Les ambitions du Japon en Afrique

La hausse des investissements japonais confirme leur sélectivité envers la taille des marchés et la qualité de l’environnement des affaires. Pour attirer des capitaux, les pays africains devront également tirer parti des partenariats du Japon avec la France.
Par Nicolas Bouchet
Jouer un rôle éminent sans renoncer à l’exigence, telle peut être résumée l’ambition du Japon face à la progression de ses investissements en Afrique. Par la voix de son Premier ministre, Shinzo Abe, l’archipel avait annoncé, en 2016, un volume d’IDE (investissements directs à l’étranger) de 30 milliards de dollars sur trois ans, dont le secteur privé japonais devait assumer les deux tiers.
Le rythme accéléré de la tenue des sommets TICAD (Tokyo International Conference on African Development), désormais organisés tous les trois ans contre cinq auparavant, témoigne de cet intérêt croissant.
Ainsi, le septième TICAD aura-t-il lieu à Yokohama, en soutien au rattrapage des investissements chinois (60 milliards $ annoncés en 2018) sur un continent dont JETRO (Organisation japonaise du commerce extérieur) rappelle qu’il représentera 25 % de la population mondiale en 2050.
Attentifs à cette dynamique, les représentants de neuf pays africains réunis à Paris, le 6 mars, à l’invitation de JETRO, ont rivalisé pour retenir l’attention d’investisseurs et d’entrepreneurs japonais.
Interrogées au préalable par l’organisme consulaire nippon dans l’enquête « Survey on Business Conditions of Japanese-Affiliated Firms in Africa », quelque 300 entreprises présentes en Afrique ont cité à 75 % les fortes perspectives de croissance de leur activité comme principale raison de leur implantation, et anticipent, pour moitié, une hausse de leur bénéfice d’exploitation à court terme.
L’Afrique attire par les perspectives de son marché intérieur, appelé à croître par la dynamique démographique, un niveau de qualification en hausse, un coût modéré de la main-d’oeuvre…
Les autoportraits des pays invités, bien conscients de cette réalité, se suivent et se ressemblent : avantages fiscaux (exemptions, reports de pertes) et non-fiscaux, facilités de visa, de permis de travail… « Nous avons les mêmes, mais en mieux ! », plaisante le représentant mozambicain lors de son tour de parole.
S’il paraît tout aussi nécessaire aux représentants de chambres de commerce nationales de présenter les réformes achevées ou prévues du cadre réglementaire national (87,3 % des entreprises japonaises interrogées le citent comme facteur décourageant pour l’activité), ils doivent déployer d’autres arguments pour se distinguer.
Croissance tous azimuts
Les caractéristiques brutes des pays sont mises à contribution, à commencer par leur population : un marché intérieur appelé à croître par la dynamique démographique (l’Éthiopie vante ses 105 millions d’habitants en croissance annuelle de 2,5 %), un niveau de qualification en hausse, un coût modéré de la main-d’oeuvre…
Une large part de l’argumentaire est faite à la jeunesse, majoritaire et que l’on présente prête à se former selon les besoins des secteurs d’intérêt des investisseurs. La présence de ressources naturelles (minerai sud-africain), la facilité d’acquisition de terres agricoles (Côte d’Ivoire, Égypte), sans oublier les avantages représentés par les infrastructures existantes (ferroviaire régional et parcs industriels en Éthiopie) complètent le tableau.
Les investisseurs japonais favorisent les secteurs des infrastructures, des services (TIC, médecine, transports) et de la distribution de produits de consommation (on se souvient que Toyota Tsusho a repris la française CFAO en 2012).
Mais pour capter le plus largement les intentions d’investissement, les pays représentés se présentent comme polyvalents et jouissant d’une croissance qui profite en apparence à tous les secteurs, tout en soulignant certaines tendances : l’industrie au Maroc représente 23 % du PIB, l’énergie au Mozambique reçoit 26 % des investissements, les télécoms en Côte d’Ivoire en reçoivent 21 %.
De nouvelles alliances
Pour aider à la rencontre des offres nationales et des acquisitions d’actifs, le Japon attend beaucoup de partenariats établis avec la France, « un des plus importants portails vers l’Afrique » selon Fumito Kobayashi, président de la CCIJF (Chambre de commerce et d’industrie du Japon en France).
Les dispositifs abondent pour guider les entrepreneurs en Afrique. Identifiée comme « pays tiers », la France joue volontiers le rôle de facilitateur par ses institutions consulaires, financières ou de coopération que sont Business France, la BPI (Banque publique d’investissement), CCI France International ou encore l’AFD (Agence française de développement).
Leurs représentants ne veulent cependant pas jouer les utilités.Michel Gélénine, de la Direction de la coopération internationale de Business France, précise ainsi que les entreprises japonaises assistées sont déjà implantées en France et reçoivent des conseils commerciaux au titre de l’« after care » (service après-vente).
Pierre Kuchly, président du Comité d’échanges franco-japonais de la Chambre de commerce et d’industrie d’Île-de-France, tient un discours proche : l’intermédiation doit bénéficier aux programmes de compagnonnage consulaire cofinancés par la France comme l’ESCIC (École supérieure de commerce et d’industrie) de Pointe-Noire au Congo. Pour Katsumi Hirano, vice-président de JETRO, la présence des institutions françaises lors de la TICAD 7 devra « favoriser de nouvelles alliances d’affaires».
ENCADRE
Une présence japonaise très ciblée
Le petit nombre de représentations commerciales sur le continent reflète la sélectivité des investissements japonais. L’ouverture de nouvelles représentations de JETRO en Égypte, en Éthiopie, au Maroc et au Mozambique, porte à huit le nombre de pays qui disposent d’un accès direct aux services de l’institution, les mises en relation et le jumelage d’entreprises en particulier.
Les entreprises japonaises favorisent les pays qui présentent un important marché intérieur (Afrique du Sud, Kenya, Nigeria, arrivent en tête des intentions d’investir), des infrastructures présentes et en développement et une relative stabilité politique.
Ces choix établis au cas par cas distinguent la politique d’investissement japonaise en Afrique de celle, plus massive, de la Chine. Un petit nombre de pays sont l’objet d’investissements dans des secteurs où le Japon détient un avantage par la valeur ajoutée, comme l’automobile (Toyota en Afrique du Sud).
Le pays accompagne aussi ces activités de fonds mobilisés dans les domaines de la sécurité alimentaire, de l’accès à l’eau et de la coopération en matière de gouvernance alignés sur les objectifs de développement des pays et gérés par la JICA (Japanese International Cooperation Agency).