COP27 : l’Égypte, un organisateur scruté de près

L’attitude ambivalente de l’Égypte à l’égard des combustibles fossiles inquiète les écologistes, certains d’entre eux s’estimant entravés dans leur rôle de lanceur d’alerte. Un rapport de Chatam House vient rappeler qu’en effet, le pays n’a pas d’objectifs chiffrés.
Le gouvernement égyptien s’est défendu, le 13 septembre 2022, de vouloir entraver l’action des organisations écologistes sur sa politique, à l’approche de la COP27 de Charm El-Sheik. Un rapport de Human Rights Watch, publié la veille faisait état d’entraves, voire d’intimidations, à l’égard des chercheurs ou des militants écologistes. Les associations ont du mal à se faire enregistrer, ce qui entrave la liberté de parole de ses membres.
Sans nul doute, l’accueil de la conférence en Afrique pour la première fois depuis 2016 attirera une attention accrue sur la situation critique du continent face au changement climatique, mais le bilan limité de l’Égypte en matière de réduction des émissions pourrait compromettre les chances d’un règlement productif, écrit en effet Karim Elgendy, chercheur associé pour le programme Environnement et société de Chatham House.
« Avec un engagement constructif et les bonnes incitations, il est possible de parvenir à des compromis qui répondent aux demandes des pays en développement sans compromettre les objectifs de l’accord de Paris. »
« La contribution déterminée au niveau national (CDN) de l’Égypte, c’est-à-dire son engagement pour 2030 dans le cadre de l’accord de Paris, ne comprend aucun objectif quantifiable de réduction des émissions », explique l’expert.
Les dirigeants du pays ont fait preuve de fermeté face aux critiques concernant l’expansion de la production de gaz naturel. Interrogé en tant que membre de la délégation égyptienne à Glasgow, Ayman Amin, directeur adjoint de l’environnement et du développement durable au ministère égyptien des affaires étrangères, reconnaît : « Nous ne sommes pas prêts à présenter des chiffres absolus ou à fixer une date pour le pic des émissions. Si vous voulez me demander de tenir mes promesses en matière d’atténuation, vous devez relever vos ambitions en matière de financement. »
Se faisant l’écho des préoccupations de nombreux observateurs du climat, le chercheur de Chatham Houses exhorte les néo-négociateurs égyptiens à considérer que « ne pas insister pour davantage de réductions d’émissions à ce moment critique risque de faire dérailler la dynamique de décarbonisation mondiale et de saper l’action climatique mondiale ».
Une plateforme de négociation cohérente
« L’Égypte est l’un des rares pays à ne pas avoir soumis de NDC actualisé en 2021 et sa prochaine mise à jour ne comprendra pas d’objectif de réduction des émissions de carbone à l’échelle de l’économie. L’Égypte n’a également jamais publié de stratégie à long terme et ne dispose d’aucun plan de décarbonisation, malgré les estimations indépendantes selon lesquelles elle devrait réduire ses émissions croissantes d’un quart d’ici à 2030 et de deux tiers d’ici à 2050 pour s’aligner sur l’accord de Paris. Cela explique en partie pourquoi les observateurs jugent l’action climatique de l’Égypte très insuffisante », écrit Karim Elgendy.
Malgré cela, il sera difficile de convaincre les dirigeants africains que le secteur énergétique égyptien, à forte intensité d’émissions, qui fait office de plaque tournante du gaz pour la Méditerranée orientale, ne constitue pas un modèle attrayant pour le développement économique.
Il n’est pas passé inaperçu que le gaz naturel a contribué à la reprise économique dans un pays qui était en proie à des pannes d’électricité régulières pas plus tard qu’en 2014. Aujourd’hui deuxième producteur de gaz en Afrique, l’Égypte produit confortablement plus du double de sa demande nationale de pointe en énergie, donnant ainsi l’exemple aux nations en développement disposant de vastes réserves de gaz non explorées, comme le Ghana, le Mozambique, le Sénégal et la Mauritanie.
Même si le continent africain risque de souffrir gravement de l’augmentation des températures mondiales due aux émissions, fournir une énergie fiable aux 590 millions de personnes qui n’ont toujours pas accès à l’électricité en 2022 est une priorité qui pourrait détourner l’attention des objectifs climatiques.
La conférence de novembre se tiendra en Afrique pour la première fois depuis que le Maroc a accueilli la COP22 en 2016 et les dirigeants ont reconnu que le continent doit parler d’une seule voix s’il veut tirer pleinement parti d’une rare présidence africaine.
Face à un ordre du jour encore flou, le leadership de l’Égypte soulève des questions difficiles sur la forme que pourrait prendre une position de négociation africaine coordonnée. Les tensions politiques sur l’approvisionnement en eau du Nil Bleu ont eu un effet paralysant sur les relations de la République arabe avec ses voisins en amont ces dernières années : si l’obstination et la suspicion qui ont caractérisé les négociations avec l’Éthiopie sur l’exploitation du Grand barrage de la Renaissance éthiopien sont un signe des choses à venir, l’Égypte pourrait avoir du mal à fournir un leadership efficace en novembre.
L’Égypte attire les capitaux
La capacité de l’Égypte à attirer les financements climatiques ces dernières années renforcera sa présidence de la COP27. La stabilité économique apportée par la production de gaz a contribué à en faire une destination de choix pour les investissements verts. Quelque 27% des financements multilatéraux pour le climat dans la région MENA sont destinés à l’Égypte ; on se souvient qu’en 2020, une obligation verte souveraine d’une valeur de 500 millions de dollars avait été sursouscrite plus de sept fois lors de son émission.
Cela, note Karim Elgendy, démontre que l’« Égypte est ouverte au dialogue, non seulement pour affiner le programme de la COP27, mais aussi pour revoir ses propres priorités climatiques et tirer parti de son secteur énergétique pour une transition plus ambitieuse ».
« Le partenariat naissant entre l’Union européenne et l’Égypte sur les énergies renouvelables, l’hydrogène vert, l’efficacité énergétique et, pour une période limitée, le gaz fossile démontre qu’avec un engagement constructif et les bonnes incitations, il est possible de parvenir à des compromis qui répondent aux demandes des pays en développement sans compromettre les objectifs de l’accord de Paris. »
La Banque africaine de développement évalue les besoins de financement du continent pour la transition vers les énergies vertes à 1 300 milliards $ sur la période 2020-2030, mais il semble de plus en plus difficile d’atteindre cet objectif, les nations développées ne parvenant pas à respecter les 100 milliards $ par an de financement promis aux pays menacés par le changement climatique en 2010. Le succès de l’Égypte dans l’attraction d’investissements verts étrangers pourrait donc être un facteur déterminant lors de la réunion des négociateurs africains à Charm el-Sheikh.
Climat : le lourd tribut de l’Afrique
@AB