoui a été classée 4e au concours Napeo (US-North Africa Partnership for Economic Opportunity) des meilleures start-up. Elle est également membre du forum des jeunes chefs d’entreprise de la région MENA.