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Hommage

Desmond Tutu, l’indomptable champion de la justice

Desmond Tutu, l’indomptable champion de la justice
  • Publiéfévrier 16, 2022

Disparu le 26 décembre 2021, Desmond Tutu a toujours su dire la vérité aux dirigeants sud-africains et du monde. Chaleureux, charismatique, « Arch » a, jusqu’à la fin de sa vie, œuvré pour la justice, au risque de bousculer les idées reçues et ses amis.

Par Lord Peter Hain *

En 1998, l’archevêque Desmond Tutu recevait un diplôme honorifique de l’Université de Cardiff, et j’étais l’invité d’honneur en tant que ministre du gouvernement travailliste britannique. Il s’agissait de notre première rencontre.

Malgré ses troubles, l’Afrique du Sud reste un phare pour le triomphe de l’espoir sur le mal, et une merveilleuse destination touristique. L’avenir du pays dépend de l’écoute du remarquable et unique Desmond Tutu et de la volonté de respecter son héritage.

« Arch », comme on l’appelle affectueusement, dans un de ses grands rires contagieux si caractéristiques de sa personnalité, m’interpelle : « Une paire de subversifs anti-apartheid comme nous, honorés par l’establishment anglais ! »

Il avait une irrévérence espiègle et offrait une chaleureuse camaraderie, et son autodérision était engageante. Seul Arch pouvait n’offusquer personne en répondant malicieusement lorsqu’on lui a demandé quelles qualités il avait pour mériter le prix Nobel de la paix en 1984 : « Un nom court comme Tutu, un gros nez et des jambes sexy. » 

Intrépide, passionné, inspirant – et pour certains, d’une honnêteté inconfortable –, Desmond Tutu, avec Nelson Mandela, était l’une des grandes personnalités que j’ai eu le privilège de rencontrer.

Son honnêteté brutale à dire la vérité aux dirigeants pouvoir, que ce soit aux anciens de l’apartheid ou aux nouveaux post-apartheid, a amené ces derniers à lui en vouloir, et le reste du public à accroître son respect envers lui. Personne ne pourrait jamais freiner le courage ou l’esprit indépendant d’Arch.

Tony Blair et George W. Bush devraient être traduits devant la Cour pénale internationale de La Haye pour la guerre en Irak, a-t-il exigé en 2012, ajoutant que des normes différentes semblaient être appliquées aux dirigeants occidentaux. « Dans un monde cohérent, les responsables devraient suivre le même chemin que certains de leurs pairs africains et asiatiques qui ont été amenés à répondre de leurs actes à La Haye. » Un sentiment que beaucoup partagent encore aujourd’hui.

Presque invincible

Maniant parfaitement les mots, ce qui faisait son charisme, il semblait toujours parfaitement capturer le moment. Prédicateur intrépide, capable de captiver un grand auditoire, il pouvait aussi se laisser aller à un murmure, marquer une pause, tenir tout le monde en haleine. On se souvient de la manière inoubliable dont il a conduit le service commémoratif pour Nelson Mandela en mars 2014, à l’abbaye de Westminster.

C’était un activiste visionnaire qui a passionné le monde entier, révolutionnaires et dirigeants, pauvres et riches.

Sans nul doute, c’est son éloquence irrépressible en tant que leader chrétien qui l’a rendu quasi invincible, dans les années 1980, en tant que secrétaire général du Conseil interconfessionnel sud-africain des Églises, évêque anglican de Johannesbourg puis archevêque du Cap.

Alors que Nelson Mandela et ses camarades anti-apartheid étaient emprisonnés, pendant deux décennies, à Robben Island, Desmond Tutu a acquis une notoriété croissante, en tant qu’opposant à la tyrannie raciste, s’exprimant lors de rassemblements et en menant des manifestations. Sa voix a été entendue partout dans le monde.

L’État policier brutal de l’apartheid avait assassiné, torturé, emprisonné et réduit au silence les critiques, mais était impuissant face à l’archevêque du Cap, riche de sa congrégation multiraciale et son importante plateforme chrétienne mondiale.

