Les recruteurs s’intéressent aux talents du continent

Les meilleurs talents étant souvent embauchés par les multinationales, trouver les bons candidats reste un défi pour les entreprises africaines. Tour d’horizon des méthodes employées par les agences de recrutement pour répondre à leurs attentes.
Par David Thomas
Directeur international du recrutement pour l’une des plus grandes multinationales de biens de consommation, Steve Hasson est chargé de trouver dans un pays d’Afrique un directeur de chaîne d’approvisionnement, responsable d’un chiffre d’affaires de plus de 200 millions de dollars.
Pourtant, face à toutes les multinationales et sociétés panafricaines qui s’arrachent les personnes de talent disponibles sur le continent, il n’est pas parvenu à trouver le candidat idéal.
L’Afrique recèle un immense potentiel et attire donc beaucoup de personnes. Le continent a besoin de talents aujourd’hui. On en trouve plus qu’il y a dix ans, mais la demande reste supérieure à l’offre.
« Dans toutes nos sociétés africaines, nous étions confrontés à la difficulté de trouver des talents au niveau local », relate-t-il. « On pourrait croire que, dans un pays comme le Nigeria qui compte plus de 180 millions d’habitants, il est aisé d’embaucher, mais c’est tout le contraire ! Il est particulièrement difficile de trouver une personne ayant à la fois les compétences techniques requises et la culture adéquate. »
Ne parvenant pas à recruter, Steve Hasson s’est adressé à un chasseur de têtes spécialisé sur l’Afrique. « Nous avons fait une recherche et nous avons trouvé un Nigérian à Singapour qui voulait revenir dans son pays. Sans aide, je ne l’aurais jamais trouvé », se félicite Steve Hasson.
Les services de ressources humaines en Afrique connaissent bien les problèmes rencontrés par ce dirigeant. Dans une enquête réalisée en 2015 auprès de 230 cadres supérieurs africains par l’agence de recrutement Russell Reynolds Associates, 53 % des personnes interrogées soulignaient la difficulté d’attirer des cadres dirigeants de talent.
Les compétences traditionnelles de management, notamment la création d’équipes et la capacité de mettre en oeuvre le changement, sont limitées en Afrique, d’après les conclusions de l’étude.
Beaucoup d’entreprises se fient à des recommandations ou des promotions internes pour des postes essentiels, entravant la concurrence au sein du conseil d’administration et limitant le dynamisme de l’entreprise.
Une profession récente en Afrique
Afin de trouver des personnes convenant aux postes à pourvoir dans les entreprises africaines de plus en plus sophistiquées, des agences de recrutement spécialisées se sont mises en quête de trouver des talents pour leurs clients, profitant de l’intérêt des cadres dirigeants d’Afrique et de la diaspora attirés par la croissance robuste, les opportunités professionnelles intéressantes, et les salaires élevés, qu’offre désormais l’Afrique. Néanmoins, la tradition du bouche-à-oreille et des obstacles technologiques compliquent la tâche des chasseurs de têtes.
« La profession de recruteur est très récente en Afrique, hormis l’Afrique du Sud », explique Sarah Fitzgerald, directrice générale du cabinet Executives in Africa, basée en Europe et contactée par Hasson. « Beaucoup de sociétés africaines ont connu une expansion ces cinq dernières années. Elles ont des difficultés à trouver des cadres dirigeants compétents. Pour recruter, elles continuent de faire appel à leur réseau de connaissances et n’effectuent pas de recherche indépendante sur le marché. »
Executives in Africa a placé plus de 500 cadres supérieurs sur le continent, dans divers secteurs, allant de la technologie à l’agriculture, en passant par l’éducation.
Une fois que les recruteurs ont repéré des candidats, les difficultés commencent ! Il est difficile de trouver une adresse mail fiable des candidats en Afrique, et tenter de les contacter par le biais du standard téléphonique de l’entreprise où ils travaillent ne mène souvent à rien.
« Beaucoup de multinationales considèrent que l’Europe a un potentiel de croissance limité. En Asie, les géants de l’industrie connaissent un certain ralentissement ; il subsiste des poches de croissance mais pas autant qu’auparavant. L’Afrique recèle un immense potentiel et attire donc beaucoup de personnes».
« La procédure de sélection, d’évaluation et de choix des candidats est la même. La différence repose sur l’approche. On ne peut pas se contenter de recherches en ligne. Il faut trouver le numéro de mobile ou l’adresse mail du candidat. On revient aux méthodes d’autrefois : quelles sont les entreprises, quels sont les numéros de téléphone, qui pouvons-nous contacter pour obtenir des recommandations ? », explique Sarah Fitzgerald.
Trouver la perle rare dans la diaspora
Les sociétés sont souvent prêtes aujourd’hui à proposer une bonne rémunération aux talents vivant en Afrique – Steeve Hasson affirme qu’un excellent candidat africain reçoit aujourd’hui le même salaire que les expatriés. En revanche, les talents africains demeurent rares, hors des plus grands pays, les plus compétents étant souvent recrutés par des sociétés étrangères.
Compte tenu de cette pénurie, les recruteurs s’intéressent aux cadres de la diaspora, profitant du ralentissement des économies étrangères et de l’attrait que génère la croissance robuste du continent. Nombre de ces professionnels allient une perspective africaine et une excellente expérience dans des entreprises étrangères complexes.
De plus en plus d’Africains veulent revenir sur le continent : près de 70 % des étudiants africains préparant un MBA dans les dix premières écoles ou universités américaines et européennes prévoient de retourner en Afrique après l’obtention de leur diplôme, selon une enquête réalisée par le fonds d’investissement privé Jacana Partners.
Les sociétés souhaitent moins embaucher des expatriés ayant une expérience africaine limitée, et privilégient les programmes de gestion des talents africains, la planification de la succession et la fidélisation du personnel. Certains expatriés conviennent mieux que d’autres aux postes de direction en Afrique. Sur les 31 % de candidats non-africains placés sur le continent par Executives in Africa, quelque 20 % sont asiatiques, offrant l’avantage d’une expérience des marchés émergents à croissance rapide, potentiellement instables.
Un marché du recrutement en expansion
« Parfois, ces personnes peuvent être responsables d’une quarantaine de pays. Ce genre de poste intéresse des personnes qui ont exercé une fonction de direction régionale au Moyen-Orient ou en Asie. Ce sont des postes très intéressants et l’expansion est considérable », précise Sarah Fitzgerald.
Cette vision du continent comme territoire d’opportunités incite les sociétés à rechercher d’excellents candidats possédant une expérience adéquate ; le recrutement devrait se développer considérablement à l’avenir, estime Steeve Hasson.
« Beaucoup de multinationales considèrent que l’Europe a un potentiel de croissance limité. En Asie, les géants de l’industrie connaissent un certain ralentissement ; il subsiste des poches de croissance mais pas autant qu’auparavant. L’Afrique recèle un immense potentiel et attire donc beaucoup de personnes. Le continent a besoin de talents aujourd’hui. On en trouve plus qu’il y a dix ans, mais la demande reste supérieure à l’offre. »