L’Aide au développement en question

Malgré des centaines de milliards d’euros consentis au cours des dernières décennies, l’aide financière étrangère issue de donateurs, comme l’Union européenne, a très peu contribué au développement du continent africain et continue de susciter des doutes, ce malgré de nouvelles approches.
Par Szymon Jagiello
Pourquoi les quelque 1 000 milliards d’euros d’Aides publiques au développement (APD) en Afrique au cours des cinquante dernières années, n’ont-ils pas eu les effets escomptés et surtout n’ont pas amélioré de façon significative les économies africaines ? »
À l’heure où le monde réfléchit sur de nouveaux modèles de financement et que le nombre de donateurs, la Chine en tête, ne cesse de se multiplier, cette question, posée par les chercheurs Jean-Luc Buchalet et Christophe Praet dans Le Futur de l’Europe se joue en Afrique (Éditions Eyrolles), mérite que l’on s’y attarde.
Depuis l’ère de la décolonisation, la politique de « la main tendue » menée par les acteurs occidentaux n’a pas aidé le continent à réduire drastiquement la pauvreté, qui touche encore aujourd’hui plus de 35 % de la population.
Au contraire, dresse amèrement l’économiste zambienne Dambisa Moyo, dans L’aide fatale : Les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique, « l’aide au développement a fait augmenter la pauvreté de entre 1970 et 1998. » Un comble, faut-il l’admettre, alors que le revenu par tête d’habitant dans bon nombre de pays africains était plus élevé que celui de la Chine, au moment où ils accédaient à leur indépendance.
Plusieurs raisons expliquent cette situation. Selon l’experte zambienne, ce flux massif d’aides étrangères, « qui a compté pour près de 15 % du PIB africain, a été détourné de ses objectifs initiaux en assistant à une distorsion de la concurrence, à une corruption des classes dirigeantes, à une administration pléthorique qui ont aggravé les tensions ethniques pour le partage du butin. »
De plus, « cette distribution sous forme de dons ou de crédits bonifiés a contribué à l’augmentation excessive de l’endettement du continent ». Autant d’éléments qui ont provoqué une décomposition des tissus économiques africains.
Critiques chez les donateurs eux-mêmes
Cependant, force est de constater que les Africains ne sont pas les seuls responsables, les pays donateurs sont aussi à pointer du doigt.
Ainsi, expliquent Jean-Luc Buchalet et Christophe Praet, « même en situation critique, lorsque les pays donateurs sont parfaitement au courant du viol flagrant des accords, leur intérêt stratégique pousse le plus souvent à ne pas retirer leur aide ».
Les donateurs doivent délier leurs aides financières d’exigences économiques ou de contreparties, afin que les entreprises africaines bénéficient pleinement des financements. Ce changement suppose un lobbying des acteurs africains, tant publics que privés, auprès des donateurs comme l’Union européenne.
Une dynamique de défense d’intérêts qui les incite à se focaliser « avant tout sur le volume d’aide plutôt que sur son efficacité, et le retour sur investissement en favorisant leurs multinationales ». Un soutien au détriment des économies africaines.
Lancée en 2012, la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (NASAN) est un programme de 9 milliards d’euros financés, entre autres, par les membres du G8 et l’UE, dont l’objectif est de sortir 50 millions de personnes de la pauvreté d’ici à 2020 en misant sur l’agriculture intensive.
Pourtant, ce programme s’est attiré de nombreuses critiques, y compris venant du Parlement européen, « pour sa promotion de grandes industries agroalimentaires (comme Monsanto, Mars, etc.), de l’accaparement des terres et de l’évasion fiscale au détriment de modèles agricoles locaux et de sécurité alimentaire », observe Esther Schneider dans sa note portant sur la nécessité de sortir des investissements traditionnels, publiée par l’Institut français des relations internationales et stratégiques.
Un manque à gagner considérable
Pourtant, l’initiative NASAN reposait sur une approche de plus en plus utilisée qui consiste à faire appel au secteur privé pour pallier les réductions d’Aide publique au développement et remédier à l’inefficacité des systèmes classiques inadaptés.

Une application d’un modèle différent qui, comme le démontre cet exemple européen, soulève tout de même quelques doutes sur son efficience pour combattre l’indigence et développer l’économie locale.
L’une des réponses à ces doutes se trouve dans les pratiques fiscales et financières de nombreuses grandes compagnies. Pour beaucoup de firmes transnationales, explique la chercheuse de l’IRIS, « l’évasion fiscale et d’autres pratiques fiscales néfastes sont plus la norme que l’exception ».
Ainsi, sur la base des estimations disponibles – à prendre avec précaution, car il n’existe pas de données fiables à ce sujet –, « entre 2000 et 2017, le continent africain a perdu en moyenne 73 milliards de dollars par an dans les flux financiers illicites, notamment à cause d’une imposition inefficace et des abus en matière de facturation des échanges commerciaux par les multinationales», indique Esther Schneider.
« Délier » l’aide
Autre élément, et non des moindres, qui suscite pas mal d’interrogations, se situe du côté des récipiendaires des fonds d’aide dans le secteur privé, lesquels sont plus souvent étrangers que locaux.
Dans beaucoup de cas, le soutien financier est accompagné de conditionnalités qui stipulent que l’aide accordée, selon l’OCDE, sert « à acheter des biens ou des services d’un pays ou d’une région spécifique », fréquemment issus de régions non africaines, et augmenter potentiellement « les coûts d’un projet de développement de 15 % à 30 % ».
Ce qui crée une concurrence déloyale aux dépens des PME africaines ; aussi, souligne Esther Schneider, « beaucoup d’entrepreneurs locaux ont des difficultés à développer et faire croître leurs projets, car ils n’ont pas accès aux financements ou à d’autres formes de soutien ».
Face à ce problème, plusieurs pistes ont été mises sur la table. Une des solutions les plus évidentes réside dans le fait de « délier » l’aide financière octroyée – « autrement dit, supprimer des obstacles juridiques et réglementaires à l’ouverture à la concurrence pour la passation des marchés financés par l’aide », pour reprendre les termes de l’OCDE dans sa note intitulée « Le déliement de l’aide : le droit de choisir », afin d’augmenter la probabilité d’accès au financement pour les sociétés du continent.
Un changement qui ne pourra s’effectuer sans un lobbying des acteurs africains, tant privés, que publics, auprès des donateurs, notamment l’UE qui projette d’allouer 40 milliards d’euros, entre 2021 et 2027 pour stimuler la création de dix millions d’emplois en Afrique, et dont les relations avec le continent sont en pleine redéfinition.