Les premiers engagements d’Arch, après la libération de Nelson Mandela, en février 1990, incarnaient le triomphe du bien sur le mal, ces deux grandes figures annonçant l’avènement de la nouvelle « Nation arc-en-ciel ».

« Mandela est devenu l’icône, le géant moral tant vénéré par le monde, parce qu’il avait démontré que d’anciens ennemis pouvaient devenir des amis », déclarait-il alors.

Desmond Tutu incarnait également l’intégrité. Ainsi, lorsque Winnie Mandela a comparu devant lui en 1997 à la Commission Vérité et Réconciliation, Desmond Tutu est resté ferme. De brave héroïne, victime de l’oppression policière, Winnie est devenue complice de meurtre. « Je t’en supplie, je t’en supplie, je t’en supplie, s’il te plaît, excuse-toi », l’implora-t-il. Elle ne s’est jamais repentie.

Il était également ferme avec l’ancien président Frederik de Klerk, qui avait libéré Mandela, mais qui refusait de s’excuser pour les crimes de l’apartheid commis sous sa direction, même en pleines négociations vers la transition démocratique. De Klerk a quitté la Commission brutalement après avoir entendu des preuves d’atrocités horribles et sanglantes commises par des agents de sécurité, sous son mandat.

Une influence mondiale

Même peu de temps après que son ami Nelson Mandela est devenu Président, Arch n’était pas resté silencieux. Les députés ont été critiqués pour avoir accepté de grosses augmentations de salaire, il l’a déploré. Quelques mois plus tard, Mandela annonçait une baisse des salaires des députés et du Président.

Après son divorce avec Winnie, Nelson Mandela est de plus en plus accompagné lors des réceptions officielles à partir de la mi-1995 par l’icône africaine Graça Machel, visiblement enchanté par sa grâce et son amour des enfants. Cet accommodement de « vivre dans le péché » a suscité quelques critiques de la part de Desmond Tutu, jusqu’au mariage, le jour du quatre-vingtième anniversaire de Mandela, le 18 juillet 1998.

Connu dans le monde entier pour sa campagne anti-apartheid sans compromis, Desmond Tutu a été une source d’inspiration pour les militants des droits de l’homme du monde entier, s’exprimant par exemple contre les lois homophobes en Ouganda et ailleurs en Afrique où les droits des homosexuels ont été violemment réprimés.

Il a soutenu le mouvement démocratique en Birmanie, mais a écrit avec tristesse à Aung San Suu Kyi, au sujet de son implication dans les massacres des Rohingyas.

Il était également bien en avance sur son temps sur d’autres agendas. Très inhabituel pour un leader chrétien de sa génération – décédé à la fin de l’année dernière, à l’âge de 90 ans – il a publiquement vanté la mort assistée. 

Il était un anglican remarquablement progressiste, essayant de persuader l’Église d’ordonner des femmes et s’opposant à l’exclusion des prêtres de la communauté homosexuelle.

En Afrique du Sud, après la transition vers la démocratie en 1994, Tutu s’est retrouvé le gardien inébranlable de la « Nation arc-en-ciel », critique des successeurs de Mandela, d’abord Thabo Mbeki pour son déni du sida, puis de Jacob Zuma pour sa corruption. Il a dénoncé le pillage éhonté qui a discrédité l’ANC, le mauvais état de l’économie, la pauvreté et le chômage endémiques.

Malgré ses troubles, l’Afrique du Sud reste un phare pour le triomphe de l’espoir sur le mal, et une merveilleuse destination touristique.

L’ANC et l’avenir du pays dépendent de l’écoute du remarquable et unique Desmond Tutu et de la volonté de respecter son héritage.

@NAF

* Les mémoires militant anti-apartheid et ancien ministre britannique, Peter Hain, A Pretoria Boy: South Africa’s ‘Public Enemy Number One’, sont publiées en Afrique par Jonathan Ball et au Royaume-Uni par Icon Books.

Écrit par
Par Lord Peter Hain

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